Un Etat jusque-là aveugle, des surveillants peu formés et en nombre insuffisant, un Conseil français du culte musulman censé gérer les aumôniers qui interviennent dans les établissements, mais surtout préoccupé par ses luttes internes... Voilà comment l'islam radical s'est invité dans les prisons françaises.
Fleury-Mérogis.
« Tu vois le yaourt que tu manges, il y a du porc dedans. Dans la composition, ce chiffre : E471, ça veut dire que ce n’est pas hallal… » La conversation rapportée par un détenu révèle la teneur des rumeurs qui courent dans les couloirs des prisons françaises. Les yaourts et plus largement les aliments qui sont proposés aux personnes sous les verrous sont-ils composés de graisse animale, et notamment de porc, ou de graisse végétale ? De faux savants, détenus comme les autres mais imams autoproclamés, s’empressent alors de répondre, de répandre le doute dans la promiscuité d’une cellule ou dans l’antre de la cour de promenade. L’embrigadement commence parfois comme ça, de façon anodine. Le début d’un travail de longue haleine, à destination des plus désœuvrés que ces prédicateurs improvisés abordent et « achètent » même en quelque sorte, en commençant par partager gracieusement leurs « cantines » (hallal) ou leurs cigarettes, jusqu’à se rendre indispensables.
L'embrigadement, un travail de longue haleineLa nourriture donc, puis bientôt la musique — qui est haram, un pêché — et la télévision que les détenus cessent de regarder ou de louer chaque mois, etc. Pour en venir petit à petit à… la guerre sainte, le djihad « contre les mécréants », en Irak ou en Syrie, mais aussi en France, comme à Charlie Hebdo, ce mercredi 7 janvier ou à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, deux jours plus tard. A quelques kilomètres seulement de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où ont été écroués, au milieu des années 2000 deux des principaux auteurs des tueries, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, 32 ans chacun.
L'islam radical en prison alimente ainsi tous les fantasmes. A l'intérieur, comme à l'extérieur. De ce sujet, on sait d'ailleurs peu de choses, les autorités allant même — mais peut-être cela va-t-il changer ? — jusqu'à enterrer certains rapports pourtant commandés par leurs soins. Et les formations délivrées au personnel pénitentiaire, en sous-effectif chronique, sont quasi inexistantes. Quant aux responsables religieux musulmans, ils ont longtemps préféré fermer les yeux. Surgissent alors les bribes de témoignages. D'aumôniers. De surveillants. De personnes qui ont vu grandir le monstre au quotidien sans pouvoir le nommer. « La France est-elle un pays de mécréants ? Doit-on faire la guerre aux mécréants ? » interroge par exemple un détenu un temps inscrit au culte à Fleury-Mérogis. Qui lui répond ? Sa mère ? La télévision ? Un livre de propagande qu'il s'est procuré illégalement ? L'aumônier musulman de la prison ?
L'irresponsabilité des responsables religieux On sait en tous cas qui ne répond pas. C’est le cas du Conseil français du culte musulman (CFCM), duquel dépendent notamment les aumôniers musulmans qui officient dans les prisons. Contacté à plusieurs reprises par Marianne, le CFCM n'a pas encore donné suite à nos demandes. « Vous ne les aurez pas » nous avait-on prévenu. Tout un symbole. Certes, sa mission première était la gestion des mosquées. Les prisons étaient en quelque sorte un sujet annexe. Hélas, il l'est resté. Et une des raisons évoquées est désarmante : « Lorsque le CFCM se crée, les efforts se sont portés sur l'organisation structurelle du Conseil, le côté mécanique » explique Bernard Godard, le « Monsieur Islam » de la place Beauvau. Autrement dit, il était quasi exclusivement question de savoir — voilà une noble mission — qui serait nommé à quel poste...
