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jeudi 27 février 2014

Un ancien détenu dénonce un système de privilèges au sein de la prison d'Annoeullin

Un ancien détenu du centre pénitentiaire d’Annœullin a voulu témoigner de ce qu’il a vécu et vu pendant ses quelques mois de détention. Il dénonce un système de connivences entre certains détenus et certains gardiens, une entente qui réinstalle au cœur de la prison le système dans lequel les délinquants évoluent à l’extérieur.
 
 Pierre estime que certains détenus bénéficient d’une impunité grâce à une minorité de surveillants. PHOTO « LA VOIX »
 
Sur la foi de ce témoignage, nous avons contacté les syndicats qui nuancent la possibilité de telles connivences et la direction régionale de l’administration pénitentiaire, qui n’a pas souhaité s’exprimer.
 
« Ce que j’ai vu à la prison d’Annœullin m’a touché, indique cet homme d’une cinquantaine d’années. Certains détenus sont classés dans la case victime. Les victimes, c’est ceux, comme moi, qui ne connaissent personne et qu’on met sous pression au bout d’un moment parce qu’ils refusent d’entrer dans le jeu des détenus qui ont du pouvoir. » Ce monsieur, qu’on appellera Pierre, a passé quelques mois à la prison d’Annœullin pour un fait que l’on peut qualifier de mineur. Il estime que certains détenus bénéficient de privilèges et d’une impunité grâce à une minorité de surveillants.

« Par rapport à d’autres, certaines cellules ne sont jamais fouillées, indique-t-il. Ce sont souvent celles de détenus qui s’entendent bien avec des surveillants. » Au cours de sa détention, Pierre a pu bénéficier à un moment d’une autorisation qui lui permettait de se déplacer. Un jour, il est tombé sur une scène qui l’a interpellé. « J’ai vu un détenu avec un surveillant devant un ordinateur de la prison. Il demandait des informations sur d’autres détenus ; comme leur adresse, les prénoms des membres de la famille… De là à imaginer que des prisonniers se servaient de ces informations pour faire pression sur d’autres… » Pierre indique également avoir vu le même surveillant repartir tous les vendredis soir avec un gros sac rempli de cartouches de cigarettes. Comment pouvait-il passer les portiques de sécurité sans encombre ? Il se le demande…

Autre habitude que Pierre a relevée, mais qui n’est pas une nouveauté en soi dans les prisons : lors de la promenade, des gens de l’extérieur jettent des objets au-dessus du mur d’enceinte. Des détenus au troisième étage de la prison indiquent aux personnes qui sont dehors où elles doivent lancer. « Dans ces missiles, il y a des portables, des puces, du cannabis, de l’héroïne, de la cocaïne. Il n’y a pas de filet pour arrêter les missiles. J’ai vu des prisonniers aller les récupérer derrière les grillages. Et certains détenus sont désignés par d’autres pour aller ramasser des missiles qui ne leur sont pas destinés. Tout se fait sous les yeux de gardiens, qui sont souvent les mêmes le samedi. » C’est ainsi que Pierre a vu des détenus téléphoner avec des portables sous les yeux des gardiens. Alors que ces appareils sont interdits au sein de la prison… « Mais quand le chef des surveillants arrive, tout redevient normal. »
Pierre n’en veut pas aux gardiens, mais il ne cautionne pas ce qu’il a vu. « Certains surveillants donnent trop de pouvoir à une poignée de détenus. Ça déséquilibre les rapports entre prisonniers et les surveillants perdent en crédibilité. Mais peut-être qu’ils font ça pour garder la paix ? »

Possible mais très gros

Du côté des surveillants justement, Fabien Barrois, gardien à Annœullin et membre du syndicat UFAP-UNSA, estime que tout ceci est « possible », mais que c’est « gros ». Le syndicaliste estime que sortir plusieurs cartouches de cigarettes est quasi-impossible : « On est soumis aux mêmes contraintes que toutes les personnes entrant et sortant de la prison. On passe tous par des bagagix (ndlr : portiques à rayons X). Alors sortir plusieurs cartouches… » Selon Fabien Barrois, il est très facile d’obtenir des informations sur les familles au moment des parloirs. « Tout le monde est dans la même salle. Tout le monde se connaît ! »

Par ailleurs, il confirme que les téléphones et tablettes sont interdits en prison. Quant aux fouilles de cellules, le syndicaliste indique qu’il y en a trente par aile, et qu’une cellule est fouillée chaque jour. « Ce qui fait que chaque cellule est fouillée au moins tous les deux mois. Les seuls privilégiés dans la prison sont les auxiliaires ; il s’agit d’un détenu par aile qui réalise le nettoyage et peut donc circuler librement dans son aile. Le seul autre cas où un détenu sort de sa cellule est quand il demande à passer un coup de fil. » Pour Fabien Barrois, ces révélations sont, une fois de plus, destinées à « salir » les surveillants de prison. « La paix sociale en prison, on ne la gagne pas comme ça. On la gagne en faisant le maximum pour aider un détenu, pour gérer ses problèmes. On ne laisse pas les caïds faire ce qu’ils veulent. Chez les surveillants, il est toujours possible qu’il y ait des brebis galeuses, mais on travaille toujours en binôme. On ne peut pas accepter ce genre de personnes en prison. »

La direction régionale de l’administration pénitentiaire, que nous avons sollicitée, n’a pas souhaité nous répondre.

La Voix du Nord

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