Citoyenneté, laïcité, maladies mentales, plaintes de détenus... De nombreux enjeux sont une nouvelle fois soulevés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport annuel.
A la prison d'Agen, en septembre 2013
C’est son sixième et dernier rapport annuel en tant que Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Jean-Marie Delarue, qui se consacrera désormais au Comité national consultatif d’éthique, présente ce mardi le bilan 2013 de son institution. Un travail comme toujours ultra documenté, qui dresse, sur plus de 300 pages, un aperçu de la situation dans les lieux de privation de liberté en France (établissements pénitentiaires, centres éducatifs fermés, locaux de garde à vue, etc.). Libération a pu consulter ce document. Focus sur quatre points saillants.
Le contrôleur déplore également «l’impossible expression collective de la population pénale». Une situation qui aboutit à la propagation de «rumeurs» dans les zones de détention, dont résultent «un sentiment de frustration et un mécontentement dégénérant parfois en mouvements collectifs». Certes, l’organisation de la parole collective est «une entreprise délicate à mettre en place». Mais ce droit existe dans d’autres pays européens. Pourquoi pas en France ? Regrettant le faible nombre d’expérimentations menées, Jean-Marie Delarue estime qu’une généralisation des pratiques de consultation ne pourrait être que bénéfique : «Consommateur contraint, le détenu peut être aussi un acteur de l’organisation de l’établissement et gagner ainsi en autonomie au bénéfice d’une meilleure insertion ou réinsertion future.»
Quelques lignes sont aussi consacrées à l’épineuse question du téléphone en détention, un casus belli pour les syndicats de surveillants pénitentiaires. S’appuyant sur l’examen des puces des téléphones saisis, le contrôleur constate que «ces téléphones ont pour principale utilisation les contacts avec la famille et les amis et non l’objectif de préparation de projets d’évasion ou de continuité d’actes de délinquance». A ses yeux, «l’achat en cantine et l’usage de téléphones portables (avec un dispositif de sécurité et de contrôle)» est une évolution qui mériterait d’être testée.
Et ce n’est pas une quelconque plainte auprès des autorités compétentes (pour violences, harcèlement, ou encore disparition d’effets personnels) qui risque de changer la donne. «La plupart des procédures ouvertes n’ont aucun succès», signale Jean-Marie Delarue. Cela entraînerait un «cycle déception-démarche-déception accrue». D’autant que les démarches des «procéduriers» déclenchent souvent des représailles de l’institution pénitentiaire. C’est ce que décrit un prisonnier dans un courrier envoyé au rapporteur : «Le surveillant m’a dit "Si tu portes plainte, on va te niquer."» A ces pressions peuvent s’ajouter des «punitions» (refus de facilités pour les parloirs, fouilles plus accentuées, perturbation du sommeil…). Objectif : «Pousser le détenu à la faute, c’est se donner la possibilité de dresser un rapport d’incident […] puis de lui infliger pour ce motif une sanction.»
Un argumentaire qui ne convainc pas Jean-Marie Delarue : «L’ensemble des établissements pénitentiaires – on doit leur en rendre l’hommage – sont capables aujourd’hui d’offrir des aliments diversifiés, dont une partie exige des préparations particulières […]. Dans ces conditions, on peut avoir des doutes sur l’incapacité où se trouverait l’administration, pour des raisons tenant aux installations existantes, à fournir des repas confectionnés avec de la viande rituellement abattue.» Selon lui, «la situation doit évoluer» et les oppositions «devraient être l’exception plutôt que la règle».
L’analyse du contrôleur est alarmante : «Depuis le XIXe siècle au moins, droit pénal et psychiatrie forment un couple, parfois infernal, pour se partager successivement ou simultanément la gestion de la dangerosité. Mais jamais comme aujourd’hui dans un nouvel alliage qui pourrait être qualifié de redoutable, du soin et de la contrainte, du soin et de l’enfermement. […] De nouvelles structures ont été créées, toujours plus spécialisées mais toujours plus fermées (centres éducatifs fermés, unités hospitalières spécialement aménagées, centre sociomédico-judiciaire de sûreté…).» A plusieurs reprises, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, rappelant par exemple que le fait de maintenir en détention une personne atteinte d’une psychose chronique de type schizophrénique, sans encadrement médical approprié, constituait «un traitement inhumain et dégradant».
