230 détenus suivent chaque semaine des cours à la maison d’arrêt de Strasbourg. L’ambition affichée est de les préparer à leur sortie, de faciliter leur insertion et, ainsi, de prévenir la récidive. Mais ces objectifs sont compromis par des dysfonctionnements au sein de la zone scolaire, l’école de la prison, comme l’ont révélé à Rue89 Strasbourg plusieurs membres du personnel. Activités supprimées, formations inadaptées, les intervenants extérieurs sont las d’avoir à se bagarrer avec l’administration pénitentiaire.
Au sein de la maison d’arrêt de Strasbourg, la zone scolaire réussit difficilement sa mission d’insertion
Des salles de classe, une bibliothèque, cinq enseignants et vingt vacataires : la « zone scolaire » de la maison d’arrêt ressemble en tous points à une école. Pourtant, seulement 25% des détenus, volontaires, étudient un temps derrière les barreaux. Ils préfèrent souvent travailler dans les ateliers, d’autant que l’offre est importante. C’est ainsi que s’expliquerait le faible taux de participants selon Alain Reymond, directeur de la maison d’arrêt depuis 2010. Françoise Borner, responsable local de l’enseignement (REL), le rejoint :
« Bien sûr, nous aimerions que les détenus soient plus nombreux à se tourner vers l’école mais ils sont accaparés par beaucoup d’autres choses : les parloirs, le travail, le sport… Les activités se chevauchent et les détenus doivent faire un choix. Ce n’est malheureusement pas souvent celui de l’enseignement. »Mais l’explication est bien différente pour certains professionnels travaillant dans la zone scolaire. Le manque de personnel, la suppression d’ateliers et les dysfonctionnements internes sont les véritables raisons de la désaffection des détenus pour l’école. Des difficultés qui compromettent les objectifs d’insertion et d’accompagnement.
15 à 20% des détenus ne savent ni lire, ni écrire
La moitié des détenus de la maison d’arrêt de Strasbourg n’a aucun diplôme. Ces décrocheurs ont quitté le système scolaire tôt et depuis longtemps. Entre 10% et 15% d’entre eux ne savent ni lire, ni écrire ; 25% à 30% éprouvent de grandes difficultés. Chaque nouvel entrant est soumis à un test qui permet de dépister ses lacunes. Ensuite, rien ne l’oblige à les combler. D’après la responsable local de l’enseignement (RLE), Françoise Borner, ils seraient 230 élèves à suivre les cours proposés par la maison d’arrêt :« Mais ce chiffre n’est pas vraiment représentatif. Si les élèves ne sont pas assidus, au bout de deux absences non justifiées, ils ne peuvent plus aller en classe. De plus, une maison d’arrêt accueille des détenus purgeant de courtes peines, le turn-over y est particulièrement important. Une classe débute et, quelques mois plus tard, la moitié des détenus ont quitté la prison, remplacés par d’autres… Le professeur doit sans cesse s’adapter à des niveaux et des besoins différents. »Si certains détenus sont motivés à l’idée d’obtenir un diplôme ou de valider certains acquis, la plupart reprennent les cours pour une toute autre raison. Des remises de peine supplémentaires (RPS) sont délivrées aux détenus qui certifient aller à l’école.
Personnel manquant et difficultés internes
Du français langue étrangère (FLE) à l’anglais, en passant par des cours de préparation au CAP ou au diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), le niveau des élèves va de la 5ème au début lycée. L’enseignement en prison est géré par l’Éducation Nationale. Cette année, la maison d’arrêt a présenté un seul élève au DAEU, une dizaine au certificat d’aptitude professionnel (CAP) et une trentaine au certificat de formation général (CFG). Pourquoi si peu ? En raison d’un manque important d’organisation au sein de la zone scolaire, selon plusieurs membres du personnel souhaitant garder l’anonymat. Et la population carcérale est la première à pâtir de ces dysfonctionnements, comme l’explique une assistante de formation :« Nous n’avons actuellement plus de bibliothécaire. C’était une femme formidable qui tenait des ateliers d’écriture et de lecture. Elle est partie parce que des surveillants ne coopéraient pas. Des listes de détenus pouvant participer à ses cours disparaissaient. Certains jours, au lieu d’une dizaine de participants, ils n’étaient plus que trois. La coopération entre les services est désastreuse. Nous avons bien une conseillère d’orientation, mais en quart-temps, que voulez-vous qu’elle fasse ? Nous avons également perdu l’emploi vie scolaire. La zone scolaire, nous, on l’appelle la zone sinistrée. »Selon Alain Reymond, le directeur, ces postes n’ont simplement pas encore été remplacés mais le seront normalement à la rentrée prochaine.
