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jeudi 31 mars 2016

"Il fallait dépasser le clivage stérile sur les prisons"

L'un est socialiste et président de la Commission des Lois à l'Assemblée nationale. L'autre était encarté à l'UMP avant de prendre ses distances. Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot ont fait plume commune pour parler des prisons françaises.

Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot

 Fin 2015 sortait Prison, le choix de la raison*, le livre de Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot. Les deux hommes - l'un député socialiste, l'autre ancien secrétaire national de l'UMP - entendent penser la prison et dépasser l'éternel clivage droite-gauche sur ce dossier.

Dans une tribune parue en janvier dans le JDD, ils disaient vouloir "sauver un mécanisme pénal à bout de souffle, sur lequel plane la menace d'une politique ultrasécuritaire". Nous les avons rencontré jeudi dernier à l'Assemblée nationale, dans le bureau de Dominique Raimbourg, devenu président de la Commission des Lois suite à l'entrée au gouvernement de Jean-Jacques Urvoas, successeur de Christiane Taubira à la Justice. Ils reviennent sur la genèse de cet ouvrage et détaillent quelques-unes de leurs propositions.

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Ces derniers jours, la question d'une "perpétuité réelle" pour les terroristes est revenue. Qu'en pensez-vous?

Dominique Raimbourg. Aujourd'hui, il existe des condamnations à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans ou de 30 ans pour les viols suivis de meurtre sur mineur et les assassinats de personnes dépositaires de l'autorité publique. On vient aussi, dans la nouvelle loi sur la criminalité organisée qui va partir au Sénat, d'étendre la perpétuité de 30 ans aux actes terroristes. On a tous les outils nécessaires.

Après, avoir un débat sur une espèce de perpétuité qui serait fixée à l'avance et bloquée à tout jamais, c'est impossible. Pour plusieurs raisons : on ne laisse pas mourir des gens en prison, et la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a déjà dit que le fait de n'avoir aucune possibilité d'aménagement est un traitement barbare et inhumain. C'est une querelle inutile et une position purement démagogique.

Stéphane Jacquot. Cette perpétuité réelle me choque. Je dirai même que d'un point de vue philosophique, je suis dérangé par le fait qu'on s'écarte du principe carcéral qui est quand même avant tout de rééduquer une personne.

"Toute personne qui rentre va sortir"

Comment, alors qu'on est issu de deux partis différents, se retrouve-t-on pour écrire un livre?

Stéphane Jacquot. Quand j'étais secrétaire général de l'UMP [chargé des politiques pénitentiaires et des prisons, de 2011 à 2014, NDLR], je croisais régulièrement Dominique. J'étais moi assez contrarié par les positions de Nicolas Sarkozy qui allaient vraiment vers la droite sécuritaire. Je ne me reconnaissais plus dans ces valeurs. Dominique est aussi administrateur d'une association que je préside, l'Association nationale pour la justice réparatrice (ANJR). A un moment, je lui ai dit qu'il serait pas mal d'écrire nos propositions. La proposition de préface de Robert Badinter, qui a salué cette initiative, a validé le tout.

Dominique Raimbourg. La droite campe sur l'idée qu'il faut punir toujours plus. Et une partie de la gauche aborde cette question par la défense des libertés et des droits : c'est important, mais pas productif. Il fallait dépasser ce clivage stérile pour prendre en compte la réalité. Débattre de la prison est débattre sur un symbole. Mais le quotidien de la prison, c'est 120.000 peines de prison ferme prononcées chaque année, 85.000 personnes qui rentrent et sortent de prison, et 67.000 qui y sont en permanence dans 57.000 places théoriques. C'est sur ce fonctionnement qu'il faut se pencher et penser aussi la sortie de prison. La seule qui ait commencé à le faire est Christiane Taubira. Toute personne qui rentre va sortir un jour.

«Ce n'est pas du tout une vision angélique dans laquelle tout le monde sortirait vraiment mignon de prison»

La prison joue-t-elle encore son rôle, à savoir protéger la nation et préparer à la réinsertion?

Dominique Raimbourg. Ce n'est pas simplement préparer à la réinsertion. Certes, il faut penser la sortie pour des gens qui se sont amendés en quelque sorte, mais aussi pour ceux qui ne se sont pas amendés. Tout le monde ne devient pas un gentil garçon. Certains auront l'intention de recommencer. L'intérêt de la réforme de Christiane Taubira est justement de penser la sortie, de mettre en place un suivi pour aider à changer et un contrôle pour vérifier l'absence de nouveaux débordements. Ce n'est pas du tout une vision angélique dans laquelle tout le monde sortirait vraiment mignon de prison. C'est pour cela qu'il faut réfléchir pour que ça fonctionne le mieux possible.

