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mercredi 5 avril 2017

Livre blanc des prisons: la détention "hors de la cellule", bientôt réalité?

Le ministère de la Justice s'est vu remettre ce mardi un Livre blanc comportant 24 propositions pour améliorer la situation en prison.

Dans la prison de Villepinte, selon un syndicaliste, 200 détenus participant au "régime Respecto" ont été renvoyés vers une détention classique, après des problèmes de stupéfiant ou de violence.

Parmi elles, un régime permettant aux détenus d'évoluer librement dans la journée, déjà testé en France. Mais les retours ne sont pas tous positifs.


Surpopulation tutoyant les 200% dans certaines prisons, record du nombre de détenus, violences envers les surveillants, démission du président de l'administration pénitentiaire...

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Depuis le début de l'année, le malaise dans les prisons françaises a pris des proportions inédites. Pour y remédier, le Livre blanc sur "l'immobilier pénitentiaire" publié ce mardi par une commission rassemblant parlementaires, magistrats, membres de l'administration des prisons et de ministères, préconise notamment d'axer la détention "en dehors de la cellule" et d'offrir "cinq heures d'activité par jour pour chaque personne détenue".

Depuis 2015, des espaces inspirés d'une initiative espagnole baptisés "régimes Respect" ou "Respecto", permettant à certains détenus d'évoluer librement durant la journée, sont à l'essai en France dans les prisons de Mont-de-Marsan (Landes), Beauvais (Oise), Villepinte (Seine-Saint-Denis), Riom (Puy-de-Dôme) ou encore Neuvic (Corrèze).

Ils sont censés favoriser la réinsertion des prisonniers en leur octroyant cinq heures d'activité quotidienne (sport, travail, cours...). Mais à ce jour, selon la localisation et la population participant à ce module, les résultats sont loin d'être similaires, critiquent les syndicats.

"Un régime de responsabilisation"


Le "régime Respecto", proposé dans la prison de Mont-de-Marsan depuis 2015 fait figure d'exemple à l'échelle nationale. Aujourd'hui, 300 détenus de la maison d'arrêt et du centre pénitentiaire en profitent. Ils peuvent sortir de leur cellule le matin, multiplier les activités dans les espaces communs la journée et ne revenir dans leur chambre que le soir venu.

Ici, pas de surpopulation. "C'est un régime de responsabilisation, qui fonctionne avec des systèmes de 'plus' et de 'moins', s'ils accumulent les 'moins', les détenus sont pénalisés", détaille à L'Express Nicolas Peyrin, surveillant à Mont-de-Marsan et délégué CGT. Ils risquent à tout moment de retourner en détention classique, où la sortie de cellule est bien plus encadrée.

Les détenus "Respecto" peuvent participer en autonomie à des activités scolaires ou culturelles, suivre un accompagnement en addictologie ou encore être aidés dans leurs démarches administratives par des associations. "Normalement, nous devions assurer 25 heures d'activités hebdomadaires par détenu, mais dans les faits, nous sommes plus sur 17 ou 18 heures", constate le gardien de prison.
Il souligne l'efficacité de ce régime: selon lui, les incidents violents sont devenus quasi-inexistants et le nombre de surveillants nécessaires pour superviser cette unité est passé de neuf à cinq. Nicolas Peyrin assure que seuls 5% des détenus qui ont participé à ce régime plus libre ont été réorientés vers une détention classique, pour des "agressions verbales ou des histoires de stupéfiants".

A Villepinte, la surpopulation fausse le jeu

Dans la prison de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, les premiers résultats de cette expérimentation sont beaucoup moins réjouissants. La situation y est paradoxale: Villepinte est la prison française dans laquelle la surpopulation est la plus élevée, avoisinant les 200% (582 places pour 1132 détenus), mais 250 de ses détenus, soit 20% de la population totale, participent depuis six mois au "régime Respecto", dans un bâtiment indépendant de la prison.

Résultat, "un prisonnier sur deux participant à ce module dort sur un matelas", confie à L'Express Erwan Saoudi, délégué pénitentiaire FO à Villepinte. En mars, le bâtiment avait été visité par François Hollande.

"La gestion des cellules est tellement tendue, que lorsque l'on constate une incartade ou que le détenu accumule les 'moins', on ne peut pas toujours le réintégrer en détention classique, car il n'y a pas de place", déplore le syndicaliste.

L'obligation de cinq heures d'activités quotidiennes, quota que le Livre blanc veut voir devenir contraignant, est par ailleurs loin d'être respectée. "Il n'y a pas eu de création de postes lors de l'ouverture de ce régime, l'administration a seulement réaffecté du personnel existant dans la prison, mais trop peu, alors que cela implique du travail supplémentaire", déplore Erwan Saoudi. "Les détenus 'Respecto' font donc peu d'activités, car cela a un coût financier et humain", assure-t-il.

"Tout le monde n'est pas apte à intégrer ce module"

Selon le surveillant, qui constate "beaucoup d'insécurité dans le bâtiment", depuis six mois, 200 de ces détenus aux profils très variés (seules les personnes condamnées pour terrorisme ne peuvent pas postuler) ont déjà été renvoyés en détention classique en raison de leur comportement, notamment lié à l'usage de stupéfiants, ou de violences entre détenus.

Du côté du gouvernement, on admet qu'à Villepinte, la situation est "plus compliquée qu'ailleurs": "Tout le monde n'est pas apte à intégrer ce module". Mais "il est encore un peu tôt pour dresser un premier bilan", glisse-t-on, prudemment.

"Au début, les listes d'attente pour bénéficier de ce régime étaient longues, renchérit Erwan Saoudi, de FO, mais maintenant que certains détenus ont compris qu'ils ne pouvaient pas y faire de trafic, il n'y a quasiment plus de candidatures." Pour que le "régime Respecto" prouve son efficacité, "il faudrait créer un établissement pénitentiaire totalement indépendant, où ne seraient incarcérés que des primo-délinquants et les auteurs de délits routiers, avec un taux d'occupation normal", estime le syndicaliste. Un doux rêve, donc.

A Fresnes, 37 secondes quotidiennes accordées à chaque détenu

Le ministère de la Justice, qui se félicite auprès de L'Express des "retours d'expérience positifs" de ces régimes, entend pourtant multiplier ces expérimentations. "Au vu des conditions de surpopulation et d'effectifs actuels, on ne peut pas faire du parc pénitentiaire français un immense 'Respecto', même si on n'avait que des détenus exemplaires", soupire de son côté Erwan Saoudi, de FO.

A Fresnes, par exemple, prison-usine régulièrement citée comme le mauvais élève, avec ses 2700 détenus pour 1700 places et son insalubrité, l'hypothèse d'un quartier où les détenus évolueraient librement, pour favoriser leur sortie de prison, est très lointaine...

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