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vendredi 21 octobre 2016

Jean-Jacques Urvoas : « La prison est une solution de facilité »

Dans une interview à « La Croix », le garde des sceaux répond au mécontentement de policiers qui dénoncent, notamment, le laxisme de la justice.

Jean-Jacques Urvoas, le garde des sceaux, n’accepte pas les accusations de laxisme portées par la droite.

Jean-Jacques Urvoas dresse un premier bilan de la réforme de la justice de 2014, qui montre que les nouvelles peines de substitution à la prison sont peu utilisées.
Le ministre réaffirme néanmoins l’objectif de cette réforme et assure que la prison est une « solution de facilité ».


Depuis trois nuits, les policiers sont dans la rue pour dénoncer, notamment, la faiblesse des sanctions pénales prononcées contre les délinquants qu’ils interpellent. Comprenez-vous leur colère ?

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Jean-Jacques Urvoas : J’ai reçu les syndicats durant deux heures et demie mercredi 19 octobre au soir. L’impression qui s’en dégage est celle d’une forme de lassitude face à la charge de travail qui pèse sur les policiers, qui sont extrêmement sollicités sur une diversité de tâches et ont le sentiment que l’immensité de leur mission ne cesse de grandir.

Ils ont aussi une incompréhension par rapport aux décisions judiciaires, mais cela relève en réalité d’un manque d’information : les policiers n’ont aucun moyen de savoir ce que deviennent les personnes qu’ils interpellent.

Je me suis donc engagé d’abord à leur fournir les chiffres des peines prononcées pour des agressions sur les forces de l’ordre, chiffres qui montrent que les sanctions sont beaucoup plus sévères que pour des agressions sur des personnes non dépositaires de l’autorité publique.

Nous devons aussi réfléchir à instaurer au niveau local une forme d’information entre les parquets et les commissariats, pour que les policiers sachent les suites données à leurs interpellations. Ils verront alors que le sentiment d’impunité des délinquants, qu’ils dénoncent, ne correspond pas à une réalité.

Il est par ailleurs toujours confortable de dire que les juges sont laxistes ou bien de dire que les procédures policières ne sont pas assez solides. Je n’ai jamais été un militant du conflit entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice. Dans une démocratie qui fonctionne, la police interpelle, la justice prononce les sanctions.

Les policiers avaient notamment beaucoup protesté contre la réforme pénale de 2014 (voir ci-dessous). Quel bilan en tirez-vous ?

J.-J. U. : C’est un bilan prometteur. Cette loi a d’abord supprimé les peines planchers, abrogation dont tout le gouvernement était et est encore convaincu de la nécessité. Les policiers demandent qu’on les rétablisse : il n’en est pas question. La spécificité du droit français, c’est la recherche de l’individualisation de la peine.

La loi « relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales » a aussi amorcé l’instauration d’une justice restaurative. Des rails ont été posés, et les premières initiatives sont positives. Quand un braqueur de banque rencontre des victimes de braquage, cela permet au premier de réaliser le traumatisme qu’il a causé et aux secondes de constater que l’agresseur n’a pas l’intention de leur nuire personnellement, mais seulement de commettre un vol. Cela les aide à reprendre le cours de leur vie.

Enfin, il y a les deux nouvelles mesures : la contrainte pénale et la libération sous contrainte. J’ai dit, à l’époque, tout mon scepticisme sur la première, mais mon jugement a évolué. Je suis partisan de ces nouveaux dispositifs. Car les chiffres le démontrent à chaque fois : c’est la meilleure manière de lutter contre la récidive. Ces mesures permettent également d’influer positivement sur la population carcérale… Au-delà du fait que financièrement, c’est beaucoup moins onéreux : une journée de détention se chiffre à environ 100 €, un centre de semi-liberté à 60 € et un bracelet électronique à 10 € par jour.

Le nombre de contraintes pénales prononcées est cependant très faible, 2 287, quand le ministère en escomptait 8 000 à 20 000 par an. N’est-ce pas un échec ?

J.-J. U. : Je m’interrogeais sur la plus-value de cette peine par rapport à ce qui existait déjà. Elle ne correspondait pas, selon moi, à un besoin immédiat des magistrats mais à une volonté de lutter contre la récidive. Or, le rapport montre deux choses. La première est que cette nouvelle peine change profondément les habitudes de travail des professionnels et demande un énorme travail en amont. Certains avaient donc des réticences, et il faut du temps pour que cette peine trouve sa place. Il faut la laisser vivre et continuer à encourager magistrats et avocats à se l’approprier, comme je l’ai fait en juin avec ma circulaire de politique pénale.

