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mercredi 14 octobre 2015

Manque de moyens, laxisme judiciaire : la grande colère des policiers

À situation exceptionnelle, mobilisation exceptionnelle.
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Les commissaires de police, qui n’avaient pas défilé aux côtés des gardiens de la paix depuis l’affaire du Plessis-Trévise en 2001, participeront à la manifestation qui aura lieu aujourd’hui à 12 heures place Vendôme, sous les fenêtres de la garde des Sceaux, Christiane Taubira.
Tous mobilisés suite à l’affaire de la fusillade survenue le 5 octobre à l’Ile-Saint-Denis (93) au cours de laquelle un de leurs collègues de la brigade anticriminalité (BAC), âgé de 36 ans, a été grièvement blessé par un détenu en fuite qui n’avait pas réintégré sa cellule après une permission de sortie, le 27 mai. En région, les policiers se rassembleront devant les tribunaux de grande instance.
«Y en a marre du laxisme judiciaire ! », explose un gradé de la région parisienne. « On se sent vidés, blessés, vannés, fustigés, humiliés », répond un gardien de la paix nantais. Délégué USG-Police – FO dans l’Ille-et-Vilaine, Stéphane Chabot, qui monte à Paris, explique que la manifestation a lieu « contre les problèmes de procédure pénale, et pas contre le ministre ».
Le mouvement, lancé par son syndicat après les événements tragique du 9-3, a pris de l’ampleur. Notamment en raison du profil de l’assaillant : très défavorablement connu des services de police, comme son complice, il s’est radicalisé au contact de l’islamisme pénitentiaire et s’est retrouvé libre suite à une permission de sortie. Une permission accordée manifestement sans discernement.
 
  «Les budgets de l’équipement baissent de 5 à 6% par an et c’est nous qui trinquons »
 
« Il y a des textes de loi votés par les gouvernements de ces dernières années – de droite et de gauche – qui mettent en danger la vie des policiers et de nos concitoyens », explique le syndicaliste rennais. « Par exemple ces permissions accordées très libéralement par les juges d’application des peines, et qui ne font pas l’objet d’un suivi suffisant car on ne cesse de raboter les effectifs des SPIP ». Qui déplore le manque général de moyens, d’argent et d’effectifs. « Dans les années 1990, on réformait les voitures à 80.000 km, maintenant c’est 120 voire 150.000 km et leur disponibilité s’effondre. Idem, après 2001 on a eu un gilet pare-balles par fonctionnaires, mais ils se périment au bout de cinq ans et n’ont pas tous été remplacés. Les budgets de l’équipement baissent de 5 à 6% par an et c’est nous qui trinquons », explique-t-il. Il fustige aussi le décalage entre les effectifs théoriques et les besoins réels, surmultipliés par la paperasserie : « dans les années 1990, on était 300 fonctionnaires dont 180 sur la voie publique. Aujourd’hui, on est toujours autant, mais non seulement la population des communes de l’agglomération rennaise a augmenté, mais en plus les 80 fonctionnaires qui sont dans les bureaux sont débordés parce qu’il y a des tonnes de procédures à faire et le nombre d’affaires à traiter ne cesse d’augmenter ; ça ne va plus du tout ! ».
 
Dans le Morbihan, son collègue Dominique Le Dourner donne le sentiment général : « On se f… de nous. Le type qui a tiré sur notre collègue est un délinquant dangereux, qui n’aurait jamais du sortir, et qui est libre comme l’air depuis plusieurs mois. Encore ! ». Lui et ses collègues ont « l’impression de bosser pour des prunes puisque les juges relâchent tout le monde. On remplit un seau percé ». Et les effectifs ne cessent de baisser : « c’est un gros problème, tant pour nous que pour la gendarmerie ou la pénitentiaire. On rame de tous côtés pour rattraper les conneries de la RGPP décrétée par Sarko ». Pour lui, la police doit « au minimum » retrouver le niveau de 2008. Soit embaucher 7 à 8000 agents. « Parce que là, quand on est mobilisés sur de grosses opérations comme Sivens, le maintien de l’ordre à Calais ou Notre-Dame des Landes, on ne peut plus être en même temps dans nos circonscriptions pour protéger les honnêtes gens des cambriolages ».
 
