De nombreuses photos de détenus, prises et postées avec un smartphone depuis leur cellule, circulent sur les réseaux sociaux. Des prisonniers affirment que ce sont les surveillants qui fournissent les téléphones. Les matons ne démentent pas.
Il suffit de faire un tour sur Facebook, Instagram ou Twitter pour trouver de nombreuses photos prises en cellule, où les prisonniers n’hésitent pas à s’afficher à visage découvert. Certains clichés ont été pris dans l’enceinte de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, dans les Yvelines.
Ces photos n’ont rien à voir avec celles qui ont fait scandale aux Baumettes. Les détenus marseillais avaient, en effet, créé une page Facebook dans laquelle ils s’amusaient à exhiber drogues, argent liquide et téléphones. Leurs homologues yvelinois sont beaucoup plus softs : selfies, clichés des cellules, des repas, de la cour de promenade…
«Les réseaux sociaux me permettent de m’évader (intellectuellement) un court instant. J’oublie l’enfermement», confie un jeune homme incarcéré à Bois-d’Arcy avec qui nous sommes entrés en contact. Il se sert aussi de son smartphone, un Samsung, pour passer des coups de fil et envoyer des SMS, afin d’entretenir les liens avec sa famille et ses amis.
«Le fait de poster des photos d’eux sur les réseaux sociaux est un acte de défiance. Les détenus cherchent ainsi à retrouver une dignité, un poids dans la société. Ils bombent le torse face à une réalité difficile, mais ils savent très bien qu’ils courent un risque vis-à-vis de l’administration pénitentiaire», analyse un membre de l’Observatoire international des prisons (lire ci-dessous).
La sanction encourue ? Le passage en conseil discipline, un séjour au mitard, jusqu’à des mois de prison supplémentaires.
Reste à savoir comment les téléphones entrent en détention.
«La plupart du temps, ce sont les surveillants qui nous les fournissent. Un téléphone acheté une centaine d’euros à l’extérieur est revendu 500 euros à l’intérieur, poursuit le détenu de Bois-d’Arcy. Soit on paye directement auprès du maton, avec de l’argent liquide (interdit en prison, NDLR) qu’on récupère lors d’une visite au parloir, mais ce n’est pas le plus simple ; soit un proche paye le surveillant à l’extérieur, puis il nous livre le téléphone dans notre cellule.»
Des matons «corrompus»
D’autres détenus et ex-détenus évoquent aussi les agissements de «matons corrompus». L’un d’eux confie que le personnel pénitentiaire serait parfois contraint de faire entrer les téléphones suite à des pressions subies à l’extérieur par des proches des détenus. Ils fourniraient également de la drogue, selon plusieurs prisonniers, ainsi que de l’alcool, à «150 euros» la bouteille.Un détenu affirme aussi que «90%» des 850 prisonniers Bois-d’Arcy sont équipés d’un téléphone. Un chiffre que réfute Cédric Torres, membre du syndicat Ufap-Unsa Justice, et surveillant à la maison d’arrêt des Yvelines : «Il y a des téléphones portables, c’est certain, mais dans une moindre proportion.»
Néanmoins, à Bois-d’Arcy, il est courant que les détenus en possèdent deux : un smartphone et un téléphone à clapet tout simple. Cela a pu être confirmé par différentes photos postées sur les réseaux sociaux. Le premier appareil est réservé à la cellule, car il ne passe pas les portiques de sécurité. Le second – indétectable par les détecteurs de métaux – peut être utilisé en promenade, avec des oreillettes.
Michèle Vuilliet, présidente de l’association Solidaires, chargée d’accueillir les familles au parloir à Bois-d’Arcy, indique qu’elle a souvent entendu parler de ces pratiques, pas seulement à la maison d’arrêt des Yvelines, sans pouvoir certifier qu’elles ont court : «Je ne peux pas savoir ce qui se passe à l’intérieur de la prison entre les surveillants et les détenus», confie-t-elle.
Cette femme, bénévole depuis plus de vingt ans dans le milieu carcéral, assure par ailleurs que les proches des détenus sont très contrôlés à l’entrée des parloirs. «Les visiteurs passent par un portique ; ils sont parfois fouillés. Même le linge déposé pour les détenus est méthodiquement inspecté», ajoute-t-elle, persuadée qu’il est «très difficile» de faire entrer un objet interdit par la grande porte.
