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jeudi 10 novembre 2016

Villepinte : ces détenus qui ont la clé de leur cellule

Ce qui frappe lorsqu’on arrive au bâtiment E, c’est d’abord l’odeur de javel. Puis, les couleurs flashy sur les murs. Et les détenus qui disent systématiquement « bonjour ». 


Dans ce bâtiment, bonne conduite et propreté sont de rigueur. Le module ne s’appelle pas « Respecto » pour rien.



Pour réduire les agressions envers le personnel, la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte, Léa Poplin a fait le pari de ce programme venu d’Espagne, rarement testé en France et jamais encore dans une maison d’arrêt, qui plus est particulièrement surpeuplée puisqu’elle enferme 1092 hommes (dont 28 mineurs) pour 587 places.

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Depuis le 26 octobre, près de 20% de prisonniers triés sur le volet participent à cette expérimentation.

Ils ont signé un contrat : être debout à 7 h 30, faire son lit, assurer des corvées collectives, participer à des activités et filer droit... au risque d’être exclu du bâtiment E. En échange : une cellule ouverte presque en continu la journée. Les détenus ont d’ailleurs une clé pour fermer la porte derrière eux lorsqu’ils en sortent. « On se sent en liberté... presque. Ça donne un peu d’espoir », explique Abdel*, 53 ans, du haut de son lit superposé, devant La chaîne parlementaire.

« Le plus dur c’est pour le téléphone et ceux qui fumaient du cannabis » souffle Samy*, 34 ans, sur le terrain de sport. Ici, aucun écart n’est toléré. Une « boîte de rédemption » au cœur du sas central sert à recueillir « tout objet interdit », avec la promesse qu’« aucun rapport d’incident ne serait fait à l’issue ». « On y a récupéré deux téléphones portables et la carte d’un avocat ! », rapporte la directrice.

Gare à ceux qui seraient surpris en possession de téléphone ou qui seraient violents : c’est le retour en « détention normale ». Ici, on donne des mauvais et des bons points qui peuvent déboucher sur un parloir supplémentaire, dans une cabine plus confortable et réservée aux « détenus du modèle Respecto ».

« C’est motivant de savoir qu’on va pouvoir passer plus de temps avec sa famille », pense Idir*, 27 ans, qui a déjà eu quelques bons points, pour une poubelle ramassée et un service rendu en dehors des servitudes. Des avantages qui séduisent : la liste d’attente s’est allongée et 150 détenus veulent désormais intégrer le module.

« La première semaine c’était la catastrophe ! se souvient pourtant la directrice. Les détenus attendaient qu’on vienne les chercher pour leur activité alors que c’étaient à eux d’y aller seuls. Les surveillants devaient aussi s’habituer à ne pas fermer les cellules. »

Un mois et demi plus tard, les habitudes sont prises. Les prisonniers ont bien compris qu’ils peuvent aller et venir (presque) comme bon leur semble, en journée. Mais « pas en claquettes », précise Idir. « Et on ne sort pas torse nu de la douche », rappelle Léa Poplin, qui, tous les quinze jours, réunit les 190 détenus face à elle pour « débriefer ».

Culture, sport, ateliers... Une quarantaine d’intervenants extérieurs participent au module. « On rencontre des gens qu’on n’avait pas l’habitude de voir, qui sont agréables », sourit Samy, derrière les barreaux depuis dix mois. Au parloir, ses proches le trouvent « moins crispé, moins nerveux ».

Le rapport aux surveillants s’est apaisé. « Je n’ai subi aucune incivilité depuis le début alors qu’avant, les injures c’était la routine », constate l’un des cinq surveillants du bâtiment. Or, ça l’est toujours dans les autres bâtiments. Au grand regret du Syndicat pénitentiaire de surveillants (SPS), réfractaire au projet depuis le début.

Pour Respecto, des caméras de surveillance ont été installées dans les coursives. A deux surveillants pour 190 détenus, ça peut aider. « On n’a plus besoin de harceler le surveillant pour aller à la douche ou aux activités», abonde Idir. Il insiste : « A ma sortie, je ne serai pas le même que si j’avais fait ma peine en détention normale. »

« Petit à petit, on apprend à se réentourer de personnes, à redevenir sociable », estime Mohamed*, 23 ans, « même si ça reste la prison ». « Le sport permet d’évacuer, ça évite de gamberger le soir », estime Eddy*, 44 ans, qui sait bien que dans les autres bâtiments « avec 22 heures en cellule, c’est pas pareil ». Pour autant, il pense que Respecto ne doit pas être proposé à tous les détenus.

Pas pour tous mais peut-être partout. « Si ça marche en Seine-Saint-Denis, ça ne peut que marcher ailleurs », conclut Léa Poplin.

Près de 800 prisonniers en France au régime Respecto

Près de 800 prisonniers font partie d’un programme « Respecto », sur les 68514 détenus de France, à Villepinte, Beauvais, Neuvis, Riom, et Mont-de-Marsan, ville berceau du projet, où le ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas se rend ce jeudi.

25 heures d’activités par semaine. Chaque établissement fait à sa façon. A Villepinte (où 50 % des détenus a moins de 25 ans) le projet initié par la directrice avec les surveillants pénitentiaires et conseillers en insertions probation prévoit 25 heures par semaines d’activités à la carte. Seuls modules imposés : l’éducation civique sur les valeurs de la République, le rapport à la loi, la verbalisation des sentiments et des émotions, la communication non violente. Un poste de psychologue pour exécution de peine a été créé pour le bâtiment E.

Les corvées d’hygiène, de distribution des repas, de commission arrivants, de médiation des conflits tournent tous les mois ou quinze jours.

Les cellules sont ouvertes de 7h30 à midi puis de 13h30 à 18heures en semaine (à partir de 8h30 le week-end). Les détenus ont une clé pour fermer leur cellule lorsqu’ils sortent.

Sur les 230 détenus passés par Respecto à Villepinte (et en dehors des libérations), 20 détenus ont été exclus les dix premiers jours pour détention de téléphone, de clé USB, de cannabis récupéré au parloir ou parce qu’un avait escaladé le grillage pour récupérer un paquet. Un a abandonné de lui même. 29 « avertissements » et 32 «récompenses » ont été donnés.

Le Parisien

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