A Vivonne (Vienne), les surveillants de prison enregistrent un incident par jour : entrée illicite de stupéfiants ou de téléphones portables. Témoignages.
Elle semble inviolable, grise, lisse, ceinturée de grilles et de câbles, plantée sur une petite butte dominant les alentours. Et pourtant.
Elle est poreuse. Pas seulement à l'eau qui commence à s'insinuer dans les fissures apparues sur le béton de sa structure. Shit et téléphones portables sont parmi les visiteurs les plus fréquents du centre pénitentiaire de Vivonne.
Détenus fragiles : une proie facile
« Nous enregistrons un incident par jour, témoignent des surveillants de prison. La semaine dernière, encore, nous avons saisi une soixantaine de grammes de shit lors d'un parloir. On a aussi trouvé des cachets de couleur bleue en grande quantité, on ne sait toujours pas ce que c'est. Vu la quantité, c'était clairement pour du trafic. »
A Vivonne, le shit arrive par le « tunnel » et les portables tombent du ciel. Coffrage et parachutage sont les deux mamelles qui abreuvent les détenus. La drogue est « coffrée » de l'intérieur. Comprenez que les barrettes sont placées dans un préservatif enduit de vaseline puis introduites dans le rectum de la mule chargée de la livraison au parloir.
Quant aux portables, les modèles miniatures suivent la même voie, passés en deux fois pour contrer les détecteurs, ou tombent carrément du ciel, des smartphones dernier cri solidement emmaillotés dans du papier bulle et de la mousse.
« En ce moment, on a beaucoup de parachutages », commente un surveillant. Malgré le désert entourant la prison, des collines dévolues à l'agriculture dominées par les miradors, les livraisons se déroulent sans souci majeur. « Il y a deux endroits d'où les gens balancent les paquets en direction des cours de promenade de la partie centre détention ou de la partie maison d'arrêt. Ils approchent au plus près et puis ils lancent aux heures des promenades. L'été, c'est encore plus facile pour eux, ils sont cachés par les cultures. Les gendarmes viennent de temps en temps, mais, c'est comme nous, ils n'ont pas les moyens d'être là en permanence. »
Les surveillants de prison ne sont pas aveugles. Ils voient le manège. Mais après, il faut encore pouvoir intervenir.
La cour est divisée en deux parties, séparée par un mur, surplombée par une cabine de surveillance. Le gardien qui s'y trouve voit quand un objet tombe. Mais après, c'est une autre affaire. Le colis est réceptionné et arrive à son destinataire. « Ils savent très bien à qui c'est destiné d'ailleurs, assure un surveillant. Ce n'est pas parce qu'on a vu qu'on va pouvoir récupérer le téléphone. L'été quand vous avez une centaine de détenus à la promenade et trois surveillants pour assurer la sortie, c'est impossible de fouiller tout le monde. Alors ça passe ! »
Les mules à shit coincées au parloir sont soumises à la pression de détenus aguerris et de leurs familles, expliquent les surveillants. « Les détenus sensibles sont surveillés, eux on va les fouiller. Mais ce n'est pas par eux que ça va passer. Ils font pression sur des détenus plus fragiles, qui sont les premières victimes. Ce sont eux qui doivent faire la mule, ce sont leurs familles qui sont obligées de leur donner la drogue. Ceux qui ne veulent pas, ils en payent le prix. »
La fumette généralisée, c'est en soirée, confirment les surveillants. Et pas question de chercher d'où ça vient. « D'abord, la nuit, on ne peut pas ouvrir les cellules, sauf pour une urgence vitale. Et on n'a pas le droit de fouiller une cellule sans autorisation du directeur. Et puis après, vous savez, tout le monde utilise du tabac à rouler, alors, allez voir si c'est un pétard ! »
“ On dégrade la sécurité de l’établissement pénitentiaire ”
Ils savent, ils voient, mais ne peuvent pas tout contrer. Ils rongent leur frein, parent au plus grave. Les surveillants de prison, à Vivonne comme ailleurs, se sentent abandonnés. De leur administration centrale. Des parlementaires qui exercent leur contrôle. « Notre directrice de l'Administration pénitentiaire nous l'a dit, on n'aura pas de moyens », explique Jean-Laurent Kim Foo, représentant du syndicat UFAP.
Documents en main, il pointe les trous dans les plannings du jour. Autant de surveillants en moins. Autant de détenus en plus à « surveiller » pour le collègue. Mais quelle surveillance ? Deux yeux pour soixante détenus. « On dégrade la sécurité de l'établissement », glisse le syndicaliste. « Il n'y a que les jours de visite d'élu, de préfet ou d'exercice que tout le monde est là », lâche un autre.
« Et ils parlent encore de diminuer l'effectif de nuit, douze pour surveiller six cents détenus ! » Ils veulent le dire pour que le public, dehors, comprenne pourquoi on peut voir sur Internet des détenus exhiber librement ce qu'ils veulent : argent, drogue ou téléphone.
Les parlementaires font des réponses polies à leurs courriers d'alerte, ils viennent parfois visiter, « mais on n'a jamais de retombée concrète », déplore Jean-Laurent Kim Foo.
Plus que tout, c'est l'interdiction des fouilles à nu systématiques d'après parloir qui focalise les récriminations des surveillants. La justice les a interdites, la loi pénitentiaire les limite aux cas de fortes suspicions. Ingérable, selon les surveillants.
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