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mardi 1 mars 2016

Face au terrorisme, l’enjeu du renseignement en prison

Le projet de loi « contre le crime organisé et le terrorisme » est examiné début mars par les députés.

Les effectifs du Bureau de renseignement pénitentiaire devraient être revus à la hausse.

Un amendement vise à donner de nouveaux pouvoirs au renseignement pénitentiaire, notamment pour mieux espionner les téléphones portables.


Dans la lutte contre le terrorisme, la prison est un lieu stratégique. Des détenus de droit commun s’y radicalisent et des réseaux s’y tissent entre terroristes et grands délinquants.

C’est ainsi là que Chérif Kouachi, le tueur de Charlie Hebdo, a rencontré son maître à penser, Djamel Beghal, mais aussi son complice d’armes Amédy Coulibaly, l’assassin de l’Hyper Cacher. « La prison n’est pas responsable de tout, puisqu’on sait que seulement 15 à 20 % des détenus pour terrorisme ont déjà été incarcérés, explique le député PS Sébastien Pietrasanta, spécialiste des questions de sécurité. Mais force est de constater que les terroristes qui sont passés à l’acte, les plus dangereux, ont fait des séjours en prison. »

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Plus de moyens pour le bureau du renseignement pénitentiaire

Face à ce phénomène, l’administration n’est pas désarmée. Elle dispose même, depuis 2003, d’un « bureau du renseignement pénitentiaire » (BRP) dont les effectifs ont été sensiblement augmentés depuis un an pour atteindre 150 agents. « Ils sont à la fois plus nombreux et mieux formés, souligne Sébastien Pietrasanta. Il faut désormais leur donner plus de moyens techniques. »

Pour cela, il a présenté avec deux députés LR un amendement au projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme, adopté en commission des lois, d’apparence technique mais aux fortes conséquences pratiques : le BRP devrait rentrer dans le « second cercle » des services de renseignement (le premier étant composé des six principaux services, dont la DGSI et la DGSE), ce qui va lui donner accès à tout un tas de nouvelles techniques de surveillance.

« L’enjeu principal, c’est l’IMSI catcher », résume Sébastien Pietrasanta. Ces ordinateurs sont capables d’aspirer, dans un périmètre donné, toutes les données des téléphones portables et le contenu des communications : les appels, les sms, les mails… En prison, ils permettront d’espionner non pas tel ou tel détenu, mais toute une aile de l’établissement.

De nombreux téléphones circulent en prison

Car bien que le portable soit interdit en prison, près de 30 000 ont été saisis l’an dernier. Bien davantage doivent donc circuler entre les mains des quelque 67 000 détenus. « C’est un très gros problème, reconnaît Chrisotpher Dorangeville, délégué national de la CGT pénitentiaire. Les téléphones rentrent par les parloirs ou par projection au-dessus des grilles, dans des colis, des balles de tennis… Quand on en enlève un à un détenu, on sait qu’il pourra en récupérer un autre dans la journée. »

Les détenus s’en servent pour communiquer entre eux, à l’abri des surveillants ou pour s’organiser avec l’extérieur. « J’ai connu un détenu qui mettait des filles sur le trottoir depuis sa cellule, un autre qui insultait ses victimes avec son portable », illustre Damien Pellen, secrétaire national du Syndicat nationale des directeurs pénitentiaires. Certains établissements disposent de brouilleurs mais ils sont très onéreux et peu performants : certains bloquent le réseau 3G mais pas 4G. D’autres brouillent l’ensemble des ondes de l’établissement, y compris les téléphones des surveillants et les systèmes de sécurité. De nouveaux modèles sont à l’étude. « La technologie avancera toujours plus vite que l’administration », prévient Damien Pellen, plutôt favorable, par pragmatisme, à l’utilisation des IMSI catcher.

Détecter la radicalisation

Appliqué au terrorisme, ce système pourrait notamment permettre de détecter la radicalisation de détenus pratiquant la taqîya – la dissimulation. « L’enjeu est d’objectiver un maximum de choses, pour ne pas seulement dépendre de la parole des détenus, qui disent qu’ils ont changé, qu’ils regrettent ce qu’ils ont fait… », explique Sébastien Pietrasanta.

Son rattachement au second cercle permettra aussi au BRP de sonoriser des cellules ou des parloirs, toujours en dehors de toute autorisation judiciaire. Un nouvel arsenal qui suscite toutefois des réservés. « Toutes ces techniques ne feront que développer la paranoïa des détenus, déplore un bon connaisseur de la prison. Or il ne suffit pas d’observer les personnes pour détecter une radicalisation, il faut pouvoir leur parler, nouer une relation… »

Christopher Dorangeville s’inquiète d’un « changement de paradigme. Nous sommes rattachés au ministère de la justice, défenseur des droits et libertés, pas au ministère de l’Intérieur » rappelle le syndicaliste. L’ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira s’était pour ces raisons opposée à la mesure déjà avancée lors de la loi renseignement, au printemps 2015. Le nouveau ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas y est, lui, très favorable.

La Croix

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