Elle rapporte même que la police organise ponctuellement des opérations de contrôles des visiteurs à l’entrée des prisons, comme le 30 mai dernier, à la centrale de Poissy, où deux personnes avaient été interpellées après avoir essayé de faire entrer du haschisch, une clé USB et divers objets interdits en prison.
Le business s’organise aussi entre détenus
À Bois-d’Arcy, il n’est pas simple non plus d’expédier des “colis” pour les détenus depuis l’extérieur, par-dessus les murs d’enceinte, via le système dit du “parachute” : «La configuration des lieux n’est pas propice à cette pratique», estime Cédric Torres.À travers nos conversations avec les détenus, on a pu comprendre que plusieurs d’entre eux disposent de stocks de téléphones qu’ils monnayent ou prêtent à leurs codétenus.
«À mon arrivée, un ami déjà incarcéré m’a donné un téléphone et des oreillettes. Ensuite, au bout d’un mois, j’ai acheté un Samsung à clapet», confie un homme incarcéré depuis plusieurs mois à Bois-d’Arcy. Il a fallu ensuite que la confiance s’installe avec un surveillant pour qu’il obtienne un smartphone.
Sollicitées, la direction de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy et l’administration pénitentiaire n’ont pas donné suite à notre demande d’interview.
Ils militent pour l’autorisation des téléphones en détention
En 2011, le contrôleur général des lieux de privation de liberté de l’époque, avait rendu un avis favorable à l’utilisation contrôlée du téléphone portable par les détenus, notamment pour leur permettre de maintenir le contact avec la famille, organiser leur défense et préparer leur réinsertion. Il a depuis été remplacé, mais son successeur poursuit sur la même lancée. Cette instance indépendante dispose d’un pouvoir consultatif et ne peut rien imposer aux autorités.
«On trouve des portables dans toutes les prisons de France, assure François Bès, coordinateur pour l’Île-de-France de l’Observatoire international des prisons (OIP). Des surveillants et d’autres salariés des prisons se retrouvent régulièrement en garde à vue pour avoir introduit des téléphones en prison. Nous avons recueilli des témoignages de détenus décrivant ce business, et même de familles obligées de donner de l’argent à un personnel de l’administration pénitentiaire, à l’extérieur, pour qu’il livre un portable en prison», ajoute ce représentant associatif qui milite pour que le téléphone soit autorisé en détention, sous certaines conditions.
«Cela permettrait d’endiguer ces trafics et de lutter contre la désocialisation des détenus. Les cabines téléphoniques dans les prisons sont mises à disposition à des heures où les détenus ne peuvent pas forcément contacter leurs proches. Et les communications se payent à l’unité. Certains y laissent 300 à 400 euros par mois.»
Les surveillants ne démentent pas
Cédric Torres, secrétaire général de l’Ufap-Unsa justice, rattaché à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, ne dément pas les propos des détenus.
«Il n’est pas impossible que des surveillants fournissent des téléphones portables», indique-t-il. Pas de doute pour lui, à Bois-d’Arcy, on peut trouver des téléphones en cellule, même si l’administration pénitentiaire mène «la chasse» aux portables.
«Il y a des fouilles à la sortie des parloirs, des fouilles de cellules, mais certains appareils passent forcément à travers les mailles du filet.» Surtout quand on compte un surveillant pour soixante-cinq détenus, comme c’est le cas à la maison d’arrêt des Yvelines. «Le portable pose plusieurs problèmes, poursuit le délégué syndical. Le détenu peut s’en servir pour préparer son évasion, organiser son business depuis sa cellule, ou communiquer avec un complice avant un procès.»
Un autre surveillant, qui a longtemps travaillé dans une autre prison des Yvelines, concède aussi que des surveillants puissent fournir des téléphones. «Tout le monde n’est pas irréprochable. Mais cette “porte d’entrée” reste marginale. Il y a d’autres moyens d’introduire un téléphone en détention, davantage exploités par les détenus et leurs familles, explique-t-il...
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