Les attentats de 1995 avaient pourtant déjà eu lieu. Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des artificiers, que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly chercheront à faire évader sans succès quinze ans plus tard, entamait, lui, son tour de France des prisons. Mais à l'époque, et par la suite donc, « personne au CFCM ne s'est préoccupé de savoir comment fonctionnait l'aumônerie en milieu carcéral. » Sous l'autorité de directions régionales, celle-ci pose pourtant problème. A plusieurs égards. Outre le fait que les directions régionales vivotent, de manière autonome, sans réelle réflexion commune sur la radicalisation en prison (qui n'a d'ailleurs jamais fait l'objet de la part du CFCM de rapports centralisant les informations locales), l'aumônerie musulmane en milieu pénitentiaire est déchirée par des luttes intestines qu'on retrouve jusqu'au sommet de la hiérarchie du CFCM, où algériens et marocains se disputent le pouvoir.
« Ça a été difficile » concède en effet Bernard Godard. « Finalement, l'aumônerie a été dévolue à la partie marocaine après une forte pression du ministère de l’Intérieur et de l’administration parce qu’en face ils disaient, “Attendez on va discuter” et tout restait bloqué. » Tout l'est encore d'une certaine manière tant perdurent les critiques, contre Hassan el Aloui Talibi, l'aumônier national depuis 2005, qui répartit le budget et décide des nominations, notamment celle de sa femme, secrétaire de l'aumônerie nationale. Le CFCM a donc failli à sa tâche. Personne ne s'en cache plus. Et son président, Dalil Boubakeur, également recteur de la Grande Mosquée de Paris, ne cesse d'être mis en cause : « Qui écoute encore Boubakeur ? », « Combien de fois a-t-il mis les pieds en prison ? », entend-on au détour de conversations entre les différents acteurs du milieu.
Les attentats de 1995 avaient pourtant déjà eu lieu. Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des artificiers, que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly chercheront à faire évader sans succès quinze ans plus tard, entamait, lui, son tour de France des prisons. Mais à l'époque, et par la suite donc, « personne au CFCM ne s'est préoccupé de savoir comment fonctionnait l'aumônerie en milieu carcéral. » Sous l'autorité de directions régionales, celle-ci pose pourtant problème. A plusieurs égards. Outre le fait que les directions régionales vivotent, de manière autonome, sans réelle réflexion commune sur la radicalisation en prison (qui n'a d'ailleurs jamais fait l'objet de la part du CFCM de rapports centralisant les informations locales), l'aumônerie musulmane en milieu pénitentiaire est déchirée par des luttes intestines qu'on retrouve jusqu'au sommet de la hiérarchie du CFCM, où algériens et marocains se disputent le pouvoir.
« Ça a été difficile » concède en effet Bernard Godard. « Finalement, l'aumônerie a été dévolue à la partie marocaine après une forte pression du ministère de l’Intérieur et de l’administration parce qu’en face ils disaient, “Attendez on va discuter” et tout restait bloqué. » Tout l'est encore d'une certaine manière tant perdurent les critiques, contre Hassan el Aloui Talibi, l'aumônier national depuis 2005, qui répartit le budget et décide des nominations, notamment celle de sa femme, secrétaire de l'aumônerie nationale. Le CFCM a donc failli à sa tâche. Personne ne s'en cache plus. Et son président, Dalil Boubakeur, également recteur de la Grande Mosquée de Paris, ne cesse d'être mis en cause : « Qui écoute encore Boubakeur ? », « Combien de fois a-t-il mis les pieds en prison ? », entend-on au détour de conversations entre les différents acteurs du milieu.
Vers une prise de conscience ? A l'Union des Mosquées de France, (l'UMF) fraîchement créée, une association qui rassemble plusieurs centaines de mosquées, la démarche affichée est différente. Depuis juin dernier, ses représentants ont lancé les Etats généraux contre le radicalisme et sillonnent la France à la rencontre des fidèles. « On reçoit beaucoup d'appels, tous les jours, parfois touchants, d'autre perturbants, raconte Mohamed Mraizika, secrétaire général de l'UMF, De famille démunies, qui nous disent, “J'ai peur pour mon jeune”. Le spectre syrien est présent. On essaye de répondre de manière pragmatique, en allant sur le terrain. »
En prison, des éléments de réflexion commencent également à apparaître. Deux mois avant les attentats du 7 janvier, la maison d'arrêt de Fresnes, en Ile-de-France, avait en effet décidé de regrouper une trentaine de détenus radicalisés dans différents bâtiments de l'établissement. Une expérimentation hâtivement saisie par le Premier ministre Manuel Valls, qui a annoncé vouloir étendre cette mesure, dont les effets, bons ou mauvais, ne peuvent encore être mesurés et qui ne sont pas sans risques, comme le rappelle le sociologue Farhad Khosrokhavar dans une interview à paraître dans Marianne ce vendredi. Certes, ils sont isolés, ce qui permet d'éviter la « contagion » aux autres détenus, mais rassemblés, ils peuvent en ressortir plus « galvanisés » que jamais. A Fresnes, la violence n'a de surcroît pas diminué constate l'UFAP-UNSa Justice, syndicat majoritaire du ministère de la Justice et de l'Administration pénitentiaire, qui regrette par ailleurs que la décision de regrouper les détenus ait été prise « sans consultation ».
