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dimanche 18 mai 2014

L’ancienne prison de Loos : une invitation au pillage ?

Depuis sa fermeture en octobre 2011, la prison de Loos, qu’on aperçoit depuis l’A25, est « the place to be » pour les pillards en tout genre, rôdeurs, photographes, etc. Tout cela au nez et à la barbe d’une administration pénitentiaire impuissante.
 
La maison d’arrêt et le centre de détention, les deux parties de la prison, ont ainsi été littéralement dépouillés, et des dossiers de détenus ont même disparu, en fumée. Reportage derrière les épais murs de brique, avant la démolition, dont la première phase débute à la fin du mois.
« Voilà, c’est fini. 16/10/2011. » Au marqueur bleu sur les carreaux blancs de faïence des anciennes douches de la maison d’arrêt, un discret tag fait référence à la fermeture de la prison, aujourd’hui plus ouverte que jamais. En longeant l’enceinte, des briques plus claires que les autres évoquent d’anciens trous, rebouchés. « On a comblé plusieurs trous, au moins dix fois depuis un an. C’est un éternel recommencement », commente Alain Jégo, directeur interrégional de l’administration pénitentiaire.

Faire le tour de la prison conduit vite à un passage, creusé dans la brique rouge à coups de masse. Un chariot est disposé juste en dessous du trou, histoire de faciliter la descente. À peine le pied posé à terre, on rencontre déjà deux photographes parisiens, un pied stabilisateur à la main. Ils sont venus ici pour immortaliser ce qui est devenu une friche, avant la déconstruction. Celle de la maison d’arrêt (partie réservée aux prévenus, ou aux courtes peines) devrait débuter réellement fin 2014. La partie centre de détention, sise dans une ancienne abbaye, devrait échapper aux bulldozers. Et servir, le cas échéant, pour la prochaine prison, qui ne sera pas construite avant 2015, celle-ci ne figurant pas au budget triennal du ministère de la Justice.

Clichés de charme

Malgré les arrestations répétées, en ce moment « presque tous les jours », selon Alain Jégo, de promeneurs en effraction, il semble bien que l’ex-maison d’arrêt soit très fréquentée. Il y a deux semaines, une mineure a été appréhendée par la police. Elle posait pour des clichés de charme, pour un photographe, mais détenait l’autorisation écrite de ses parents. Dans une coursive de la maison d’arrêt, au sol, un scénario de film qui prend les cellules pour décor. Il était même question d’y organiser une rave-party il y a quelques mois : un projet, abandonné, avait circulé sur Facebook.
Surtout, depuis octobre 2011, la prison a constitué un supermarché pour les voleurs.

L’administration pénitentiaire n’a pas fait garder les lieux. Sauf les locaux des Équipes régionales d’intervention et de sécurité (ÉRIS) : après une tentative d’intrusion, alors que des armes lourdes étaient stockées là, l’administration pénitentiaire a été dans l’obligation de mettre en place du gardiennage de nuit.

Kilos de cuivre

Mais à l’intérieur de la prison, des kilos de cuivre ont été dérobés. Sur un mode quasi industriel. « En une nuit, tous les câbles électriques avaient été sectionnés, témoigne une source pénitentiaire. Une autre fois, toutes les portes des cellules du centre de détention avaient été ouvertes, pour récupérer le cuivre des lavabos. C’était hallucinant. » L’électricité a été coupée plusieurs fois sur tout le site, par les voleurs qui s’attaquaient directement au générateur.

Plus grave, dans le centre de détention, étaient restées des fiches comportant des renseignements très personnels sur les détenus : leurs noms et le type d’infractions pour lequel ils étaient incarcérés, ainsi que la commune où ils résident, avec leur photo. Un incendie s’est déclaré il y a plusieurs mois à l’endroit même où ces fiches étaient stockées. Elles sont parties en fumée, alors que ces renseignements doivent légalement être conservés. Par ailleurs, plusieurs sources nous ont informés que des équipements, comme un fauteuil tout neuf, encore dans son plastique d’emballage, étaient restés entreposés dans la prison, à la merci des pillards. Alors que la pénitentiaire manque de moyens. Lors de notre visite, nous avons vu des photocopieuses, des machines à laver ou des téléphones. Dans un espace couvert de graffitis colorés, où flotte une ambiance paisible, presque comme sur un site religieux. Un site d’où les fidèles repartent rarement les mains vides, aux frais de la pénitentiaire, donc du contribuable.

Zoom

5 052. C’est le nombre de détenus actuellement emprisonnés dans les onze établissements que compte la région Nord – Pas-de-Calais. Pour 4 094 places. En 2013, il y en avait 154 de plus. Reste que la surpopulation est évidente. La réouverture d’une prison à Loos pourrait atténuer ce phénomène.

17 hectares. C’est la superficie du terrain de la prison. Une grandeur qui explique que l’administration pénitentiaire est dans l’impossibilité de sécuriser le site.

30 000 m3. C’est la quantité d’eau qui s’était déversée, l’année dernière, dans les caves de la prison, à la suite de l’arrachement et du vol d’une vanne.

L’ancienne abbaye sera sauvée

Le centre de détention (destiné aux détenus qui purgent de longues peines, contrairement à ceux d’une maison d’arrêt) de Loos a été aménagé en 1820, dans une ancienne abbaye. Cette abbaye avait été construite au XVIIe siècle, à l’emplacement même d’un monastère cistercien, fondé en 1146.

Lorsque le projet de déconstruction de l’ancienne prison loossoise devint public, des associations de sauvegarde du patrimoine, comme Renaissance du Lille Ancien, montèrent au créneau pour conserver l’ancienne abbaye, à la majestueuse façade rouge.

