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vendredi 29 janvier 2016

SOUS LES UNIFORMES, DES TATOUAGES LIVRENT UNE HISTOIRE

Arnaud Théval vient de signer une quatrième exposition à l'Enap issue de sa résidence «Le tigre et le papillon ». Il a photographié 130 tatouages d'élèves surveillants de la 189e promotion en cours.

Des peaux qui racontent des histoires personnelles sous l'uniforme formel. / Photo Jean-Michel Mazet

Une démarche artistique originale est menée par Arnaud Théval en résidence à l'Enap. Depuis un an et demi, cet artiste bordelais s'est immergé dans le monde forclos de ces hommes et femmes de l'ombre.


Une approche qui a donné lieu à une première installation in situ baptisée «La 187e dans un premier temps». À savoir, un remake du moment «fondateur» où chacun des élèves surveillants se voit remettre par l'administration, son uniforme.

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Un rite initiatique où le néophyte se glisse dans la peau du surveillant de prison. Dans le cadre d'une deuxième installation «Scènettes au choc carcéral», Arnaud Théval a sondé les élèves de la 187e, à leur retour de stage, sur leurs ressentis après avoir été confrontés pour la première fois au milieu carcéral.

Des phrases chocs et des impressions qu'il a recueillies et couchées sur le papier. La troisième installation «La Rencontre avec les femmes de la 188e», reposait sur une série d'images qui se sont appuyées sur le livre de Cécile Rambourg, enseignant chercheur : «Origine et évolution de la féminisation de l'administration pénitentiaire».

«Under the skin»

Enfin Arnaud Théval a présenté hier sa quatrième installation à l'extérieur de l'ENAP. Un très beau travail sur des tatouages photographiés et assemblés sur des grandes affiches : «J'ai pu à plusieurs reprises lors des remises des uniformes ou en détention, voir les corps, les avant-bras ou les cous tatoués des surveillants.

Les motifs débordent de l'uniforme, non pas par mépris, mais parce que sans doute la culture du tatouage a changé et qu'il devient improbable de les contenir».

L'artiste y voit un fait de société et une mode qui ont gagné l'administration pénitentiaire. «Une façon de parler de soi en l'assumant publiquement et une identification à des codes».

Portraits intimes

Après avoir gagné la confiance des modèles, l'artiste a souhaité réaliser des portraits intimes qui révèlent leurs histoires et leurs singularités. Sur une promotion de 800 élèves surveillants, 130 sujets, hommes et femmes confondus, ont accepté de se livrer à l'objectif de l'appareil dans un studio improvisé.

Aucune directive n'a été donnée sur la gestuelle, ni les poses à tenir. Le résultat visuel est jugé chorégraphique. «Tous m'ont raconté l'histoire de leur tatouage. Des éléments forts de leur vie, une naissance, un décès ou une appartenance et qui s'apparentent à ce que l'on nomme extimité à la fois caché et publique».

Un terme lacanien pour traduire le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l'intimité. Arnaud Théval s'est intéressé aux motifs, aux phrases en anglais, aux chiffres romains qui rappellent des dates importantes et aux récurrences tels que les dragons, serpents, les signes tribaux de la culture Maori, gothiques (têtes de mort, christ, archange et grande faucheuse), des tigres et des symboles asiatiques.

Ces dessins qui se répètent sur les corps dévoilés, ont fait l'objet de trois photomontages et d'un triptyque. «Les gens cherchent à assumer des choix esthétiques et à les faire partager. Est-ce encore possible d'uniformiser les corps pour que tous les signes distinctifs disparaissent, quand on occupe une fonction ?», interroge l'artiste.

Plus largement, celui qui se plaît à investir des groupes sociaux dans des espaces de travail et de formation (ENAP, hôpitaux, lycée professionnel), souhaite analyser comment les archétypes sont bousculés dans le monde du travail via ces tatouages et comment l'art agite l'espace social. L'idée forte est de susciter le débat au-delà d'un intérêt purement décoratif.

Les élèves ont pu découvrir l'exposition qui leur est consacrée avec la remise d'une photo de groupe et d'un livret recélant leurs tatouages.

«Le Tigre et le Papillon» : De Nantes à l'Enap d'Agen

Depuis plus de dix ans soutenue par le ministère de la Culture et de la Communication, l'Enap complète la formation de ses élèves par des propositions artistiques (expositions, concerts, théâtre…).
L'école a donné en 2014 carte blanche à Arnaud Théval pour qu'il porte son regard artistique sur ce singulier métier de surveillant. «La réciprocité, l'échange, l'interconnaisssance et le respect nourrissent ce projet».

 C'est à l'issue de photographies prises dans la prison de Nantes vide, au lendemain du transfert des détenus, que son projet s'est orienté vers l'Enap...

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