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mercredi 4 juin 2014

Islam en prison: comment les détenus se radicalisent

Selon ses proches, l'auteur présumé de la tuerie de Bruxelles s'est radicalisé lors de sa détention en France. Un cas qui jette une lumière crue sur le phénomène de prosélytisme religieux qui se développe dans les prisons. 
Islam en prison: comment les détenus se radicalisent
L'administration pénitentiaire compte 1248 aumôniers agréés, dont 169 dédiés au culte musulman.
Du braquage au djihad, il y a un fossé que Mehdi Nemmouche a visiblement franchi. Ce Français de 29 ans, arrêté vendredi à Marseille, est suspecté d'avoir commis le quadruple meurtre au Musée juif de Bruxelles (Belgique) après avoir mené la guerre sainte en Syrie. Un grand écart pour celui qui, jusqu'ici, a été uniquement condamné pour des vols mineurs.  

Plusieurs éléments laissent penser que sa radicalisation s'est opérée en prison. Il y a d'abord les témoignages de ceux qui l'ont côtoyé, qui affirment que Mehdi Nemmouche ne faisait aucune allusion à la religion avant sa détention. Et puis, il y a ses comportements suspects durant son incarcération: appels à la prière collective, port de la barbe et de la djellaba notamment. Même si de telles pratiques ne font pas d'un détenu un djihadiste.

Entre fondamentalisme et djihadisme

Comme Mehdi Nemmouche, ils sont moins de 100 détenus à être fichés par le renseignement de l'administration pénitentiaire "pour des liens avec la mouvance islamiste", rapporte le ministère de la Justice. Un chiffre à nuancer toutefois tant la radicalisation d'un prisonnier peut être difficilement détectacle. "Cela fait une quinzaine d'années que nous avons identifié ce phénomène", raconte le secrétaire général de l'UFAP UNSA Justice, Jean-François Forget. "En prison, il y a un terreau de gens désociabilisés, sans repères, avec des comportements propices à la radicalisation. Nous les signalons à l'administration mais n'avons pas de retour sur ce qu'ils font de nos informations".
Mohamed Merah ou encore Jérémie Sidney... Nombre de petits délinquants versent dans l'islam radical sans que l'on sache vraiment si la case prison en est la cause. Pour Farhad Khosrokhavar, auteur de L'Islam dans les prisons, il faut distinguer fondamentalistes et djihadistes. Les premiers prôneraient un islam des origines et les seconds, la violence et le meurtre des non-musulmans. "Pour moi, Mehdi Nemmouche est devenu hyper salafiste en prison mais djihadiste après son voyage en Syrie", avance le sociologue à L'Express. "Ceux qui sont djihadistes en prison ne se font pas remarquer avec des appels à la prière. Ils savent qu'ils sont surveillés. De même, il y a des milliers de salafistes en France qui ne deviennent pas tous djihadistes".

Déficit d'aumôniers

Pour contrer le phénomène de radicalisation, des aumôniers sont chargés de prêcher un culte modéré. Mais ils ne sont que 1248 agréés par l'Etat pour plus de 68 000 détenus. Parmi eux, seuls 169 représentent le culte islamique contre 655 pour le culte catholique. Pourtant, d'après un rapport du Contrôleur général des lieux de privation des libertés, daté de 2011, 30% à 40% des détenus sont musulmans.
Yanisse Warrach est l'un des 169 aumôniers du culte musulman. Il travaille au Centre pénitentiaire d'Alençon-Condé. Payé 500 euros par mois quand d'autres sont bénévoles, il a été maintes fois confronté au phénomène des imams radicaux autoproclamés, qui profitent du déficit d'aumôniers. "Ce sont des détenus qui ne comprennent pas l'islam, qui ne parlent même pas arabe", déplore-t-il. "Scolairement, ils ne sont pas habitués à réfléchir et ne font aucun effort d'interprétation. Ils réduisent le Coran à un message de haine alors que c'est un texte qui ne se livre pas comme ça."

Un prosélytisme musclé

Selon l'aumônier, ces prédicateurs sont d'autant plus dangereux qu'ils profitent de la faiblesse des détenus en situation d'échec pour les embrigader. Et leurs méthodes de prosélytisme sont musclées. "Certains interdisent aux autres détenus de cuisiner de la nourriture non halal, traitent les autres de mécréants ou se bagarrent dans la cour. Ils viennent même casser mon prêche du vendredi et me traitent d'agent de l'Etat!" Parfois, les détenus n'ont même pas besoin d'un tiers pour se radicaliser. Ils se nourrissent allégrement dans la littérature salafiste, pourtant interdite mais difficilement contrôlable, qu'ils récupèrent aux parloirs.
Pour preuve que le gouvernement a conscience du problème, 15 nouveaux aumôniers à temps plein ont été inscrits au budget 2014. Il en faudrait pourtant entre 400 et 500 de plus selon Yaniss Warrach. Sur Europe 1 ce lundi, Bernard Cazeneuve a plaidé pour que "des imams formés qui savent ce qu'est l'islam, qui en ont la culture, aillent expliquer cela dans les prisons." Le ministre de l'Intérieur doit présenter un plan d'ici le 25 juin, en liaison avec la Chancellerie, pour lutter contre le radicalisme islamiste en milieu carcéral. 
L'Express

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