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jeudi 17 septembre 2015

Lutter contre l’illettrisme derrière les barreaux

À la maison d’arrêt d’Arras, plus d’un quart des détenus sont en situation d'illettrisme. Pour faire baisser ce triste record, les professeurs de l’unité locale d’enseignement (ULE) tentent tant bien que mal de leur dispenser des cours. Reportage à l’"école de la prison".

Crédit photo: Hélène Fargues
 
"Ça fait du bien de revenir, c’était long", lâche Marc*, grand gaillard blond à la mâchoire carrée. Depuis à peine une semaine, l’unité locale d’enseignement (ULE) de la maison d’Arras a fait sa rentrée, après deux mois d’interruption estivale.

Le calme règne dans la salle de classe de cette "école" de la prison, ouverte sur un couloir entrecoupé de portes métalliques. Une dizaine de détenus planchent sur du français ou des mathématiques.

Face à la diversité des parcours, les exercices ont été adaptés au niveau de chacun. Pour Marc, ça sera des conjugaisons au futur de l’indicatif. À 29 ans, il espère, comme la plupart de ses codétenus scolarisés ici, passer son certificat de formation générale (CFG). Il prise cette sorte de brevet allégé, "histoire d’avoir quelque chose à mettre sur le CV", dit-il.

Mais face à lui, Gilles rencontre plus de difficultés. Il bute face à des exercices sur le champ lexical de la maison. "Est-ce que ‘extérieur’, c’est dedans ou dehors?", demande-t-il au professeur. À 37 ans, il forme des lettres rondelettes et lit péniblement. Scolarisé jusqu’à l’âge de 15 ans, il semble avoir perdu tout automatisme d’écriture ou de lecture, mais cherche à progresser, "pour écrire des lettres à sa femme et ses cinq enfants".

Pour Gilles, détenu à la maison d'arrêt, écrire demande beaucoup d'efforts et de concentration. Crédit: Hélène Fargues.
 
Comme lui, 28% des détenus de cette maison d’arrêt ont été identifiés comme illettrés, soit bien au-dessus de la moyenne nationale des prisons françaises estimée par le ministère de la Justice à 10,9%. D’après Laure Henniche, l’assistante de formation, cela peut s’expliquer par la sociologie des détenus. "Ici on trouve beaucoup de jeunes, qui ont cessé leur cursus en sixième et qui viennent de milieu défavorisés. Beaucoup de détenus ont atterri ici à la suite de conduite en état d’ivresse, de violences sous emprise de l’alcool et enchaînent les peines". Problème, le manque de maîtrise de la lecture est un handicap en prison, où les échanges par écrit sont la norme depuis une vingtaine d’années, comme l’a exposé le sociologue Patrick Collin. Pour solliciter un entretien ou des renseignements auprès des différents services, la rédaction de courriers est quasi-systématique, sans quoi il faut formuler sa demande par oral aux surveillants ou se faire aider par un codétenu.

Repérer l'illettrisme grâce à un test spécifique

Parmi les "nouveaux arrivants" de la maison d’arrêt d’Arras, Laure Henniche accueille ceux qui veulent bien la rencontrer, pour faire le point sur leur possibilités d’études ou de formation. "Je vois à la manière dont ils tiennent leur stylo et s’ils écrivent comme en CP quel est leur niveau. Avoir la main tremblante est aussi un signe, bien que cela puisse être aussi lié à un manque de drogue ou d’alcool", juge-t-elle.

Si certains signalent d’eux-même leurs difficultés, beaucoup usent de stratagèmes pour les dissimuler. "Certains me disent qu’ils n’ont pas leur lunettes, mais quand j’envoie un surveillant les chercher, ils sont bien obligés de m’avouer qu’ils ne savent pas écrire".

À tous ceux qui ne déclarent aucun diplôme et ceux qui ont dû mal à remplir leur fiche de renseignements, Laure Henniche fait passer un test de repérage de l’illettrisme appelé LPP (lecture population pénitentiaire), généralisé depuis 1995 à l’ensemble des établissements pénitentiaires français. "Je dis à la personne qu’elle a été désignée par mon ordinateur pour passer le test. Ce n'est pas vrai, mais cela évite de stigmatiser le détenu".

Des personnes illettrées prioritaires

Selon la loi pénitentiaire, les personnes ne parlant pas français, illettrées ou sans diplôme, sont censées bénéficier en priorité des enseignements. Pour autant, toutes les personnes illettrées ne franchissent pas la porte de l’unité locale d’enseignement de la maison d’arrêt. Le rapport d’information [pdf] sur l’application de la loi pénitentiaire, rendu le 4 juillet 2012 par les sénateurs Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat, relevait que moins de la moitié (45%) des détenus illettrés ou analphabètes suivait des formations de base en français langue étrangère (FLE) ou de lutte contre l’illettrisme, pour une moyenne hebdomadaire de 6 heures de cours. "Malgré la privation de liberté, on ne peut pas obliger les détenus à aller à l’école. Mais c’est peut-être pas plus mal car quelqu’un de réticent nuirait au bon fonctionnement des cours", estime Stéphane Wallaert, directeur de la maison d’arrêt d’Arras.

Les détenus qui fréquentent l'unité locale d'enseignement font preuve de détermination. Crédit: Hélène Fargues.
 
Absence de motivation, peines trop courtes pour s’inscrire dans une démarche d’apprentissage, problèmes psychiatriques, ou manque de place en cours… Pour ces adultes, suivre un enseignement ne va pas de soi. "En prison, c’est très difficile de dormir, donc de suivre le rythme. De plus, l’école est considérée comme un truc de femmes. Ceux qui se déplacent jusqu’à ma salle de classe font preuve d’une grande détermination", estime Michel Krupka, responsable de l’unité locale d’enseignement. Ce professeur des écoles se bat depuis plus de 20 ans pour défendre l’éducation en prison.
Unique enseignant à temps plein pour environ 200 détenus, il a adapté sa manière de travailler et innové dans ses méthodes pédagogiques, face au turnover de la population carcérale. Comme lorsqu’il explique à un de ses élèves le principe d’une retenue dans une soustraction en lui faisant imaginer des "barrettes de shit". Son cours est un repère dans la journée des détenus: "J’écris toujours la date au tableau, car certains ignorent quel jour, quel mois, voire en quelle année nous sommes". Il gère aussi un système de bourses, qui permet de récompenser les plus assidus et de soutenir les plus modestes. La fondation M6 et l’association nationale des visiteurs de prisons (ANVP) épaulent ainsi les détenus à hauteur de 40 euros par mois. La somme est modique, mais permet de se procurer quelques produits de nécessité à la cantine.

Le professeur Michel Krupka explique à un détenu comment effectuer une soustraction. Crédit: Hélène Fargues.
 
Michel Krupka a aussi contribué à instaurer un atelier...

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