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vendredi 22 août 2014

Les juges inquiets des ratés du bracelet électronique

Passer du bug informatique au drame: telle est la crainte du personnel de l'Administration pénitentiaire chargé de surveiller à distance les personnes placées sous bracelet électronique.
 
Les multiples dysfonctionnements des bracelets électroniques seraient liés à l'arrivée d'un nouveau fournisseur.
Sous pression, les surveillants craignent que des détenus commettent l'irréparable
 
Car, depuis janvier, c'est la cacophonie dans les centres de contrôle, où les alarmes intempestives se multiplient. De jour comme de nuit, cela sonne chez les gardiens, contraints de vérifier, par téléphone ou en se déplaçant, qu'une lanière n'a pas été arrachée ou qu'un domicile n'a pas été déserté aux heures fixées par la justice… Un travail vain mais qui fait surtout redouter le pire. À force de dérangements inutiles, le coup de fil pour vérifier que la situation est normale finit par être différé. «Et c'est là que l'on peut passer à côté d'une véritable alerte et que l'on peut arriver au drame», redoute David Besson, secrétaire général adjoint de l'Ufap (Union fédérale autonome pénitentiaire). À l'occasion d'un contrôle défaillant, un méfait irréparable peut vite être commis…
Ces anomalies en chaîne, survenues depuis le début de l'année, viennent d'être révélées par le personnel des Bouches-du-Rhône.
Selon Frédéric Belhabib, surveillant de prison en milieu ouvert au SPIP (service pénitentiaire d'insertion et de probation) d'Aix-en-Provence, et syndicaliste CFDT, cette dégradation est liée à l'arrivée d'un nouveau fournisseur. «Depuis que Thales a remporté le marché en faisant une offre moins élevée, les dysfonctionnements se multiplient. On gère 170 bracelets et depuis mars, on a dénombré 115 pannes», déplore-t-il. Ainsi au lieu de durer deux ans, des piles défectueuses se déchargeraient parfois dans l'heure, déclenchant alors l'alarme. Autre dérèglement relevé: le bracelet d'un braqueur marseillais a été déconnecté durant cinq jours sans que personne ne le sache jusqu'à ce que l'alerte se mette enfin en branle. «Le signal sonore s'est aussi manifesté plusieurs fois chez un pédophile qui nous certifie à chaque fois qu'il est bien chez lui. Mais on ne sait plus s'il dit vrai ou non», relate le syndicaliste, qui entrevoit les conséquences de telles perturbations. «Si la personne surveillée comprend que les contrôles sont défectueux, elle pourrait en profiter.»
Les récentes révélations sur ces bugs qui affectent tout le territoire ont délié les langues. Dans le Nord-Pas-de-Calais, Philippe Maisnil, délégué CFDT, assure que ces dysfonctionnements sont tels que les surveillants sont totalement stressés. «Cela nous inquiète toujours d'imaginer qu'un détenu est introuvable», dit-il. La situation est telle que l'Ufap a écrit fin juin à la ministre de la Justice pour lui demander de remédier à ces défaillances. «On ne peut pas travailler pour rien alors que nous sommes en sous-effectif», indique son secrétaire général adjoint.

Multiplication des bugs

Du côté de la Chancellerie, on ne conteste pas ces difficultés, mais elles ont, dit-on, été ponctuelles et ont cessé à la mi-mai. «Cela correspondait à la phase de déploiement progressif du dispositif par Thales et, dans ce cas, il peut y avoir des soucis techniques», dit-on, Place Vendôme en énumérant trois sortes de problèmes rencontrés: «Il y a eu des sangles facilement détachables, des piles basses et des batteries qui se sont vite vidées, et des alarmes intempestives.» Or, depuis trois mois, assure-t-on au ministère, «le taux de panne est revenu au niveau normal, de 0,05 %». Une amélioration contestée par les syndicats.
 
Aux premières loges de ces dysfonctionnements, les juges d'application des peines (JAP), se désolent de ces nouveaux couacs.
«En six ans, on a eu quatre prestataires différents et à chaque fois ils ont tous été moins-disants. Cela rejaillit forcément sur la qualité du dispositif. Seul le premier était bien, mais, trop cher, il a été remplacé», regrette Myriam Bouzat, magistrate à Montpellier et déléguée régionale USM (Union syndicale des magistrats). «Ces bugs se multiplient car il y a aussi plus de bracelets électroniques», relève Martine Lebrun, présidente honoraire de l'Association nationale des JAP, qui se préoccupe aussi du sort des personnes surveillées et sans cesse importunées. «Elles sont réveillées en pleine nuit et doivent justifier ensuite qu'elles dormaient bien dans leur lit. Pas facile!» dit-elle. D'ailleurs, l'une d'elles, qui avait, cette fois, un bracelet mobile avec un système de géolocalisation, avait fini par saisir le Conseil d'État. Son équipement défectueux sonnait sans cesse, où qu'elle soit, chez elle comme dans les magasins. Les juges avaient admis que ces dysfonctionnements «avaient porté atteinte à sa dignité, son intégrité et sa vie privée».

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