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mardi 5 avril 2016

Les gardiens de prison ont la vie longue

Une étude sur les causes de décès des surveillants pénitentiaires révèle une sous-mortalité par rapport à la population française en général, mais un plus fort taux de suicide.

Un surveillant à la prison de la Santé, en juillet 2014, juste avant sa fermeture.

C’est souvent utile, les grandes études épidémiologiques, mais c’est parfois déroutant. Voyez la dernière, publiée ce lundi dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, qui délivre un résultat étonnant : le fait de travailler en prison serait un plus… pour la santé, alors que d’aucuns pointent d’ordinaire le stress des matons, l’angoisse, le sentiment d’insécurité, sans oublier les conditions de travail difficiles.

Ce constat peu banal ressort d’un imposant travail, réalisé par l’Institut de veille sanitaire qui a analysé les causes de décès des personnes ayant été agent pénitentiaire entre 1990 et 2008, soit plus de 40 000 personnes.

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Ce très gros travail a consisté à comparer la mortalité des gardiens de prison à celle de la population générale française sur la même période, prenant en compte bien sûr l’âge et les années.

Résultat : «Les 1 754 décès observés entre 1990 et 2008 représentent une sous-mortalité, toutes causes classiquement observées dans les cohortes de travailleurs. Un excès de suicide, statistiquement significatif, est cependant observé chez les hommes.»

Les chercheurs ne voient pas de modification dans le temps, ils précisent néanmoins que cela concerne les métiers de surveillant pénitentiaire et d’adjoint technique. Et ils ajoutent : «Aucune association n’a été observée entre les indicateurs professionnels étudiés (type d’établissement, taux d’occupation carcérale) et le risque de suicide.»

Pas d’info sur la santé physique ou mentale hors décès

Donc, si l’on met de côté la petite hausse de suicides, tout le reste irait bien. Ainsi, il n’y aurait pas plus, voire moins de décès dus à des pathologies cardiovasculaires ou cancéreuses, ou encore pulmonaires. Nos gardiens de prison vivent plus vieux que les autres salariés. Fermons donc la porte sanitaire, il n’y aurait rien à voir.

Mais voilà, derrière ces belles et grandes études, même les auteurs dudit travail mettent des bémols.

D’abord, ils rappellent que «la sous-mortalité globale est une observation habituelle des études de cohortes professionnelles et expliquée par les différents phénomènes de sélection».

Comme souvent, les personnes retenues sont souvent plus intégrées dans la population générale. En second lieu, seule la mortalité a été analysée, ce qui ne donne qu’une vision partielle de la santé d’une population.

On a étudié les décès, et non ce que l’on appelle la morbidité. Ainsi, l’étude ne renseigne pas sur les problématiques de santés non mortelles, «notamment sur la situation générale en termes de santé physique ou mentale».

Reste donc la question du suicide, en légère hausse par rapport à la population globale, exclusivement chez les hommes.

Ce n’est pas franchement une surprise : «Des excès ou des risques spécifiques de suicide chez les agents pénitentiaires ont été rapportés précédemment dans une étude française et deux études américaines», rappelle le BEH, qui ajoute : «De plus, les causes externes de décès – dont le suicide – ne sont pas toujours renseignées dans les certificats de décès.» De ce fait, le nombre de suicides dans la cohorte est vraisemblablement sous-évalué.

Des hypothèses mais pas de réponse

Néanmoins, comment l’expliquer ? D’abord, selon l’étude, l’accès à un moyen létal (armes à feu, etc.) est plus facile en prison.

De plus, la présence de troubles de santé mentale (dépression) et des situations professionnelles stressantes ont été relevées comme associées au risque de suicide.

Mais sans que l’on puisse établir un lien. «L’excès de suicide chez les surveillants pénitentiaires n’a probablement pas une origine unique et plusieurs hypothèses peuvent être envisagées.»

Les auteurs émettent quelques hypothèses de bon sens : les surveillants sont exposés à des contraintes psychiques, souvent délétères pour la santé psychique et cela peut constituer un élément déclencheur des conduites suicidaires.

«Ces contraintes peuvent être spécifiques : situation de violence, insécurité, stress, confrontation au suicide des personnes détenues. Mais aussi non spécifiques : demande psychologique élevée, faible latitude décisionnelle, faible soutien des supérieurs, manque de reconnaissance, insuffisance des effectifs.»

Sur le taux d’occupation carcérale, la question se pose, mais pas de réponse, donc pas de lien. Comme la fréquence de roulement des équipes ou le nombre d’agents. Reste donc cet étonnant constat : les gardiens de prison vivent plus longtemps, mais se suicident un peu plus.

Libération

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