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lundi 2 juin 2014

Taubira joue son va-tout sur la réforme pénale

Christiane Taubira a réussi un tour de force : résumer en quelques lignes, lundi 2 juin, pour les lecteurs du Parisien, son projet de loi sur « la prévention de la récidive et l'individualisation des peines », qui sera examiné, en procédure accélérée, à partir de mardi par l'Assemblée nationale. Un texte technique, difficile, qui cristallise autour de lui la haine de la droite pour la garde des sceaux, la peur diffuse de la société et les critiques de la gauche judiciaire. Et les hésitations du gouvernement.

C'est un texte paradoxal. Il n'a objectivement rien de révolutionnaire et comporte de sérieuses incohérences. Mais c'est en même temps le premier pas d'un changement radical de la pratique judiciaire, conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe et à la pratique de la plupart des pays voisins. Des pays qui regardent avec stupéfaction les polémiques françaises sur une peine de probation que l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas, les pays scandinaves ou le Canada ont adoptée depuis des années.
L'entretien au Parisien était prévu de longue date, bien avant que la ministre se soit fait recadrer mercredi 28 mai par le chef de l'Etat pour avoir essayé d'aller un peu au-delà du timide texte gouvernemental. Il s'agit pour Christiane Taubira d'un texte clé, moins symbolique que le mariage pour tous, mais qui aura plus de prises sur la société.

Lire : Comment François Hollande a rappelé à l'ordre Christiane Taubira

L'opposition s'indigne de son supposé laxisme. « On m'accuse de vider les prisons, alors qu'on vient de battre deux fois des records de surpopulation carcérale », répond la ministre au Parisien – c'est bien la première fois qu'elle en fait un argument. « En quoi suis-je laxiste ? Depuis deux ans, c'est magique, j'entends ça tous les jours mais personne ne me donne un seul exemple. » A gauche, on s'inquiète de la mollesse du texte, vidé d'une partie de sa substance en août 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, après arbitrage de François Hollande. Toute la faiblesse du gouvernement se résume dans ce non-choix : on accepte le principe d'une peine de probation, mais tellement bridée qu'elle n'aura pas d'impact sérieux.

A l'origine, l'objectif était que l'emprisonnement, qui incontestablement favorise la récidive – 63 % des sortants de prison sans aménagement de peine sont à nouveau condamnés dans les cinq ans –, cesse d'être la peine de référence, comme le prévoyait d'ailleurs la loi pénitentiaire adoptée par la droite en 2009. On créait à côté une peine de probation, rebaptisée contrainte pénale pour faire plus sévère, une vraie peine avec de lourdes contraintes et un suivi sérieux, mais sans être adossée à la prison – pour les délits, pas les crimes. Il y aurait eu ainsi trois sanctions : la prison, la probation, les amendes.

Premier accroc, la contrainte pénale n'est plus détachée de l'emprisonnement – les juges peuvent incarcérer le condamné qui ne respecte pas ses engagements. Or, toutes les études le prouvent, la sortie de la délinquance (la désistance) se fait par paliers, et les récidives, de moindre gravité, sont inévitables. Du coup, on ne voit pas bien la différence entre la contrainte pénale et le sursis mise à l'épreuve, qui existe depuis 1958 et est la peine la plus prononcée en France (160 000 par an). Il y en a une, pourtant : la contrainte pénale doit faire l'objet d'un suivi serré, et est destinée, à terme, à absorber le sursis.

Lire le post de blog : La réforme pénale : les vraies questions

Il faut pour cela des moyens. On en manque, a reconnu Christiane Taubira : « Sur les cinq années à venir, 1 400 magistrats vont partir à la retraite, et les recrutements décidés sous le précédent quinquennat n'ont pas permis de pallier ces départs. » Les promotions de l'Ecole nationale de la magistrature ont été multipliées par trois, et la ministre a obtenu la création de 500 postes par an, magistrats, greffiers, fonctionnaires. Mille conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation vont être recrutés, soit une augmentation de 25 %, inédite dans la fonction publique. « C'est encore un peu juste », a reconnu Dominique Raimbourg, le rapporteur PS de la loi.

Le texte supprime les peines plancher, de moins en moins utilisées mais encore responsables de 15 000 années d'emprisonnement chaque année, pour les délits les moins graves. Il supprime aussi la révocation automatique des sursis laissée à l'appréciation du juge : le tribunal condamnait parfois à une petite peine un voleur de pommes, sans savoir, compte tenu des délais d'inscription au casier judiciaire, qu'il avait une peine de plusieurs années au-dessus de la tête.

Enfin, un « rendez-vous » obligatoire est organisé aux deux tiers de la peine, pour examiner la possibilité d'une libération conditionnelle. Pour l'heure, 80 % des condamnés sortent de prison avec leur petit sac de plastique sans aucun suivi (les « sorties sèches »), et même 98 % pour les peines de moins de six mois.

Le texte prévoit encore une possible « césure » du procès pénal, comme pour les mineurs : le tribunal condamne, indemnise les victimes, et un conseiller de probation réalise, dans un délai de quatre mois, une évaluation détaillée du délinquant, à nouveau convoqué par le tribunal pour y entendre sa peine. C'est certes lourd pour les tribunaux.

Dominique Raimbourg, après plus de 300 auditions, a rédigé un texte de compromis, adopté le 27 mai par la commission des lois, auquel les députés socialistes se sont ralliés à la quasi-majorité. L'intense lobbying du ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, prisonnier comme tous ses prédécesseurs du poids des syndicats de policiers, tente ces derniers jours de les faire fléchir.

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