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jeudi 4 décembre 2014

Marseille : travail en prison, marché tendu

Mondialisation, marketing difficile, l'administration pénitentiaire peine à proposer un emploi à ses détenus
Emploi - Economie - Marseille : travail en prison, marché tendu

Achèteriez-vous un article si son étiquette affichait "made in prison" ? À cette question, prudentes, les marques qui font fabriquer tout ou partie de leurs produits en milieu pénitentiaire ont choisi de répondre pour le consommateur : probablement pas... Alors autant le taire.
Tabou, le sujet l'est assurément. À Marseille ainsi, plusieurs marques, positionnées plutôt haut de gamme, ont bien un atelier au sein du centre pénitentiaire des Baumettes. Textile, bijouterie, parfums ici, pièces automobiles ou aéronautiques ailleurs, ces sociétés ont passé un contrat avec les établissements, qui emploient les détenus.

Il y a quelques années, une célébrissime marque d'épicerie fine faisait conditionner ses articles de luxe à Fleury-Mérogis. En prison, à des années-lumière de leur univers, ces entreprises ont trouvé "une flexibilité évidemment" et une main-d'oeuvre à moindre coût, note bien volontiers Pierre Raffin, directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires. Pas de chômage technique, pas de licenciement, et un salaire, allant de 20 % à 45 % du salaire minimum interprofessionnel. "L'aspect philanthropique et social peut jouer dans leur décision de travailler avec nous, mais ce n'est pas le premier moteur au départ", constate-t-il.

Mais ces chaînes de production-là, ces ateliers entièrement montés par les entreprises au sein de la prison -qui ne fournit que les locaux et la main-d'oeuvre- vous ne les verrez pas : "Nous avons posé la question à nos clients et c'est impossible de vous les montrer, s'excuse Chloé Louvel, à la communication interrégionale des services pénitentiaires. Aucun n'a envie d'être associé à l'image de la prison."

Les noms de ces entreprises, nous en connaissions toutefois certains : les révéler, ce serait à coup sûr priver la prison marseillaise de ses contrats. Or, comme le rappelle Jean-Marie Delarue, l'ex contrôleur général des lieux de privation de liberté, "le travail est l'instrument le plus sûr, avec les relations familiales, de l'absence de conflits".

Bien que très modestes, les rémunérations versées aux détenus (80 % leur revient, 10 % est conservé pour un pécule de sortie, 10 % pour l'indemnisation de leurs victimes ou les contraintes douanières) leur permettent de cantiner, voir d'aider leur famille, à l'extérieur. C'est aussi un outil d'apaisement, au sein de l'établissement, et un marchepied pour une future réinsertion, bien "qu'aucune statistique n'existe sur le sujet".

Des perspectives incertaines

À Marseille, seuls 15 % de la population carcérale (26 % en Paca-Corse) accède ainsi à un emploi en détention, que ce soit dans les ateliers de production en concession, en service général (entretien et service de la prison elle-même), ou à la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (Riep). À Arles, ainsi, prison de plus longues peines, les détenus fabriquent les pantalons des gardiens de toutes les prisons de France ! À Moulins, encore "un assassin du juge Michel avait cousu des gilets pour le personnel des autoroutes", se souvient aussi Pierre Raffin.

Bien que cela soit un droit inscrit dans le Code de procédure pénale, "nous ne pouvons pas fournir assez de travail à nos détenus. Leur demande dépasse de beaucoup l'offre ", regrette le directeur interrégional. Car la crise, la férocité de la mondialisation, la prison en subit aussi les effets violents: "Depuis quinze ans, nous perdons des contrats au profit de la main-d'oeuvre des pays de l'Est et du Maghreb, indique Pierre Raffin. Je vous livre une anecdote : il y a deux ou trois ans, nous avions pensé travailler sur un marché de produits sous douane, présentant des défauts et parvenus à Marseille. Nous aurions pu les rattraper. Or, l'entreprise a préféré repartir au Maroc avec son chargement : cela lui coûtait moins cher de refaire le voyage et de trouver de la main-d'oeuvre là-bas !"

Bien qu'un cadre de l'administration travaille activement à dénicher de nouveaux marchés, Pierre Raffin n'est guère optimiste. "Nos perspectives sont très incertaines. Ici, nous sommes une petite société contrainte de suivre les crises et tensions de la grande..."

À noter : le travail en prison peut prendre d'autres formes. Ainsi, à Tarascon et Toulon, une boulangerie a été créée au sein des établissements, afin d'alimenter les prisons mais aussi de former des détenus (CAP en alternance). Un four à pizza a aussi été acheté afin de préparer un "rebond" professionnel à la sortie de détention. Enfin, des chantiers extérieurs dans le cadre du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) existent également, le plus souvent en milieu associatif.

POINT DE DROIT

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