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lundi 25 janvier 2016

Des unités dédiées contre la radicalisation en prison

A compter du 25 janvier, trois "Unités dédiées" hébergent chacune une vingtaine de détenus, dans les prisons de Fresnes, Osny et Lille-Annoeullin.


Tous sont incarcérés pour des faits en lien avec le terrorisme djihadiste. C’est la 1ère étape du projet de lutte contre la radicalisation en prison lancé par l’administration pénitentiaire.

135 personnes rentrées de Syrie et d'Irak sont actuellement en détention en France, la plupart dans l'attente d'être jugées.


Comment  "traiter" ces détenus, appelés à être de plus en plus nombreux au fil des mois - 600 français sont en ce moment dans les zones de combat -, pour lutter contre le prosélytisme islamiste entre les murs, mais aussi pour qu’ils renoncent à tout projet d’action violente ? C'est pour répondre à ces questions que l'administration pénitentiaire ouvre ce lundi 25 janvier des "Unités dédiées" dans trois prisons de France, à Fresnes, Osny (dans le Val d'Oise) et Lille. Deux autres unités ouvriront en mars à Fleury-Mérogis.

Comment ces unités dédiées fonctionnent-elles ?

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La première étape, essentielle, c'est l'évaluation des détenus, de leur degré de radicalité et d'imprégnation religieuse, de leur risque de passage à l'acte, bref de la singularité du parcours de chacun. A Fresnes et à Fleury, où sont situées les deux "Unités dédiées" consacrées à l’évaluation (celle de Fleury ouvrira en mars), les détenus passent d'abord par cette phase de diagnostic, d'une durée d'un mois. Ensuite, les individus identifiés comme les plus à risque poursuivront leur détention à l'isolement.  A contrario, certains, déjà dans une démarche de prise de conscience avancée, et qui ne présentent pas de risque de prosélytisme, iront en détention ordinaire. Ceux pour qui l'administration pénitentiaire estime qu’une prise en charge spécifique est nécessaire et possible seront répartis dans les trois "Unités dédiées" à ces programmes à Osny, Lille et Fleury.

Un suivi intensif pendant 3 à 6 mois

Chacune de ces Unités accueille entre 20 et 30 détenus, pour une période de prise en charge de 3 à 6 mois. Il s'agit d'un quartier à l'intérieur de la prison (un étage par exemple) où les détenus sont en cellule individuelle . A Osny, les détenus vont suivre des cours obligatoires, 6H par semaine, en partenariat avec l’éducation nationale. L’accent est aussi mis sur la formation. Educateurs, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, psychologues, surveillants, tous spécialement formés, assurent le suivi renforcé, individuel et collectif, de ces détenus. Autre volet essentiel : le travail en groupe de parole, et les rencontres avec des personnalités extérieures à la prison : chercheurs (géopolitique, histoire des religions...), djihadistes repentis, victimes du terrorisme... dans l’espoir de créer un déclic chez ces détenus.

Une première expérience de ce type a été menée, depuis dix mois, auprès de 4 groupes de détenus, à Osny et Fleury-Mérogis. Cette "recherche-action" est pilotée par l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT) en partenariat avec l’Association Dialogues citoyens de la sociologue Ouisa Kies. Le programme s’adressait à des détenus volontaires et de tous profils, pas uniquement incarcérés pour des faits liés aux filières djihadistes. Le bilan de cette expérience est attendu pour le mois de février, mais l’administration pénitentiaire s’en est d’ores et déjà inspirée pour les programmes des Unités dédiées.

Avec cette différence qu’il s’agit, dans les "Unités dédiées", uniquement de détenus incarcérés pour des infractions en lien avec le terrorisme, et que le programme est obligatoire. Les détenus ne reçoivent aucune contrepartie (comme par exemple des remises de peine supplémentaires) en échange de leur participation. Dans un second temps, l’administration pénitentiaire envisage de faire passer par ces "Unités dédiées" des détenus de droit commun (incarcérés pour des violences, des vols, etc...) qui présentent un profil radical.

Objectif : désengagement de la violence et prévention de la récidive

Géraldine Blin est la directrice du projet "Lutte contre la radicalisation" à l’administration pénitentiaire. Elle a suivi de près la "recherche-action" menée à Osny, puisqu’elle dirigeait jusqu’en décembre le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation du Val d’Oise. Elle a vu des détenus changer grâce à ces programmes, par l'effet du débat et de la contradiction, ou de certaines rencontres. La mère d'une des victimes de Mohamed Merah, Latifa Ibn Ziaten, a fait ainsi forte impression sur certains, explique Géraldine Blin.

Au bout du processus, c'est des gens qui se reconnectent avec eux-mêmes, et qui font l'expérience de la relation positive avec l'autre. Ils ont trouvé un espace de sociabilisation, un espace de dialogue, auquel ils n'avaient pas forcément eu accès avant. D'un coup, la contradiction et le questionnement émergent... Et on accompagne ce questionnement, avec l'objectif de ce retour sur soi. Certains intervenants les ont marqués. Pour les uns, ce sont les repentis, pour d'autres, le témoignage d'une victime, notamment Latifa Ibn Ziaten. La souffrance a eu un effet de résonnance chez eux, et ils se sont sentis concernés. C'est variable, ce qui va les toucher, selon les individus.

La finalité de ce suivi intensif, rappelle Géraldine Blin, « c'est d’amener ces détenus à se désengager de la violence, pour prévenir la récidive ». Au mot de "déradicalisation", elle préfère celui d'"Engagement citoyen", qui implique une participation active des détenus. A l'issue du programme mené dans les "Unités dédiées", les détenus seront à nouveau évalués, pour mesurer leur évolution, le changement de leur comportement, avant et après la prise en charge. But : mesurer son efficacité, et l’améliorer, en lien avec des universitaires qui aident l'administration pénitentiaire à construire des outils d'évaluation fiables.

Un défi pour les 30 ans à venir

Tout le monde en a conscience à l’administration pénitentiaire : les résultats ne se mesureront qu’à long terme, et à la condition que ces détenus continuent d’être suivis, dans et hors les murs. Un défi pour, au moins, les 30 années à venir.

France Inter

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