Une jeune femme passée des deux côtés des barreaux a livré un témoignage incroyable à l'Observatoire International des Prisons.
L'histoire d'Audrey démarre de façon banale. Après un an passé à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, à Agen, la jeune femme de 21 ans devient surveillante pénitentiaire.
Elle choisit d'être affectée à la maison d'arrêt de Rouen. En tant que femme, il lui est interdit d'avoir des contacts physiques avec les détenus hommes. Audrey ne pratique donc pas les fouilles et subit des remarques de la part de ses collègues masculins.
"Ils me reprochaient d'être payées comme eux, mais de ne pas faire tout ce qu'ils avaient à faire", témoigne-t-elle sur le site de l'OIP.
Elle "flashe" sur Lila
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Elle décide alors de postuler au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. La réponse est positive. Audrey se sait homosexuelle mais a "toujours respecté les règles et la barrière professionnelle". "Pas question de séduction", raconte-t-elle. Pourtant, un jour, elle "flashe" sur Lila, une des détenues située à un étage qu'elle gère pendant trois mois. Une relation s'installe : discussions, échanges de petits mots sur des bouts de papier et un baiser.
Audrey sait qu'elle ne respecte pas la loi. Elle n'a pas le droit de fréquenter une détenue. Même le tutoiement est interdit. Mais Audrey veille à ne pas accorder de privilèges à Lila. Jusqu'à la veille de son départ en vacances. Angoissée à l'idée de ne plus avoir de contact, elle dépose un téléphone portable dans la cellule de sa compagne. Loin et sans nouvelles, Audrey commence à avoir des doutes et s'inquiète. Effectivement, le téléphone a été trouvé lors d'une fouille et Lila a été placée en isolement, au quartier disciplinaire.
La jeune surveillante décide alors de se dénoncer. Police, garde à vue… le quotidien d'Audrey bascule. Le juge statue uniquement sur le téléphone et la condamne à un an avec sursis, avec interdiction d'exercer comme surveillante pendant 5 ans. Audrey échappe à la commission disciplinaire en donnant sa démission. Elle entre désormais dans la case "famille de détenue".
Ce n'est plus elle qui ouvre les portes
Lila, sa compagne, est quant à elle transférée à Bapaume, dans le Nord-Pas-de-Calais. Le directeur en poste refuse tout permis de visite, le couple ne se verra pas jusqu'à l'arrivée d'une nouvelle directrice "favorable à laisser une chance aux liens familiaux". Les deux femmes se pacsent. Pour sa première permission après leur union, Lila a l'autorisation de venir à Rennes - où habite toujours Audrey, devenue chômeuse - pour cinq jours.
Les deux femmes décident qu'elle ne retournera pas en prison. 12 jours de cavales, avec l'aide d'un ami, puis les deux femmes décident de se rendre. Le tribunal d'Arras condamne Lila à un an supplémentaire, Audrey à trois mois ferme avec une révocation de sursis de huit mois soit onze mois au total, l'ami qui les a aidées à six mois.
Pour la première fois, Audrey se retrouve derrière les barreaux et ce n'est plus à elle d'ouvrir les portes. Elle est incarcérée à Lille. Les débuts sont difficiles. Elle s'isole dans sa cellule, puis se confie à ses codétenues, certaines connaissent son histoire, d'autres se souviennent même qu'elle les a surveillées. Son statut d'ancienne surveillante ne simplifie pas les relations avec l'administration pénitentiaire, au contraire. La jeune femme dénonce la multiplication des fouilles, les convocations, une justice partiale sur sa remise de peine…
Audrey a aujourd'hui purgé sa peine. Avec le recul, elle affirme :
"Etre surveillante n'a pas toujours été facile, détenue non plus, mais famille de détenue, c'est la position la plus compliquée pour moi."
Et d'ajouter : "Depuis que j'ai été détenue, mes nerfs sont à vif, il y a une colère en moi qui n'existait pas avant. Une colère contre le système judiciaire et pénitentiaire."
Un cas pas si isolé
C'est l'article 20 du code de déontologie des surveillants de prison qui interdit au personnel de fréquenter les détenus de leur établissement, y compris dans les cinq années qui suivent la remise en liberté de ce dernier ou la levée de l'autorité du surveillant.
Le cas d'Audrey et Lila n'est toutefois pas isolé : en 2012, Florent Gonçalves, directeur de la maison d'arrêt pour femmes de Versailles est condamné à deux ans de prison ferme et 10.000 euros d'amende pour avoir entretenu une liaison avec une détenue. "Eperdument", un film, librement inspiré de leur histoire, est sorti sur grand écran quatre ans après.
En février dernier, un reportage de "Compléments d'enquête" listait également trois histoires d'amour entre des membres de l'administration pénitentiaire et des détenus.
L'Obs
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