Alors que la loi prévoit la possibilité (rarement utilisée par les juges et les jurys) d’alléger les peines pour les personnes dont le discernement est altéré, la mise en détention des «fous» constitue souvent pour eux une double peine. «Les magistrats soulignent d’un commun accord la difficulté d’obtenir une expertise psychiatrique de qualité dans des délais raisonnables», souligne le rapport de Jean-Marie Delarue. Difficile, du coup, pour l’administration pénitentiaire d’apporter une juste réponse aux personnes qu’elle héberge. Le rapporteur souligne de bonnes pratiques, essentiellement «le fait des petits établissements et d’un personnel attentif et bienveillant, exerçant dans une certaine proximité avec les personnes détenues». Pas de chance, les prisons construites actuellement, gigantesques et hypertechnologiques, sont loin de ce modèle…
Le contrôleur général préconise un rapprochement des professionnels pénitentiaires et des soignants – dans le respect du secret médical. Il conseille aussi aux médecins d’investir un peu plus les cellules et les coursives. Car les contrôleurs soulignent avant tout «la très grande solitude de ces malades» et tout particulièrement des personnes étrangères. Certains psychiatres exigent des demandes de rendez-vous écrites – que nombre de malades, plus encore quand ils ne parlent pas la langue, ne sont pas en mesure de faire. Surtout que demander à voir un psy est souvent un signe de faiblesse en prison, voire le meilleur moyen d’être «soupçonné d’être auteur d’infraction à caractère sexuel ce qui, dans tous les cas, le désigne à la vindicte».
Libération
La citoyenneté et la vie privée : la France à la traîne
A moins de deux semaines des élections municipales, c’est une piqûre de rappel bienvenue. «Le nombre de personnes détenues [votant] directement ou par procuration [reste] extrêmement faible», note le contrôleur. A titre indicatif, sur 62 500 personnes détenues en 2007, 2 370 procurations avaient été établies au premier tour de la présidentielle et 2 697 au second. Soit un taux de participation moyen de 4%. Les témoignages recueillis par le CGLPL mentionnent les «difficultés à obtenir une permission de sortir» ou encore les parfois longues démarches pour récupérer des documents personnels (carte d’électeur ou d’identité) auprès du greffe de la prison. En conclusion, Jean-Marie Delarue recommande «la délivrance facilitée de titres d’identité, une information suffisamment précoce, un régime particulier de permissions de sortir et un assouplissement éventuel des règles de procuration».Le contrôleur déplore également «l’impossible expression collective de la population pénale». Une situation qui aboutit à la propagation de «rumeurs» dans les zones de détention, dont résultent «un sentiment de frustration et un mécontentement dégénérant parfois en mouvements collectifs». Certes, l’organisation de la parole collective est «une entreprise délicate à mettre en place». Mais ce droit existe dans d’autres pays européens. Pourquoi pas en France ? Regrettant le faible nombre d’expérimentations menées, Jean-Marie Delarue estime qu’une généralisation des pratiques de consultation ne pourrait être que bénéfique : «Consommateur contraint, le détenu peut être aussi un acteur de l’organisation de l’établissement et gagner ainsi en autonomie au bénéfice d’une meilleure insertion ou réinsertion future.»
Quelques lignes sont aussi consacrées à l’épineuse question du téléphone en détention, un casus belli pour les syndicats de surveillants pénitentiaires. S’appuyant sur l’examen des puces des téléphones saisis, le contrôleur constate que «ces téléphones ont pour principale utilisation les contacts avec la famille et les amis et non l’objectif de préparation de projets d’évasion ou de continuité d’actes de délinquance». A ses yeux, «l’achat en cantine et l’usage de téléphones portables (avec un dispositif de sécurité et de contrôle)» est une évolution qui mériterait d’être testée.
Le «procédurier», bien souvent dans le collimateur de l’administration
En prison, il y a ceux qui «font le canard». Comprendre : les détenus qui rasent les murs et ne réagissent pas aux problèmes. Et puis, il y a les «procéduriers». Ceux qui «résistent au système carcéral» et entendent bien avoir recours au «droit en vigueur» pour défendre leur situation. Une attitude «très sévèrement appréciée» par l’administration pénitentiaire, regrette Jean-Marie Delarue. Pointant d’abord le manque d'«informations» pour «saisir le droit», le rapporteur fustige l’attitude de «bien des personnels pénitentiaires», qui font de l’univers carcéral un endroit «retranché de notre monde», «une sorte d’enfer dantesque». Et de citer quelques phrases récurrentes de surveillants («Ici, vous êtes en prison»; «Ici, vous n’êtes pas à l’hôtel»), maintenant les détenus dans un statut de «hors-la-loi».Et ce n’est pas une quelconque plainte auprès des autorités compétentes (pour violences, harcèlement, ou encore disparition d’effets personnels) qui risque de changer la donne. «La plupart des procédures ouvertes n’ont aucun succès», signale Jean-Marie Delarue. Cela entraînerait un «cycle déception-démarche-déception accrue». D’autant que les démarches des «procéduriers» déclenchent souvent des représailles de l’institution pénitentiaire. C’est ce que décrit un prisonnier dans un courrier envoyé au rapporteur : «Le surveillant m’a dit "Si tu portes plainte, on va te niquer."» A ces pressions peuvent s’ajouter des «punitions» (refus de facilités pour les parloirs, fouilles plus accentuées, perturbation du sommeil…). Objectif : «Pousser le détenu à la faute, c’est se donner la possibilité de dresser un rapport d’incident […] puis de lui infliger pour ce motif une sanction.»