  «Nous sommes chefs de service et nous soutenons le ras-le-bol de nos hommes»
 
Du côté des gradés, le discours est sensiblement le même. Céline Berthon, secrétaire générale du syndicat des commissaires de la Police Nationale (SCPN), a expliqué à Breizh-Info que c’était une « situation exceptionnelle, à double titre : parce que nous sommes chefs de service et nous soutenons le ras-le-bol de nos hommes, et que nous en avons nous même marre et nous voulons continuer à pouvoir remplir nos missions ». Les syndicats de commissaires ont été reçus par Bernard Cazeneuve, mais ils n’ont pas le sentiment d’avoir été écoutés : « bien sûr, le ministre a exprimé son soutien aux policiers, y compris ceux qui sont tombés au devoir, mais il a aussi présenté ses priorités et il veut continuer à cumuler, empiler, sans faire un effort sur les moyens ». A savoir lutter à la fois pour plus de sécurité routière, contre les cambriolages, le trafic d’armes, mais aussi « traiter » la pression migratoire et lutter contre le terrorisme.
 
« Notre problématique principale, c’est l’usure des ressources. Les hommes, les moyens, les véhicules. Il y a de moins en moins d’effectifs. Les voitures sont fatiguées». Mais pas seulement. Céline Berthon appelle de ses vœux « une profonde réforme de la procédure pénale : elle est trop lourde et trop longue pour des résultats pas à la hauteur des espérances et des efforts fournis ». Elle refuse de mettre en cause le laxisme judiciaire : « le juge il est comme nous, il est face à une masse énorme et il faut qu’il tranche. Mais plus les procédures sont complexes et plus elles ont de points de fragilité ». Plus délicatement, elle parle de « décisions pas en adéquation avec nos réalités policières ». Bref, des délinquants dont le casier rappelle la collection de la Pléïade se retrouvent dehors ou avec du sursis, ce qui ne les incite pas vraiment à arrêter leurs activités criminelles. Céline Berthon demande aussi « un cadre juridique de l’emploi des armes », notamment pour élargir la légitime défense : « il faut que les policiers soient en mesure de fixer ou de neutraliser les auteurs d’une tuerie. Aujourd’hui, la loi ne permet pas aux policiers de mettre hors d’état de nuire l’auteur d’un massacre tant qu’il ne leur a pas tiré dessus. C’est ubuesque. »
 
Ce haut gradé de la police préfère rester discret. Il se souvient de 2001 : « à l’époque, on avait gagné 15% de revenus en plus. Le gouvernement nous avait acheté quoi. Là, ils vont sûrement nous dire qu’il n’y a pas d’argent et tenter de nous acheter ». Comment ? « En débloquant les promotions : suite à l’allongement de la durée de travail, tout est gelé, et plein de policiers sont bloqués dans leur carrière, ils ne peuvent pas évoluer ». La solution a l’avantage de coûter moins cher qu’une augmentation générale des salaires et bien moins qu’une remise à niveau des effectifs et des moyens des forces de l’ordre.
 
 « À un moment ou à un autre, ça va craquer et ce sera vraiment trop tard »
 
« Le problème », continue le haut gradé, « c’est qu’on ne veut pas de mesures personnelles, on ne veut pas se vendre, ce qu’on veut, c’est pouvoir travailler en paix ! Arrêter de bosser pour des prunes, c’est simple à comprendre, non? Dans les commissariats, la détresse des policiers explose ». Et, dans l’indifférence générale, le nombre de suicides aussi.
 
« Entre Sarko qui a tout réduit, effectifs et moyens, et ce gouvernement dont l’ADN semble être anti-flics, avec Taubira qui s’est visiblement donnée pour mission de vider les prisons tandis que Valls, comme Sarko avant lui, brasse du vent en clamant que le pays est de plus en plus sûr alors qu’il est de plus en plus sécuritaire – ce n’est pas pareil – on est au point de rupture », résume un policier finistérien. « Soit le gouvernement nous sort de la panade qu’il a lui-même contribué à aggraver, soit à un moment ou à un autre, ça va craquer et ce sera vraiment trop tard ». A bon entendeur…

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