A l'occasion d'un documentaire de Sebastian Perez Pezzani produit par l'agence Capa, Grazia a pu s'infiltrer dans un quartier de prison autogéré en Bolivie.
Nous y voilà : à Santa Cruz, en Bolivie. On a traversé la ville dans un centre aux bâtiments blanc éclatant, puis dans des zones urbaines désaffectées. La Bolivie n'est pas une carte postale riante avec des étoffes à motifs et lamas. C'est aussi un pays en déliquescence, des quartiers pauvres aux mains des narcos ou des flics corrompus.
Derrière notre vitre, les enfants jouent pieds nus dans des fosses pestilentielles. L'équipe de Caméléon, une série documentaire de Sebastian Perez Pezzani produite par Capa, nous a invités à suivre le journaliste dans la prison de Palmasola. Un passe-droit unique, qui ne se refuse pas, même si on ne sait pas encore à quoi s'attendre. On le saura assez tôt.
Un système impensable en France
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Palmasola s'érige, au bout du chemin : grande forteresse écrasée par la chaleur, avec ses tours de contrôle désertes. La prison de Santa Cruz a un système impensable en France. Dans son enceinte gigantesque, un bastion, le PC4, est entièrement aux mains des prisonniers. Ils y ont leur business, construisent leur propre maison. Comment constituer un microcosme selon ses propres règles ? C'est l'obsession de nombreux livres de science-fiction. Ici, c'est la réalité, dans ce quartier de 4 000 détenus qui ont décidé de reprendre la main sur leur destin.
La grille s'est refermée sur nous. Plus de passeport ni de portable : c'est interdit. Des hommes nous encerclent, alors que se succèdent des rangées de baraques aux façades roses ou bleu vif, des bars, des restaurants. Rien ici ne diffère de l'extérieur. Sauf, sans doute, la folie humaine qu'on entrevoit sur les visages. Pourtant, rien ne nous arrivera, les détenus-gardes sont là. Leur organisation a bouleversé Palmasola, faisant chuter le taux de criminalité. En Amérique du Sud, par manque de moyens, beaucoup de prisons laissent le pouvoir aux prisonniers, un système générant souvent le chaos. Ici, c'est ce chaos que l'on a tenté d'éradiquer. "Il y a dix ans, vous n'auriez jamais pu venir, nous dit Leonidas. Il y avait des meurtres, des conditions d'hygiène déplorables."
"Les conditions sont souvent meilleures que chez eux"
Leonidas, cet homme à la puissance tranquille qui tchatche avec nous, a été incarcéré pour meurtre. Mais il est surtout le leader charismatique du lieu -celui par qui tout est arrivé. En 2006, il décide de mener une révolution avec d'autres détenus, pour sauver une prison aux mains des gangs. "Ils ont nettoyé", nous explique Sebastian Perez Pezzani, en immersion dans la prison depuis plusieurs jours. Nettoyer signifie tuer les éléments dangereux. D'autres ont été envoyés dans le PC3 ou le PC7, conçus pour les personnes "inaptes à vivre en communauté".
Léonidas et sa bande sont aujourd'hui 300 : ils ont fait de leur PC en "semiliberté" un lieu de formation. Alors que l'on s'enfonce dans la cité carcérale, sous un grand entrepôt, des hommes s'activent dans différentes entreprises d'artisanat. Des volontaires de l'extérieur, payés par l'Etat, y viennent enseigner : plus de 2000 détenus ont été formés, 400 ont appris le métier de charpentier. "Les conditions sont souvent meilleures que chez eux, nous explique Leonidas. Beaucoup ne veulent plus partir."
Donner envie aux détenus de se réinsérer
Nous croisons aussi beaucoup de femmes. Palmasola autorise la venue des familles, et les enfants jusqu'à 6 ans. "C'est fondamental, car cela redonne envie aux détenus de se réinsérer", nous explique Wanda Canizares, la psychologue de la prison. Au couvre-feu de 18 h 30, les femmes sont censées rentrer chez elles mais beaucoup restent auprès de leurs maris, malgré l'interdiction. Est-ce vraiment sain pour les enfants de grandir parmi les repris de justice ? "Le ministère travaille à créer un orphelinat temporaire en dehors de la prison", explique Wanda.
Le tableau semble idéal. Pourtant, une femme sera retrouvée enterrée peu après notre passage. Et la libre circulation, c'est aussi celle des prostituées, des armes, des stupéfiants, sur lesquels la police ferme les yeux. Le service de sécurité employé par l'Etat ne fait que ceinturer l'espace, et veille à ce que le couvre-feu soit respecté. Il dit maintenir l'ordre global, même si, en vérité, ici, la justice est avant tout personnelle.
"Pour bien vivre ici, il faut payer"
Un système citoyen sommaire, qui arrange tout le monde. Mais jusqu'à quand ? Les détenus "chefs", Leonidas et sa bande, commencent à se faire des ennemis. La richesse de certains prisonniers, ayant collecté de l'argent à l'extérieur, contraste avec les cellules pauvres. "Pour bien vivre ici, il faut payer", nous lâche une femme. 6 850 bolivianos pour un lit, rapporte un journaliste de Reuters, soit environ 890 euros. "L'humanité est toujours vouée à reproduire les mêmes systèmes", note Sebastian. On nous a fait croire, ici, à un système responsabilisant pour les prisonniers. Mais il s'agit surtout d'une survie provisoire dans un pays où 90% des criminels sont en attente de jugement.
La question que soulève Palmasola est plus globale : sait-on accorder la rédemption aux détenus ? C'est un sujet de débat, à Santa Cruz, où beaucoup de citoyens ne souhaitent pas voir ces bannis se forger une condition de vie décente. "Pourtant, en payant pour nous-mêmes, on leur fait payer moins d'impôts", note un détenu. Ils s'offrent aussi, peut-être, une meilleure chance à leur sortie. Mais la société est-elle prête à l'accepter ? Voilà ce qu'interroge Palmasola : la question de la relation du monde avec ses dangereux laissés-pour-compte.
Grazia
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