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samedi 19 avril 2014

En prison, «on gère des flux, mais pas des individus»

Christian Mouhanna, chercheur au CNRS, est chargé d'évaluer les instances de dialogue mises en place en milieu carcéral. Des dispositifs encore trop rares et trop peu soutenus, selon lui.

Un gardien à la prison des Baumettes, en juin 2013 à Marseille.
 
Depuis plusieurs années, Christian Mouhanna, chercheur au CNRS et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), travaille avec l’administration pénitentiaire sur la réduction des violences en milieu carcéral. Il est actuellement chargé d’évaluer les dispositifs de médiation mis en place dans certains établissements pilotes, dont le centre de détention de Val-de-Reuil (Eure), auquel Libération consacre un reportage. «Le plus difficile, c’est d’assurer la pérennité de ces expériences», explique le chercheur.
Quels sont les premiers enseignements que vous tirez de votre travail d’évaluation ?
Que les gens aient des dissensions, c’est normal dans tout groupe humain, et peut-être encore plus en milieu carcéral. L’enjeu, c’est que ces dissensions ne débouchent pas sur des violences. C’est d’ailleurs un constat d’échec pour un établissement, car cela veut dire qu’il ne maîtrise pas ce qui se passe en son sein. Trop souvent, il faut que les détenus aient une stratégie de désordre et d’agitation pour qu’on commence à s’intéresser à leurs problèmes. Les dispositifs de dialogue expérimentés dans quelques établissements, comme Val-de-Reuil ou Arles, sont intéressants car ils permettent de faire ressortir les problèmes autrement qu’à la suite de bagarres ou de violences. Mais on se rend compte qu’il est difficile de les faire vivre dans le temps.
Pour quelles raisons ?
Cela tient du sacerdoce pour les directeurs de ces établissements. Cela leur demande beaucoup d’énergie. Il faut donc qu’ils soient soutenus par l’administration centrale. Or, on ne peut pas dire que les directeurs de l’administration pénitentiaire (AP) ont tous eu le même investissement. Claude d’Harcourt [directeur de l’AP entre 2005 et 2010, ndlr], quoi qu’on pense de lui, a eu la volonté de faire appliquer les règles pénitentiaires européennes. D’autres étaient plus intéressés par le principe du «zéro évasion» et par l’apaisement des tensions avec les syndicats de surveillants. Mettre en place un dialogue au sein de la prison oblige à secouer une certaine inertie, à innover, voire à se heurter à la pression du personnel.
L’administration pénitentiaire est donc un peu schizophrène ?
Il y a en effet un discours paradoxal. L’une des missions de l’administration pénitentiaire est de faire des détenus des citoyens, de les responsabiliser. Or, ils sont trop souvent infantilisés. On gère des flux, mais pas des individus qui ont leurs propres problèmes. Le dossier est aussi politique. L’idée commune dans la société, c’est que les personnes emprisonnées vont retenir la leçon et ne plus y revenir. Ce n’est pas toujours vrai, la prison peut totalement déstructurer. Je pense notamment aux détenus condamnés à de très petites peines, accueillis pour quelques mois, et qui repartent sans aucune plus-value.
Les syndicats de surveillants majoritaires, aux discours parfois très clivants, ne semblent pas en faveur de ce dialogue…
Individuellement, les surveillants peuvent être partants pour une évolution de leur métier. Mais collectivement, le groupe est contre. Il y a une espèce de honte à reconnaître un rôle social et le fait qu’on ne peut pas être uniquement dans le rapport de force.
Libération

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