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mercredi 28 janvier 2015

Le renseignement pénitentiaire, ou le petit frère qui prend du galon

Longtemps, il a fait figure de parent illégitime dans la famille du renseignement. Mais en posant le problème de la radicalisation islamiste en prison, les affaires Merah et Nemmouche, et maintenant les attentats parisiens, montrent l'importance du renseignement pénitentiaire, bientôt doté de nouveaux moyens.
Une "zone grise", un "chaînon cassé": élus, syndicalistes et policiers pointent ses insuffisances par rapport à ses prestigieux aînés, en premier lieu la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Mais les choses commencent à changer. Le responsable du bureau du renseignement pénitentiaire Bruno Clément-Petremann, sous-directeur de l'état-major de sécurité (EMS), défend un service "qui grandit" et se professionnalise. "Avec l'effectif qui est le leur et l'immensité de la tâche, il faut le dire, ils font un travail remarquable", relève aussi le président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas.

Douze ans après sa création en 2003, le bureau, surnommé "EMS3", compte 13 permanents. En tout, le renseignement pénitentiaire s'appuie sur environ 70 équivalents temps plein, dont des personnels dédiés dans les prisons. Pour suivre 850 personnes qui "paraissent présenter, à quelque titre que ce soit, un véritable danger", dont près de 160 sont détenues pour des affaires de terrorisme islamiste, détaille Bruno Clément-Petremann.

Les tueries perpétrées par Mohamed Merah, à Toulouse, ou Mehdi Nemmouche, à Bruxelles, ont accéléré la prise de conscience de l'importance de ce travail. Ces jeunes délinquants semblent avoir basculé dans l'islam radical en prison, tout comme, déjà, Khaled Kelkal, impliqué dans les attentats de 1995, mais aussi Amédy Coulibaly, tueur de l'Hyper Cacher. "On a dit: +tiens, la pénitentiaire, c'est quand même un lieu de radicalisation+", constate Bruno Clément-Petremann.

- Grille 'inopérante' - 

Or la radicalisation, c'est un processus qu'il faut documenter. Et prévenir. "On travaille sur le sujet depuis une dizaine d'années" mais avec une "grille" de détection dont "on se rend bien compte qu'elle est inopérante aujourd'hui", concède le responsable du renseignement pénitentiaire. Malgré un nombre de détenus classés islamistes en augmentation, le nombre des faits de radicalisation signalés n'a, lui, pas évolué.

Le renseignement pénitentiaire compte sur la nouvelle donne. Un nouveau programme spécifique va permettre de "construire de nouveaux outils de détection en lien avec les personnels", se réjouit Bruno Clément-Petremann. Et après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, le gouvernement en a fait un axe de son plan contre le terrorisme et a promis 66 postes supplémentaires.

Mais les personnels attendent plus. "On remonte l'info, mais on ne sait pas comment aller la chercher. Il nous faut une formation spécifique", réclame un surveillant sous couvert d'anonymat.
Aujourd'hui, à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire (Enap), il faut se contenter d'un module "renseignement" de trois heures au cours d'une formation de huit mois, dont une bonne partie de stages.

Bruno Clément-Petremann mise sur la formation continue et a créé depuis deux ans, avec l'Enap, un module d'une semaine bâti par les personnels de l'EMS3.

L'autre "problématique que nous font remonter les collègues, c'est l'interaction entre les différents services", rapporte Christopher Dorangeville, du syndicat CGT Pénitentiaire, "le retour sur les données que nous envoyons est minime".

En cause, essentiellement la DGSI, qui, selon une source proche du dossier, a "du mal à partager".

- Le 'problème' des écoutes - 

"On devient de plus en plus un partenaire et de moins en moins un appendice, ou une source", répond le patron du renseignement pénitentiaire. "On dit de plus en plus souvent: +ok pour vous donner de l'info, mais s'il y a des retours. Sinon, on ne vous en donnera plus+."

L'info, les agents pénitentiaires la tirent de l'étude des comportements, des correspondances et de l'écoute des conversations sur les téléphones fixes. "On a l'avantage de travailler avec une population captive", observée, jour et nuit, par des surveillants, souligne M. Clément-Petremann.
Malgré cela, "les écoutes dans les prisons, c'est un vrai problème", s'inquiète une source policière.
Car les portables, qui pullulent en détention, n'ont pas d'existence officielle et ne peuvent, théoriquement, pas faire l'objet d'écoutes - une "absurdité juridique", selon M. Urvoas. "Il n'y a qu'en cas de procédure judiciaire que la DGSI peut procéder à une écoute pour identifier le propriétaire" du mobile, précise le député socialiste, tandis que "pour une procédure administrative, elle ne le peut pas".

Mais le grand chantier se passe hors les murs: outre les 67.000 détenus des prisons françaises, il faut s'intéresser aussi aux 173.500 personnes suivies à l'extérieur.

Depuis un an, des membres de l'EMS3 sensibilisent les personnels d'insertion et de probation, pour qu'ils contribuent au renseignement. Lorsqu'ils règlent un boîtier de surveillance électronique au domicile, par exemple, ou quand l'employeur les informe sur le comportement au travail. Pour Bruno Clément-Petremann, "il y a énormément de choses qui se passent et de renseignements à récupérer sur le milieu ouvert".

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