La laïcité et les repas confessionnels
Comment concilier le principe de laïcité et celui de la liberté de pensée ? Le contrôleur s’est intéressé aux menus servis aux détenus. Première observation : «Dans la plupart des lieux de privatifs de liberté est servie de la cuisine sans porc.» L’administration pénitentiaire pourrait-elle aller plus loin, notamment en servant de la «viande d’animaux abattus selon des formes prévues par une religion» (rites casher et halal) ? La directrice de l’institution y est hostile, tant pour des questions de principe que matérielles.Un argumentaire qui ne convainc pas Jean-Marie Delarue : «L’ensemble des établissements pénitentiaires – on doit leur en rendre l’hommage – sont capables aujourd’hui d’offrir des aliments diversifiés, dont une partie exige des préparations particulières […]. Dans ces conditions, on peut avoir des doutes sur l’incapacité où se trouverait l’administration, pour des raisons tenant aux installations existantes, à fournir des repas confectionnés avec de la viande rituellement abattue.» Selon lui, «la situation doit évoluer» et les oppositions «devraient être l’exception plutôt que la règle».
Les malades mentaux en prison
Le contrôleur relève un paradoxe : dans les discours, dans le code pénal aussi, «la période actuelle semble marquée par un retour du sujet dangereux» – le délinquant irrationnel, le fou incontrôlable. Mais aucune étude, ou presque, n’a tenté de mieux cerner le phénomène : combien de «fous» en prison ? Quel accompagnement leur donner ? Une seule étude épidémiologique d’envergure a été menée en 2004. Elle révèle que huit hommes sur dix et sept femmes sur dix présentaient au moins un trouble psychiatrique, la plupart en cumulant plusieurs.L’analyse du contrôleur est alarmante : «Depuis le XIXe siècle au moins, droit pénal et psychiatrie forment un couple, parfois infernal, pour se partager successivement ou simultanément la gestion de la dangerosité. Mais jamais comme aujourd’hui dans un nouvel alliage qui pourrait être qualifié de redoutable, du soin et de la contrainte, du soin et de l’enfermement. […] De nouvelles structures ont été créées, toujours plus spécialisées mais toujours plus fermées (centres éducatifs fermés, unités hospitalières spécialement aménagées, centre sociomédico-judiciaire de sûreté…).» A plusieurs reprises, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, rappelant par exemple que le fait de maintenir en détention une personne atteinte d’une psychose chronique de type schizophrénique, sans encadrement médical approprié, constituait «un traitement inhumain et dégradant».
Alors que la loi prévoit la possibilité (rarement utilisée par les juges et les jurys) d’alléger les peines pour les personnes dont le discernement est altéré, la mise en détention des «fous» constitue souvent pour eux une double peine. «Les magistrats soulignent d’un commun accord la difficulté d’obtenir une expertise psychiatrique de qualité dans des délais raisonnables», souligne le rapport de Jean-Marie Delarue. Difficile, du coup, pour l’administration pénitentiaire d’apporter une juste réponse aux personnes qu’elle héberge. Le rapporteur souligne de bonnes pratiques, essentiellement «le fait des petits établissements et d’un personnel attentif et bienveillant, exerçant dans une certaine proximité avec les personnes détenues». Pas de chance, les prisons construites actuellement, gigantesques et hypertechnologiques, sont loin de ce modèle…
Le contrôleur général préconise un rapprochement des professionnels pénitentiaires et des soignants – dans le respect du secret médical. Il conseille aussi aux médecins d’investir un peu plus les cellules et les coursives. Car les contrôleurs soulignent avant tout «la très grande solitude de ces malades» et tout particulièrement des personnes étrangères. Certains psychiatres exigent des demandes de rendez-vous écrites – que nombre de malades, plus encore quand ils ne parlent pas la langue, ne sont pas en mesure de faire. Surtout que demander à voir un psy est souvent un signe de faiblesse en prison, voire le meilleur moyen d’être «soupçonné d’être auteur d’infraction à caractère sexuel ce qui, dans tous les cas, le désigne à la vindicte».
Libération
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