La deuxième chose que ce rapport montre, c’est qu’il n’y a que 15 % des contraintes pénales qui se terminent par une incarcération. Cela signifie que 15 % de ces personnes ne respectent pas leurs obligations ou récidivent. Alors même que la contrainte pénale vise les multirécidivistes. Ce chiffre est extrêmement marginal. Cela valide l’hypothèse que cette mesure fonctionne.

Sur les « libérations sous contrainte », les chiffres sont aussi très en deçà des attentes : 6 492 ont été prononcées, contre 15 000 à 28 000 escomptées…

J.-J. U. : Là aussi, cette nouvelle mesure de libération sous contrainte demande un changement de culture et d’habitudes pour les magistrats. Il peut aussi y avoir une peur de leur part à libérer sous contrainte. Elle se comprend, mais elle se combat par l’épreuve des faits. La prison est une solution de facilité, la peine la plus visible. Il faut donc faire la démonstration qu’une sortie sous suivi est plus efficace qu’une sortie sèche. Si dans certains pays, il y a décélération des incarcérations, c’est parce qu’il y a eu un long travail de réflexion sur le sens de la peine. Dans une société tendue et inquiète, c’est un chemin compliqué.

En 2014, vous faites une réforme d’aménagement des peines. En 2016, vous annoncez la construction de près de 4 000 nouvelles places de prison. N’est-ce pas contradictoire ?

J.-J. U. : Non, car même quand il y a massivement des aménagements de peines, cela ne suffit pas à résoudre la question de la surpopulation carcérale. Le nombre d’écrous toutes les semaines pour associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste est du jamais-vu : il faut bien les incarcérer quelque part. Il est donc cohérent à la fois d’aménager les peines et de construire des places. C’est une vision que j’espère de long terme pour mettre enfin sur les rails l’encellulement individuel.

Il faut par ailleurs donner du sens à l’incarcération. La prison n’est pas une peine, c’est le lieu où l’on purge une peine. Christiane Taubira disait d’ailleurs que nos prisons étaient pleines mais vides de sens. Je pense aussi que le temps passé en prison doit être un temps utile. Car la prison, ce n’est pas juste la privation de liberté, c’est la préparation à la réinsertion.

La droite continue de vous accuser de laxisme. Que lui répondez-vous ?

J.-J. U. : Ce ne sont que des postures des uns et des autres. Ce n’est pas en temps de campagne qu’on réussira à convaincre l’opposition. Avec la contrainte pénale et la libération sous contrainte, comme avec la déjudiciarisation des délits routiers ou le divorce par consentement mutuel sans le juge, nous n’enlevons rien au droit existant, mais nous offrons des nouvelles possibilités. Ces mesures doivent trouver leur vocation. Durant cinq ans, la gauche aura ouvert des chemins.

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La réforme pénale

Votée le 15 août 2014, la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales est la grande réforme pénale du quinquennat.

Suppression des peines planchers. Contre toute peine automatique, la loi supprime ces peines minimums fixées pour les personnes en état de récidive légale et instaurées par Nicolas Sarkozy en 2007.

Création d’une peine de contrainte pénale. Cette nouvelle peine pour des délits inférieurs à cinq ans consiste en une série d’obligations et de contraintes (injonction de soins, formation, interdiction de rencontrer la victime…). En cas de non-respect, la personne peut être incarcérée. La mesure doit être étendue à tous les délits en 2017.

Lutte contre les sorties sèches, «  sans aménagement de peine  ». La loi prévoit pour les détenus qui ont exécuté les deux tiers de leur peine la possibilité d’une « libération sous contrainte », c’est-à-dire en semi-liberté, sous contrôle du service d’insertion et de probation, avec un bracelet électronique.

Développement de la « justice restaurative ». Outre la création d’un bureau d’aide aux victimes dans chaque tribunal de grande instance, la loi consacre le principe de « justice restaurative » (dispositif de médiation ou de rencontres avec l’agresseur ; groupes de parole faisant intervenir une victime).

La Croix

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