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lundi 19 janvier 2015

Jean-Louis Bruguière: "Il faut des prisons dédiées aux djihadistes"

Invité par la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, l’ancien juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière était à Toulon jeudi. Il revient sur les attentats de la semaine dernière.

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En 2013 vous redoutiez des attaques contre les intérêts français à l'extérieur du pays. Comment réagissez-vous aux attentats de la semaine dernière ?

Comme tous ceux qui sont impliqués opérationnellement dans la lutte contre le terrorisme - je veux parler des gouvernants et de l'ensemble des services de renseignement et de police -, je n'ai pas été surpris par ces attaques, mais par leur modalité. Il ne s'agit pas d'attentats aveugles, mais bien d'attaques ciblées, organisées, planifiées. En s'en prenant à la rédaction de Charlie Hebdo, les frères Kouachi n'ont pas frappé au hasard mais se sont attaqués à un symbole de notre démocratie : la liberté d'expression.
 
Vous êtes en train de nous dire que ces attentats étaient prévisibles ?

Depuis deux ans, avec le nombre de personnes parties en Syrie ou en Irak, on voit bien que la courbe de la radicalisation, des recrutements par les djihadistes est exponentielle. L'affaire Merah en 2012, puis la tuerie du musée juif de Bruxelles en 2014 ont fait monter la pression. D'autant plus que la France est impliquée dans la lutte contre le terrorisme. Au Mali, mais aussi au Sahel et en Irak, respectivement contre Aqmi et Daesh. On savait que la menace d'attentat suivait une courbe ascendante. Malheureusement, et quelle que soit l'efficacité des services français, à un moment il y a un trou dans les mailles du filet. C'est ce qu'ont connu Madrid en 2004 et Londres l'année suivante. Ceci étant, et même si al-Qaïda s'était promis de venger le prophète, je ne m'attendais pas à une résurgence de la thématique des caricatures à ce moment-là.
Y a-t-il eu une faute des services de renseignement français ?

À partir du moment où une attaque terroriste se concrétise, c'est qu'il y a eu une faille. Mais on ne peut pas suivre 200 « objectifs » à la fois. A un moment, si, malgré le travail des services de renseignement, on n'a rien de concret sur un individu, ça devient compliqué de justifier la poursuite de son suivi.

Quelle leçon peut-on déjà tirer des attaques de la semaine dernière ?

Il va falloir un nouveau cadre légal accordant des moyens accrus aux services de renseignement, notamment en matière de suivi d'objectifs « dangereux ». Plus de moyens humains aussi. La lutte antiterroriste n'a jamais été un enjeu politique Il y a consensus sur cette question. Mais le problème sera de financer tout ça au vu des difficultés budgétaires.

On voit bien que la théorie du « loup solitaire » ne tient plus.

Personnellement, je n'ai jamais été favorable au concept de « loup solitaire ». Le fait qu'un djihadiste de retour du Moyen-Orient commette un attentat de façon isolée ne signifie pas qu'il n'a pas bénéficié d'un soutien ayant favorisé son passage à l'acte. On le voit avec les attentats des 7 et 9 janvier, revendiqués par al-Qaïda dans la péninsule arabique. Même s'il y a une part de récupération, il est probable que le projet des frères Kouachi soit né au Yémen. Quant à Coulibaly, je serais surpris qu'il ait agi par hasard, au même moment, au nom d'une filière différente (Daesh).

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