Fin du partenariat entre la mission locale et la maison d’arrêt
Néanmoins, ces dernières années de nombreux ateliers, accompagnements et formations ont été rayé de la carte. Fini, le partenariat avec la Mission locale pour l’insertion et l’emploi des détenus. Durant deux ans, des conseillers bénévoles venaient à la rencontre de jeunes détenus et lors d’entretiens, les orientaient et les conseillaient. Mais, le manque de communication entre les services pénitenciers et la Mission locale a eu raison de cette initiative en 2012. Sylvie Schrenck, directrice de la Mission locale, revient sur cette expérience :« Nous rencontrions de nombreuses difficultés d’organisation. Les conseillers qui se déplaçaient à la rencontre des détenus voyaient régulièrement leur rendez-vous annulé au dernier moment parce que les surveillants refusaient de laisser sortir les jeunes de leur cellule. Il nous était également impossible d’apporter du matériel, comme des ordinateurs. Nous avons bataillé pendant des mois avec l’administration pénitentiaire pour obtenir enfin le droit de les amener avec nous. Nous sentions un réel manque d’implication de la part de nos partenaires. Lorsque nous avons voulu que le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) porte le projet et amène sa contribution, il a refusé. Nous avons donc du prendre la décision de mettre fin a ce partenariat. »Le directeur du SPIP, Dominique Zins, a une autre version. La décision de stopper cette action aurait été prise de manière unilatérale par la mission locale, alors qu’il avait insisté pour la faire perdurer. Malgré ce premier échec, la mission locale et le SPIP réfléchissent à relancer l’initiative. Mais, sous une forme « moins complexe et en ayant pris compte du manque de coopération et de communication antérieur », souligne Sylvie Schrenck.
Pas assez de formations manuelles
Outre les enseignements fondamentaux, les détenus ont la possibilité d’apprendre la réparation de vélo, la bureautique ou encore le métier de cariste. Ils peuvent aussi passer leur code. Un éventail de formations qui ne correspond pas aux attentes de la population carcérale, selon un employé :« Lorsque les détenus arrivent, ils demandent tout de suite à travailler. L’année dernière, nous avions un partenariat sur le chantier d’une école qui a vraiment très bien marché. Les détenus désirent faire quelque chose de leurs mains : construire, peindre… Mais, les formations sont très restreintes et proposent très peu d’activités manuelles. Lorsque les prisonniers passent leur CAP ou CFG, ils ne présentent que le volet théorique de l’examen. »Quant aux activités culturelles, elles souffrent d’un manque de financement. Même si, le directeur assure que les baisses de budget ne devraient pas empêcher leur maintient, dans le quartier des femmes, un atelier « création et décoration de boomerang » s’est arrêtée nette cette année, faute de moyens. Pourtant, ces activités préparent elles aussi à l’insertion des détenus dans la société, et permettent d’améliorer le quotidien des détenus, explique une des intervenant dans ce domaine au sein de la maison d’arrêt :
« Les activités offrent un espace de détente et d’expression. Les détenus se réunissent et réalisent quelque chose individuellement, pour eux. Que se soit un poème ou bien une peinture, le fait qu’ils prennent conscience de leurs capacités est déjà une avancée. Ils gagnent en confiance. Ensuite, ils présentent leurs oeuvres, en discutent, en rigolent… Tout ceci les aide à trouver leur place au sein d’un collectif. La réalisation d’un objet n’est pas le plus important, l’essentiel est ce qui se passe durant l’atelier : les interactions, les échanges et les liens qui se créent. Mais, pour chaque atelier, chaque nouvelle animation, il faut se bagarrer avec le service pénitencier. La mise en place d’initiatives entraine un mouvement de détenus et interroge donc la sécurité dans l’établissement. C’est un combat que l’on doit mener à chaque fois pour convaincre de notre utilité auprès des détenus. »
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