Si le dispositif n'est pas « le principal sujet de conversation, le midi, au mess », à la cantine, entre surveillants, il interroge toutefois. Peut-être aurait-il fallu encadrer les détenus concernés par des surveillants qui comprennent l'arabe ? Peut-être aurait-il été judicieux de réparer les grillages aux fenêtres de manière à éviter tout échange entre détenus, à travers les yo-yo, ces cordelettes attachées aux barreaux ? Peut-être enfin aurait-il été préférable de placer les détenus dans des cellules que l'agent du mirador puisse surveiller au loin ? Or, à Fresnes, il n'en est rien.
Un gouvernement jusque-là aveugle « Il ne faut pas croire que la prison constitue le seul lieu de la radicalisation ajoute Claude Tournel, secrétaire général adjoint de l'UFAP-UNSa Justice. Les détenus ont d'abord un profil de délinquants. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face ». Et celle du gouvernement semble obstruée, jusque-là, par la course à l'austérité, qui précarise aussi les prisons, où les surveillants, en nombre insuffisant, contractuels, n'ont pas toujours les moyens de déceler l'éventuel profil à risque des détenus.
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En prison, des éléments de réflexion commencent également à apparaître. Deux mois avant les attentats du 7 janvier, la maison d'arrêt de Fresnes, en Ile-de-France, avait en effet décidé de regrouper une trentaine de détenus radicalisés dans différents bâtiments de l'établissement. Une expérimentation hâtivement saisie par le Premier ministre Manuel Valls, qui a annoncé vouloir étendre cette mesure, dont les effets, bons ou mauvais, ne peuvent encore être mesurés et qui ne sont pas sans risques, comme le rappelle le sociologue Farhad Khosrokhavar dans une interview à paraître dans Marianne ce vendredi. Certes, ils sont isolés, ce qui permet d'éviter la « contagion » aux autres détenus, mais rassemblés, ils peuvent en ressortir plus « galvanisés » que jamais. A Fresnes, la violence n'a de surcroît pas diminué constate l'UFAP-UNSa Justice, syndicat majoritaire du ministère de la Justice et de l'Administration pénitentiaire, qui regrette par ailleurs que la décision de regrouper les détenus ait été prise « sans consultation ».
Si le dispositif n'est pas « le principal sujet de conversation, le midi, au mess », à la cantine, entre surveillants, il interroge toutefois. Peut-être aurait-il fallu encadrer les détenus concernés par des surveillants qui comprennent l'arabe ? Peut-être aurait-il été judicieux de réparer les grillages aux fenêtres de manière à éviter tout échange entre détenus, à travers les yo-yo, ces cordelettes attachées aux barreaux ? Peut-être enfin aurait-il été préférable de placer les détenus dans des cellules que l'agent du mirador puisse surveiller au loin ? Or, à Fresnes, il n'en est rien.
Un gouvernement jusque-là aveugle « Il ne faut pas croire que la prison constitue le seul lieu de la radicalisation ajoute Claude Tournel, secrétaire général adjoint de l'UFAP-UNSa Justice. Les détenus ont d'abord un profil de délinquants. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face ». Et celle du gouvernement semble obstruée, jusque-là, par la course à l'austérité, qui précarise aussi les prisons, où les surveillants, en nombre insuffisant, contractuels, n'ont pas toujours les moyens de déceler l'éventuel profil à risque des détenus.
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