Cela ne fonctionne pas aujourd'hui?

Dominique Raimbourg. Pas très bien. Pour plusieurs raisons. Il y a une lenteur terrible du traitement des dossiers en dehors des comparutions immédiates. Ensuite, les moyens ont augmenté mais restent insuffisants : 5.000 conseillers pénitentiaires d'insertion et probation (CPIP) doivent suivre les 67.000 détenus et les 175.000 personnes qui font l'objet d'une condamnation à l'extérieur, soit des sortants, soit pour l'essentiel des aménagements de peine.

"Avoir un ministère chargé des prisons"

Quelles seraient les premières mesures à prendre sans attendre sur ce dossier?

Stéphane Jacquot. La première serait d'avoir un ministère dédié à la question carcérale et aux conditions pénitentiaires, ou plus simplement un ministère chargé des prisons. Il y a aussi des réformes fondamentales : un contrat de travail en prison, ce qui serait novateur ; davantage d'offres de travail d'intérêt général (TIG) ; une forme de tutorat, notamment par les visiteurs de prison, pour poursuivre l'accompagnement hors les murs, afin d'éviter les sorties sèches. On propose de revoir les formations des CPIP en revenant à ce principe d'avoir une filière qui s'occupe de l'accompagnement psychologique et criminologique, et une autre qui ferait de l'accompagnement social. Mais aussi d'aligner les surveillants de prison, sur un plan statutaire, avec les policiers et les gendarmes pour qu'ils ne soient plus considérés comme des "sous" forces de l'ordre.

Dominique Raimbourg. Il faut en premier lieu poursuivre avec force l'application de la loi Taubira. Cela passe par la mise en place d'un système de libération sous contrainte qui aboutisse à ce que la majorité des détenus sortent avant la fin de peine, de façon à ce qu'il n'y ait plus de sorties sèches. C'est difficile car l'appareil a confiance en une seule chose : la prison. C'est le plus pratique, ça marche 24 heures sur 24, elle ne peut pas dire 'stop je ne prends plus de clients'. Il faut aussi associer la société civile et les élus locaux à cet accompagnement à la sortie et à la lutte contre la récidive. Les outils législatifs existent, mais il faut maintenant les mettre en place. Il faut également valoriser la situation des surveillants de prison qui ne sont pas bien traités. Le travail est dur et la peine est un peu faible.

«La surpopulation carcérale est indigne de notre pays»

Etes-vous favorables à des places de prison supplémentaires?

Dominique Raimbourg. En France, le taux d'incarcération est de 67.000 détenus pour 66 millions d'habitants. Il faut se fixer ce plafond et ne pas le dépasser, soit un taux d'incarcération de 100 détenus pour 100.000. A partir de là, il faut construire pour avoir des places de cellule individuelles. La surpopulation carcérale est indigne de notre pays. Le programme sarkozyste était de 80.000 places. Le jour où on a 80.000 places, si on ne fait rien, on aura 90.000 détenus! Il faut se fixer une limite.

Stéphane Jacquot. Quand j'étais secrétaire national, j'étais assez d'accord avec les 80.000 places de prison. Mais j'ai complètement revu ma copie. Je me suis rendu compte que d'une part sur un plan budgétaire, ce n'était pas réaliste, et que d'autre part plus on construit, plus on aura tendance à incarcérer. On se retrouvera toujours confronté au même phénomène. Finalement, cela fait partie du bon sens.

"Aller vers une culture de la réhabilitation"

Certaines de vos propositions sont dans la loi Taubira. Pour les autres, un cadre législatif pourrait-il les intégrer prochainement?

Dominique Raimbourg. On commence à être un peu court, il va falloir se dépêcher [avant la fin de la législature, NDLR]. Mais pour l'instant, c'est davantage une question de mise en œuvre de ce qui est déjà acté. Il y a un problème culturel plus que législatif. Une peine a une dimension symbolique : la peine est ce qui dit aux honnêtes gens, voilà la réponse que nous collectivement apportons à ceux qui transgressent la règle. Elle doit être visible et compréhensible par le grand public. Or, la seule peine visible aujourd'hui est l'enfermement. L'aménagement de peine n'est pas visible et le terme n'est pas compréhensible. Si l'on aménage, cela voudrait dire que c'est un cadeau. Or, il faut que l'on réussisse à montrer que le fait de contrôler quelqu'un à l'extérieur n'est pas un adoucissement, mais une vraie peine. C'est d'ailleurs si vrai que le bracelet électronique, qui est une bonne peine, est tellement difficile à supporter que tous les praticiens, tous les juges, disent : pas au-delà de six mois.

