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mercredi 23 mars 2016

A Saint-Pierre-et-Miquelon, la plus petite prison de France

Au coeur du centre-ville, le centre pénitentiaire de l’archipel accueille actuellement cinq détenus. Parfois, il y a plus de surveillants que d’incarcérés.

Perrin Cartella, direttrice du centre pénitentiaire et Daniel De Arburn, l'un des six surveillants.

Prison. Le terme revient souvent dans les conversations lorsque les habitants de l’archipel racontent leur quotidien. Prison à ciel ouvert du fait de l’enclavement insulaire, prison aux barreaux dorés du fait de la tranquillité du caillou et du taux très faible de délinquance. Mais derrière les métaphores et le sens figuré, certains Saint-Pierrais et Miquelonnais vivent en prison, au sens propre.


Sur l’archipel, le centre pénitentiaire est au coin d’une rue, entre le tribunal et la gendarmerie. 400 m2, cinq cellules, onze places, une cour de promenade de 30 m2. Neuf membres du personnel pour, actuellement, cinq détenus. Quinze au total sur l’année 2015. Et un budget avoisinant les 400 000 euros. « Nous devons être la plus petite prison de France et avoir le taux d’occupation le plus faible, explique Perrine Cartella, la directrice. Notre fonctionnement est évidemment atypique du fait de la configuration des lieux. » Mais principe de continuité territoriale oblige, le centre doit fonctionner comme en métropole.

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Des peines courtes

Atypique à ce point qu’à certaines périodes, les surveillants peuvent n’avoir personne à surveiller. « Dans ces cas-là, c’est moi qui ai l’impression de me sentir en prison, témoigne l’un d’eux, Daniel De Arburn. Les journées peuvent être longues. »

À Saint-Pierre, les peines de prison sont courtes : « L’an dernier, poursuit Perrine Cartella, la moyenne était de 89 jours. Notre centre ne peut, de toute façon, pas accueillir de détenus dont la peine excède les 7 ans d’emprisonnement. Si cela arrive, la personne est transférée en métropole. » Transférée aussi si de graves problèmes de comportements nécessitent un suivi particulier.

Alcool et violences conjugales

Ici, la porte de prison est, en majorité, ouverte pour des délits liés à l’alcool, l’un des fléaux de l’île, ou à des agressions et violences conjugales. Un seul détenu actuellement incarcéré est passé devant les assises pour viol. « La moitié des détenus est ici suite à une révocation de sursis ». C’est-à-dire qu’ils ont replongé. C’est le cas de Franck (1) : « On m’a vu dans un bar, j’avais pas le droit, alors j’en ai repris. C’est terrible d’être là, c’est tellement petit. T’as 45 mètres de long à marcher dans le couloir et t’as fait le tour. C’est à devenir dingue. »

C’est tout le paradoxe du lieu : pas de surpopulation carcérale, donc peu de tension avec les encadrants, des familles à deux pas, des activités proposées (salle de lecture et de musculation, cours scolaires), une disponibilité et une écoute du personnel. Mais la bulle peut vite étouffer et menacer d’éclater. « Quand un gars n’est pas bien, ça plombe tout le monde tant ils vivent en grande promiscuité, commente Daniel De Arburn. C’est compliqué aussi quand certains, qui ne s’aiment pas dehors, se retrouvent ici. On peut difficilement les séparer dans un établissement aussi petit. » Idem pour les surveillants : « parfois les détenus sont des copains d’école ou des voisins, faut mettre de la distance. »

"Tout se sait vite"

L’expression « être en quatre murs » prend tout son sens. « L’effet de contention est très fort, renchérit Alban Dabouis, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. Il y a inévitablement une souffrance aiguë de l’enfermement. Ici, c’est plus qu’ailleurs une société en modèle réduit. » Nommé depuis l’an dernier, son travail est justement de préparer la sortie des détenus dans l’autre mini société, celle du caillou. « Quand vous faites de la prison sur un archipel de 6 000 habitants, ça se sait vite. Le regard des autres est très pesant. Il est donc important de travailler à la réinsertion professionnelle qui va de pair avec la réinsertion sociale. »

Dans une île où la fameuse question « t’es un p’tit qui, toi ? » (NDLR, de quelle famille es-tu ?) peut être un sésame pour décrocher un job, obtenir un service, nouer des relations, un casier judiciaire peut miner une vie entière et celle des proches.

C’est pourquoi, la politique pénale de l’archipel est portée par une justice préventive et une alternative aux poursuites et aux peines, surtout pour les primo délinquants. Pas une clémence particulière mais une manière de tenir compte d’un quotidien sur des îles dont les barreaux naturels sont déjà si scellés. Des îles où la rumeur et le quand dira-t-on peuvent souffler aussi fort que le vent.

(1) : le prénom a été changé.

Ouest-france

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