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lundi 14 septembre 2015

236 universitaires militent pour un réel statut du travail en prison

Le Conseil constitutionnel « doit sonner le glas d’un régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux des personnes incarcérées », soutient une pétition d'universitaires, qui appellent l’Etat à « être exemplaire », à la veille de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, mardi 15 septembre, déposée par l'Observatoire international des prisons (OIP).

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Le texte de la pétition, signé lundi 14 septembre, par 236 universitaires dont une forte proportion de professeurs de droit, a été lancé par Philippe Auvergnon, directeur de recherche au CNRS et l’un des meilleurs spécialistes du travail en prison, et deux professeurs de droit, Julien Bonnet (université de Montpellier), et Cyril Wolmark (Paris-Ouest-Nanterre-La Défense).

Droits des détenus travailleurs : du déni à une reconnaissance ?

En prison, il y a des détenus qui travaillent. Il n’y a pas de droit du travail. Dépendants des besoins de l’administration pénitentiaire ou mis, par cette dernière, à disposition d’entreprises « concessionnaires », les travailleurs détenus perçoivent 20, 25%, 45% au mieux du SMIC horaire. C’est là leur seule assurance. Pour le reste, ils ne bénéficient d’aucun droit, d’aucune stabilité. Pour une large part, ils restent soumis à un système de rémunération à la pièce, illégal depuis fin 2010, sans pouvoir exercer de droits syndicaux.
 
Sur le terrain du temps de travail, ils peuvent aussi bien ne pas bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire qu’être appelés au travail quelques heures seulement durant le mois. Ils n’ont droit à aucune indemnité en cas d’accident du travail ou de maladie. L’exclusion de toutes formes de contrat de travail en prison s’accompagne ainsi de celle d’autres droits sociaux, y compris fondamentaux, reconnus internationalement à toutes personnes en situation de travail. Certes, les normes de santé et de sécurité au travail sont censées être respectées ; mais l’inspection du travail n’a ici qu’une fonction de conseil de l’administration pénitentiaire. Quant à l’intervention de la médecine du travail, elle n’est tout simplement pas prévue.
 
On ne compte plus les voix qui, depuis près d’un quart de siècle, ont dénoncé un travail réalisé sans droits et sans contrat. Faut-il encore une fois rappeler que dans la peine d’emprisonnement, la seule punition prévue par la loi est la privation de liberté ? De rapports en rapports, des associations, des universitaires mais aussi des parlementaires de tous bords, des organes de contrôle internationaux et nationaux n’ont eu de cesse d’exhorter les pouvoirs publics à doter le travail pénitentiaire d’un véritable cadre juridique.

« Le temps est venu de légiférer »

Les Règles pénitentiaires européennes précisent, depuis des années, que « l’organisation et les méthodes de travail dans les prisons doivent se rapprocher autant que possible de celles régissant un travail analogue hors de la prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale ». Pourtant, encore récemment, le Contrôleur général des lieux de privation de libertés s’interrogeait: « au nom de quels principes d’exécution des peines maintenir un dispositif qui s’apparente davantage aux conditions de travail du premier âge industriel qu’à celle de la France de ce jour ? » Et de conclure que « le temps est venu de légiférer ».
 
Malgré les recommandations récurrentes, l’évolution de droits de pays européens et la diversité des propositions faites pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le travail pénitentiaire, l’inertie a jusqu’ici prévalu, forte de la nécessité des personnes détenues de travailler au moins quelques heures, y compris à n’importe quelles conditions. La discussion d’une loi pénitentiaire en 2009 avait fait naître l’espoir de voir le législateur traiter de la question sérieusement.

Il faut un statut juridique

Mais, en se réfugiant derrière l’argument d’une « prison attractive pour les entreprises », on a préféré laisser aux règlements et aux pratiques administratives le soin d’envisager, d’expérimenter, quelques droits épars. En fait et en droit, on s’est refusé à faire reculer l’incertitude et l’arbitraire. Pourtant, si l’on souhaite que le travail en prison contribue éventuellement à la réinsertion, il doit devenir synonyme de dignité pour la personne détenue. Il faut pour cela lui donner un statut juridique. C’est ce à quoi le législateur doit être contraint.
 
Le 15 septembre, le Conseil constitutionnel examinera la conformité à la Constitution de l’un des deux seuls articles de loi organisant le travail pénitentiaire. Il a une occasion historique de revenir sur ce déni de droit. Si son intervention laisse entrevoir une lueur d’espoir, le doute est également permis. Saisi, il est vrai sous un autre angle, de la question du travail en prison, il y a deux ans, le Conseil constitutionnel s’était dérobé en soulignant toutefois que le gouvernement pouvait « améliorer » le régime existant.
 
Saisi cette fois centralement de la nature juridique inconnue de « l’acte d’engagement », censé être passé entre l’administration pénitentiaire et le détenu-travailleur...

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