Stéphane Jacquot. Il faut aller vers une culture de la réhabilitation. Une personne qui a exécuté sa peine est réhabilitée envers la société. C'est un changement de mentalité. Quand on globalise la prison, on voit souvent une image qui n'est pas représentative, mais souvent fantasmée. Le vrai problème du dangereux individu récidiviste représente environ 2.000 personnes sur les 67.000 détenus.

«Il faut impérativement renforcer la présence de l'aumônerie musulmane. Il est le garant de sa religion»

Que pensez-vous du regroupement des détenus islamistes mis en place dans certaines prisons?

Dominique Raimbourg. C'est une gestion pragmatique de la situation. Il y a aujourd'hui cinq quartiers de ce type : 2 à Fleury-Mérogis, 1 à Fresnes, 1 à Osny et 1 à Lille-Sequedin. On place dans ces quartiers des gens qui sont radicaux, qui font peser sur les autres une contrainte, mais pas ceux qui sont considérés comme absolument irrécupérables dans l'instant. Cela serait les constituer comme leader. Ce sont des gens qui ont été condamnés pour terroriste. C'est la limite, car il y a aussi des délinquants classiques qui se radicalisent. C'est une expérience. Par ailleurs, on renforce le renseignement pénitentiaire.

Stéphane Jacquot. Pour lutter contre la radicalisation, il y a deux choses fondamentales : le renseignement qui ne doit pas rester dans le vase clos pénitentiaire. Il faut que des services de renseignement de l'Etat entrent dans les prisons. On a imaginé qu'il y ait un correspondant de la DGSI dans chaque établissement. Il faut une information mutualisée entre les services. Enfin, il faut impérativement renforcer la présence de l'aumônerie musulmane. Il est le garant de sa religion.

Dominique Raimbourg. Les aumôniers musulmans sont autour de 200, quand les aumôniers catholiques sont autour de 700. Même si leur nombre a augmenté, cela reste insuffisant. C'est encore une question de moyens, il faut les payer. Aujourd'hui, ils reçoivent une indemnité, mais cela reste une indemnité.

Vers un pacte des prisons pour 2017?

En vue de 2017, vous souhaitez proposer aux candidats un "pacte des prisons". En quoi cela consiste-t-il?

Stéphane Jacquot. On va rencontrer l'ensemble des candidats.

Dominique Raimbourg. On va voir comment cela peut se faire. Ce n'est pas certain qu'on réussisse à avoir des engagements de leur part, mais on peut essayer. Pour moi, c'est un peu plus difficile car j'ai maintenant une position plus institutionnelle [il est depuis février président de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, NDLR], il faut que je réfléchisse à ça. On va essayer.

«Avec Juppé, j'ai eu une écoute que je n'avais clairement pas eue chez Sarkozy»

La présidentielle approche. Comment l'appréhendez-vous dans vos camps respectifs. Stéphane Jacquot, pourquoi avoir décidé de soutenir Alain Juppé?

Stéphane Jacquot. Suite à l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence du parti, j'ai quitté Les Républicains car je n'étais pas en accord avec lui. J'étais dans son équipe de campagne en 2012, je l'ai vu à l'oeuvre… J'ai fait le choix d'Alain Juppé, car je pense qu'il est aujourd'hui le seul à pouvoir être demain le président de la République. La droite et le centre ont besoin de se rassembler. Alain Juppé m'a recruté à un moment où il commençait à constituer ses équipes. A l'époque, Hervé Gaymard m'a approché. Il y avait tout à construire. Alain Juppé m'a fait travailler sur son livre Pour un Etat fort. Je lui ai fait quelques suggestions sur les prisons : il a relevé l'idée d'une agence nationale du travail en détention, la revalorisation des personnels pénitentiaires… J'ai eu une écoute que je n'avais clairement pas eue chez Nicolas Sarkozy, où j'avais l'impression d'être simplement un producteur de notes.

Dominique Raimbourg, êtes-vous favorable à une primaire à gauche, à une nouvelle candidature de François Hollande?

Dominique Raimbourg. C'est un peu tôt pour se prononcer. Il faut que la gauche se rassemble. Est-ce que la primaire est le moyen de la rassembler? Je n'en sais rien. Est-ce que François Hollande est le candidat à même de rassembler la gauche? C'est aussi une question qui se pose. Je n'en suis pas sûr, mais je ne vois pas d'alternative.

 
 * Prison, le choix de la raison aux éditions Economica, préfacé par Robert Badinter. 108 pages. Novembre 2015. 19 euros.

JDD

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