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mardi 15 septembre 2015

Faut-il vraiment supprimer le ministère de la Justice ?

Xavier Bertrand a lancé ce week-end l'idée de fusionner les ministères de l'intérieur et de la justice pour créer un grand "ministère de l'autorité". Un mariage de la carpe et du lapin entre deux bastions de la République.  
Christiane Taubira, ministre de la Justice, après le Conseil des ministres à l'Elysée le 9 septembre 2015. (ALAIN JOCARD / AFP)
 
Officiellement, il n’est pas encore question de rayer la place Vendôme de la carte. En apparence, le débat est plus nuancé. La polémique portée par Xavier Bertrand, candidat LR aux régionales dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie a été plus clairement posée dans  son discours du samedi 10 septembre lors du campus des Jeunes Républicains au Touquet : 
Quand on voit tout le mal qu’a causé Christiane Taubira. Il faudra penser à l’avenir pour éviter qu’on ait le sentiment que quand les policiers font leur travail, ceux qu’ils arrêtent sont bien souvent relâchés. Je pense qu’il nous faudra un seul et fort ministère de l’Autorité qui regroupe en même temps l’ancien ministère de l’Intérieur et l’ancien ministère de la Justice."
Un seul ministère ? Comme l’a relevé le Figaro lundi matin, l’idée n’est pas nouvelle à droite. Dans un livre (1), en 2014, le député-maire de Saint-Quentin, toujours lui, avait déjà suggéré que "pour lutter contre les corporatismes et les différences culturelles entre l'Intérieur et la Justice, il conviendrait de mener un rapprochement statutaire entre les deux ministères".

Vieux débats

Pour Xavier Bertrand, qui selon des journalistes sur place, a fait huer par la salle le nom de Christiane Taubira, le débat est clairement politique. Mais il réveille de vieux débats.

"La chancellerie a toujours été considérée comme le temple des droits-de-l’hommiste face à l’Intérieur", témoigne un ancien garde des Sceaux. Le face-à-face a de tout temps existé, à droite comme à gauche, que ce soient entre des Dominique Perben et Pascal Clément ministres de la Justice en posture de résistance à un Nicolas Sarkozy à l’Intérieur. Que ce soit Robert Badinter en décalage avec Gaston Deferre. Ou plus récemment, Christine Taubira, contrainte de mener des arbitrages sur la politique pénale face à Manuel Valls, alors locataire de la place Beauvau...

Seule Rachida Dati refusait de s’opposer systématiquement au ministère de l’Intérieur. "Quand mes prédécesseurs affichaient des résistances face à des réformes proposées par le ministre de l'Intérieur, ils défendaient une conception voulue par le Président et le Premier ministre de l'époque. Ce n'était pas toujours leur conception. Aujourd'hui, nous avons un Président et un gouvernement qui ont reçu de la part des Français un mandat clair sur ce sujet. L’ensemble du gouvernement travaille dans la même direction", se félicitait-elle en 2007 dans un livre consacré au fonctionnement de la place Vendôme. Mais jamais elle-même n’a songé à supprimer le poste qu’elle occupait d’ailleurs à la date de cette déclaration...

"Trop poli pour s'imposer"

Techniquement, la meilleure fiction sur une éventuelle disparition du ministère de la Justice a été signée en 2004 dans un livre (3) par un très bon connaisseur de la place Vendôme, le conseiller d’Etat Christian Vigouroux.  "Et si le ministère n’existait plus ?" lançait-il.
Nul ne s’en apercevrait immédiatement mais le code pénal éclaterait entre les multiples autorités et ministères soucieux de renforcer la sanction de leurs propres législations et se réduirait à une compilation de peurs et de réactions aux faits divers (...) La police judiciaire serait un peu plus police et un peu moins judiciaire (...)  L'administration pénitentiaire reviendrait au ministère de l'intérieur qu'elle n'a quitté qu'en mars 1911."
Christian Vigouroux  - qui au moment d’écrire ce diagnostic était ancien directeur de cabinet d’Elisabeth Guigou à la Justice mais n’était pas revenu place Vendôme pour occuper les mêmes fonctions aux côtés de  Christiane Taubira entre 2012 et 2013 - concluait sévèrement la tentative de faire plier la Justice en imposant un rapport de force favorable à l’Intérieur :  
Ce scénario [d’une disparition du ministère] n’est pas inimaginable. Il se joue même chaque fois que, par l’Histoire des institutions et des hommes, le ministère de la Justice est trop poli pour s’imposer."
Nul doute que la question reviendra avant la campagne de 2017. D’ici là, laissant peut-être ce présage dans le seul camp des Républicains, aucun des deux locataires des ministères concernés, Christiane Taubira et Bernard Cazeneuve, n'a même réagit à la polémique.

(1) "Plaidoyer pour une nouvelle approche de la sécurité intérieure", dans Les douze travaux de l'opposition, un ouvrage collectif dirigé par Benoist Apparu (Flammarion)
(2) "Justice, le ministère infernal", Mathieu Delahousse (Flammarion)
(3) Dictionnaire de la justice, sous la direction de Loïc Cadiet, PUF
http://tempsreel.nouvelobs.com

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