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vendredi 8 avril 2016

Mont-de-Marsan : la prison où les détenus ont les clés

Agressions entre détenus ou contre des surveillants, suicides... les prisons françaises sont confrontées depuis longtemps à des violences récurrentes. Dans les Landes, le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan casse cette spirale grâce au programme «Respect», pilote en France.

Les détenus signant la charte «respect» peuvent librement circuler entre leur cellule et les lieux d'activité. / Photo DDMP.C.

L'herbe est toujours plus verte chez le voisin. Les pelouses de la prison de Mont-de-Marsan en témoignent. «Regardez…», pointe Philippe devant les centres de détention (CD1 et CD2) de l'établissement. Sacs et bouteilles plastiques vides, papiers… malgré un nettoyage régulier, le gazon du CD2 est une poubelle à ciel ouvert, traditionnelle protestation silencieuse des prisonniers contre le «système».

Devant le CD1 ? Rien. «Voilà… Pour moi la réussite des modules “respect”, elle commence là. Ici, les détenus soignent leur environnement», sourit Philippe, lieutenant et adjoint au patron du bloc.

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Chacun sa clef et porte ouverte

Mont-de-Marsan “Pémégnan” ? Derrière ses hauts murs de béton, deux maisons d'arrêt et deux CD abritent 670 prévenus et condamnés. Vaste enceinte où se déroule donc une expérimentation pilote, la première à avoir été menée en France : les “modules de respect”, ne rassemblant que des détenus et des surveillants volontaires, dans deux des quatre unités.

Va et vient tranquille dans le CD1, de la cour aux étages. Costaud, registre “dur et tatoué”, Richard, 50 ans, fait ici partie des “anciens”et garde la clé de sa cellule à la poche. Phil, 51 ans ? Lui la porte autour du cou. Tout un symbole ? «Non, car endétention, c'est la règle d'avoir la clé de sa cellule», corrige Richard.

«En fait, ce qui change tout, c'est qu'en signant pour “Respect”, on nous laisse la grille de coursive ouverte dans la journée, ce qui nous permet d'aller et venir librement dans le bâtiment, entre notre cellule, la cour, la salle de sport ou la salle informatique. On nous fait confiance et c'est important pour nous», explique Phil, qui s'occupe de la bibliothèque.

«Oui, l'ouverture de la porte a tout changé. Avant, on était bloqués et c'était la foire, ça gueulait d'un étage à l'autre, genre «passe moi le tabac !» Maintenant, ça gueule moins et c'est le respect à l'intérieur», reconnaît Richard, qui explique avoir signé «pour ne pas changer de cellule» mais surtout «parce que c'est plus calme, désormais».

De fait, peu de cris ici, et pratiquement pas d'insultes, comparé au CD voisin. Un surveillant passe avec une binette pour le futur jardin… «C'est mieux entretenu aussi», souligne Richard, témoin cette fresque montagnarde qu'il a pu faire peindre sur le mur de “son” 12 m2. «Et la cour de promenade n'est plus une zone de non-droit», note un cadre.

«Oui, la relation aux surveillants s'est apaisée et notre travail est facilité», confirme Philippe. «70% d'incivilités, de tentatives d'agression ou de trafics en moins mais aussi une chute considérable des arrêts maladie et des accidents de travail», quantifie même André Varignon, le directeur de l'établissement. Celui qui début 2015 a lancé le premier ce programme inspiré du modèle espagnol “respecto” (lire encadré).

Transposé à Mont de Marsan ? Il signifie ainsi, pour les détenus qui le signent, l'acceptation d'une charte impliquant 25 heures d'activité minimum par semaine et le respect d'un ensemble de règles, en échange de cette plus grande liberté de mouvement en détention.

Mais au-delà des horaires à tenir, du travail dans la journée, du nettoyage, de l'entretien, et, bien sûr, du respect de soi et des autres -détenus ou surveillants- «en rendant ces personnes actrices de leur vie en collectivité, nous les engageons aussi sur la voie d'une meilleure réinsertion», souligne André Varignon, se félicitant d'avoir des détenus «mieux dans leur tête», grâce à cette part d'autonomie retrouvée. Seulement attention…

«Au moindre écart, c'est l'exclusion immédiate et ça aussi, ça cadre les gars», assure Richard. Combien d'exclus, depuis le début ? «140 sur 14 mois», nuance le directeur, mais qui souligne : «aucun pour tentative de violence, tous pour des bêtises telles que détention de stups, de clé usb, ou insulte».

Depuis 13 ans dans la pénitentiaire, Philippe mesure ce que cela dit, en termes d'évolution. «Fin 2015 en Savoie, un détenu a ébouillanté l'un de nos jeunes collègues», rappelle-t-il, «tandis qu'ici, on retrouve le sens du métier». Mieux ? «S'est créé une forme d'émulation pour le respect de l'hygiène collective, la courtoisie», sourit André Varignon. Et l'expérience s'étend : en Dordogne, Neuvic s'y est mis, aussi.

Modèle espagnol

«En 2014, notre directrice interrégionale voulait que nous élaborions un plan de prévention de la délinquance en détention. Sachant que depuis 15 ans nos voisins espagnols ont des programmes de ce type, nous sommes allés voir ce qui se faisait à Madrid. Nous avons discuté avec les surveillants, les gradés, les détenus et ce qui nous a frappés, c'est qu'avec des occupations constantes, la détention était très calme, sereine», se souvient André Varignon.

Convaincu, mais aidé aussi par un fort volontariat dans son établissement, il a alors pu démarrer l'expérience le 26 février 2015 avec deux modules «Respect». En échange d'une mesure de cellule ouverte de 7h à 18h, les détenus observent un planning rigoureux, incluant travail, étude, formation et sport, nettoyage des cellules et entretien du bâtiment par la commission hygiène, la vie quotidienne des modules étant assurée par les détenus de quatre commissions, les trois autres s'occupant de l'accueil, des activités et de la régulation pour régler les conflits entre personnes.

La Dépêche

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