Ils ne parvinrent pas à la faire classer par le ministère de la Culture, mais, selon les informations du directeur interrégional de l’administration pénitentiaire, Alain Jégo, les associations eurent gain de cause auprès du ministère de la Justice. Anne Voituriez, actuelle maire de Loos, auparavant dans l’opposition, a également tout fait pour sauver ce patrimoine communal, bien que situé sur les terres ministérielles.

« Il nous est demandé de conserver l’ancienne abbaye », appuie Alain Jégo. Et d’ajouter : « On prépare le terrain en ce sens, pour reconstruire une prison sans détruire cette partie abbaye. »

« De multiples gens rôdent »

La direction interrégionale de l’administration pénitentiaire est sévèrement mise en cause par les syndicats de surveillants, qui lui reprochent son incurie, à propos de l’ancienne prison de Loos. La parole au directeur, Alain Jégo.

Des documents, des objets, dont des dossiers de détenus, ont été laissés dans l’ancienne prison. À la merci de n’importe qui. Pourquoi l’administration pénitentiaire n’a-t-elle pas vidé les locaux ?
               
« La maison d’arrêt va être déconstruite. En revanche, le centre de détention est un bâtiment que nous gardons. Un certain nombre de documents y ont été amenés pour les ranger et les archiver. Ce sont des éléments que nous souhaitions conserver. Mais le risque est présent sur le site. De multiples gens rôdent sur le domaine. C’est extrêmement compliqué à gérer. Plusieurs personnes sont arrêtées pour intrusion, voire pour dégradation, presque tous les jours. Nous déposons systématiquement plainte. Et nous avons bouché plusieurs trous, au moins dix fois en un an. C’est un éternel recommencement. »

Vous ne pouvez rien y faire alors ?
               
« Nous allons être amenés à prendre d’autres mesures, je ne peux pas en parler maintenant. Mais on ne va pas continuer à laisser se dégrader ce lieu, ça c’est certain. »

Parce que des renseignements confidentiels traînent sur les détenus…
               
« Un certain nombre de documents émanaient de dossiers de personnes détenues. Mais tout était sous clef, dans le centre de détention. Tout a été forcé, défoncé, à coups de barres, de disqueuses. On avait même soudé les portes, mais ils s’y sont attaqué. Dans la maison d’arrêt, il n’y a plus que des saletés, à faire partir à la benne. »

Êtes-vous certain de conserver l’ancienne abbaye, à savoir le centre de détention ?
               
« Au moment de la fermeture, fin 2011, un certain nombre de demandes avaient été exprimées par les associations de sauvegarde du patrimoine, notamment Renaissance du Lille Ancien, auprès de l’ancienne Garde des Sceaux. Qui avait accepté. Il nous est donc demandé de conserver le centre de détention. Dans la perspective d’une reconstruction, on prépare le terrain pour. »

Le camp rom, installé sur l’ancien parking, ne pose-t-il pas problème pour le chantier de démolition ?
               
« Il n’y a pas de problème pour le moment. On va commencer la démolition par les anciens logements de fonction des personnels pénitentiaires, fin mai. Pour ce qui est de la démolition de l’ancienne maison d’arrêt, je ne sais pas si cette installation posera problème. Mais le parking est nettement plus occupé que ce qui était prévu. »

Les logements de fonction du personnel pénitentiaire étaient parfois refaits à neuf, avec du parquet. N’est-il pas dommage de tout démolir ?
               
« Dans ces logements de fonction, il n’y a plus de portes, plus de fenêtres, tout a été démonté, arraché, il ne reste plus que les murs. C’est extraordinaire la vitesse à laquelle tout est parti. »

Qu’adviendra-t-il du camp de Roms ?

Officiellement, l’administration pénitentiaire ne voit pas de problème à conserver un camp rom sur le parking de l’ancienne prison de Loos, alors que la première phase des travaux de déconstruction est tout près de débuter.

Officieusement, selon plusieurs sources policières et associatives, tout est fait pour engager les Roms à partir d’eux-mêmes de ce terrain.

Une quarantaine de familles roms, de Bulgarie, Croatie et Macédoine, s’étaient installées sur le parking en avril 2013. Résultat d’un arrangement entre l’administration pénitentiaire, propriétaire du terrain, la préfecture et LMCU. « La Garde des Sceaux Christiane Taubira avait donné son accord », précise Alain Jégo, directeur interrégional de la pénitentiaire. L’installation était provisoire. « Ils avaient dit aux Roms qu’ils devaient partir dans quelque temps », indique Bruno Mattéi, du collectif ATD Quart Monde. À l’époque Anne Voituriez, actuelle maire de Loos, jadis opposante, s’était élevée contre cette décision, avec virulence. Aujourd’hui, sa véhémence se fait moins audible.

En attendant, les Roms, actuellement beaucoup plus nombreux que ce qui était convenu, subissent, selon les associations, une pression pour s’en aller d’eux-mêmes et, ainsi, qu’on évite la mauvaise image d’une évacuation.

Un contrôle de police d’ampleur, rassemblant une quinzaine de cars de CRS, avait eu lieu dans le camp à la mi-avril. Selon Bruno Mattéi, la police aurait alors donné aux Roms « un mois pour foutre le camp ». En tout cas, alors qu’on parle de 250 Roms à présent installés sur le parking de l’ancienne prison, ils n’étaient qu’une centaine lors de ce contrôle de police. L’opération, censée être surprise, avait, selon toute vraisemblance, fait l’objet de fuites.

La déconstruction de l’ancienne maison d’arrêt ne devrait pas débuter avant septembre, selon Alain Jégo. C’est à partir de là que le camp rom risque de poser problème.

La Voix du Nord

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