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mardi 11 mars 2014

L'architecture des prisons, un casse-tête non résolu

Dans son rapport annuel, rendu public mardi 11 mars, le contrôleur général des lieux de privation de liberté appelle l’exécutif à repenser l’architecture carcérale.
 
L’immense majorité des prisons françaises est calquée sur un schéma très ancien hérité du XIXe  siècle.

Désireux d’innover, les architectes doivent souvent batailler contre l’administration pénitentiaire pour qui la sécurité prime.

Quitter la vétuste prison lyonnaise de Saint-Paul pour le centre pénitentiaire ultramoderne de Corbas (Rhône), Steeve en a rêvé pendant des mois. Jusqu’à son transfert un jour de 2009. Une fois sur place, il a vite déchanté. « Corbas, c’était propre, aussi nickel qu’un hôpital, se souvient l’ancien détenu. Mais tout était automatisé, il y avait des sas et des caméras partout, on se serait cru dans un film de science-fiction. »

Fonctionnelle, parfaitement sécurisée, la prison de Corbas a pendant un temps incarné la prison du futur. Un temps seulement. Les violences à répétition et les suicides en série ont fini par en faire un contre-exemple.

Juguler la surpopulation carcérale

« C’est dans les prisons les plus récentes que le mal-être des détenus se révèle le plus profond, note l’aumônier Vincent Feroldi. Les lieux ont été mal conçus, de sorte que les condamnés se sentent à la fois plus isolés et plus oppressés. »

Un constat partagé par le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, qui a choisi de consacrer toute une partie de son rapport annuel à l’architecture en prison. Son but : inciter les pouvoirs publics à réfléchir à la prison de demain, eux qui ont plutôt eu tendance, ces vingt dernières années, à construire dans l’urgence en vue de juguler la surpopulation carcérale. Les établissements sont pratiquement tous conçus sur le même modèle : un bâtiment principal de plusieurs étages, des cellules fermées donnant sur de longues coursives, une cour de promenade entourée d’un mur d’enceinte doté de miradors.

Cette organisation spatiale fait de la cellule le lieu central de la vie en détention, ce qui n’encourage ni à la socialisation, ni à la réinsertion, ni à la responsabilisation du détenu, confiné dans sa cellule 22 heures sur 24.

Humaniser la prison

Quelques architectes ont pourtant tenté de repenser l’univers carcéral au début des années 1980, encouragés par le ministre de la justice de l’époque, Robert Badinter. « Il y a eu durant cette période une véritable volonté d’humaniser la prison, se souvient l’architecte Guy Autran. À ce moment-là, on a joui d’une vraie liberté. »

C’est d’ailleurs de cette époque que date la prison de Mauzac (Haute-Garonne). Unique en son genre, l’établissement s’organise autour d’une vaste cour centrale partagée, chose rarissime, par les détenus et par le personnel. Les cellules, elles, sont agencées sous forme pavillonnaire.
Ce fut le seul et unique projet carcéral véritablement original de ces trente dernières années. Tous les autres ont échoué.

Lieux de socialisation

Car la moindre innovation fait l’objet d’interminables tractations entre architectes et surveillants. Quand les premiers ambitionnent de repenser en profondeur l’organisation carcérale, les seconds réclament avant tout une sécurisation maximale des lieux.

« L’administration pénitentiaire repousse tout ce qui sort de l’ordinaire, y compris les choses les plus anodines, déplore Guy Autran. Il y a quelques années par exemple, j’ai suggéré que les services sociaux, les salles de cours et le gymnase soient visibles depuis l’atrium central de la prison. L’idée était de créer des lignes de fuite vers l’extérieur et d’attirer les détenus vers ces lieux de socialisation. L’administration a refusé, au motif que cela risquait de divertir les détenus et donc de ralentir les déplacements à l’intérieur de la prison. »

Marotte des architectes

« Les architectes se font plaisir en imaginant sur leur planche à dessin la prison du troisième millénaire », rétorque un surveillant. À l’entendre, « libérer l’espace visuel » serait la grande marotte des architectes.

« Ils préconisent systématiquement de réduire le nombre de sas de sécurité séparant les coursives et d’ôter les filets de sécurité placés au-dessus de l’atrium central, explique ce surveillant. Pour avoir ce genre d’idées, il faut vraiment ne rien connaître à la prison ! Les filets empêchent les détenus de se suicider en sautant de la coursive et les sas permettent de ralentir le mouvement en cas de mutinerie. Ce n’est peut-être pas esthétique, mais pour l’heure, on n’a rien trouvé de mieux ! »

Administration pénitentiaire

Désireuse de faire évoluer les établissements pénitentiaires sans se mettre à dos le personnel pénitentiaire, la chancellerie s’est fixé des objectifs modestes. Mais elle s’y tient.

« Nous avons pris acte des critiques formulées à l’encontre des prisons construites ces dernières années, assure Morgan Tanguy, à la sous-direction de l’administration pénitentiaire. À l’avenir, nous prévoyons des établissements plus petits, de 500 places au lieu de 700, afin de lutter contre le caractère trop impersonnel des relations entre surveillants et détenus. Nous veillerons aussi à construire à proximité des centres urbains, afin de faciliter les visites des familles. »

Des engagements qui ne révolutionneront pas la vie en détention mais qui, selon Jean-Marie Delarue, vont déjà dans le bon sens.

La Croix

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