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jeudi 26 novembre 2015

Mulhouse - Réfléchir sur « le sens de la peine »

« Moins punir par la prison pour mieux reconstruire » est le thème de la 22e Journée nationale des prisons.

Marie-Agnès Credoz, contrôleur des lieux de privation des libertés, a aussi été magistrate pendant quarante-deux ans. Photo  L’Alsace/

À Mulhouse, les associations donnent rendez-vous au public ce samedi à la Maison Engelmann. Marie-Agnès Credoz, magistrate honoraire et contrôleur des lieux de privation de liberté, parlera des critères de la peine.
Marie-Agnès Credoz a exercé la fonction de magistrate pendant quarante-deux ans. Elle a été en poste à Mulhouse de 1972 à 1987 (juge des enfants, présidente du tribunal correctionnel), présidente de la cour d’assises de Franche-Comté pendant dix ans. Elle a terminé sa carrière comme présidente du TGI de Nancy. Depuis sa retraite en 2013, elle est contrôleur des lieux de privation de liberté.
Pouvez-vous rappeler les circonstances de la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ?
Une telle institution indépendante n’existait pas et la France a été dans l’obligation de la créer, après avoir ratifié une convention internationale de l’Onu contre la torture. Le contrôleur général dispose d’un budget propre et d’une équipe pour mener des missions dans n’importe quel lieu de privation de liberté en France (lire ci-dessous). C’est une équipe pluridisciplinaire, avec des magistrats, médecins, avocats, des personnes ayant travaillé à la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), dans l’administration pénitentiaire, détachés de leur poste pendant leur mandat. Le contrôleur général s’assure que sont respectés les droits fondamentaux : droit à la dignité, à la liberté de pensée et de conscience, au maintien des liens familiaux, aux soins…
Qui décide des missions ?
C’est le contrôleur général qui distribue les missions. Le premier contrôleur général, Jean-Marie Delarue, a souhaité cibler en priorité les prisons, il y en a 187 en France. Nous sommes aussi amenés à visiter des hôpitaux psychiatriques, des centres éducatifs fermés, des centres de rétention. Déjà quelque 600 geôles de commissariats et gendarmeries ont été contrôlées… Concernant les centres pénitentiaires, on en est à la deuxième visite. On peut être envoyé n’importe où en France, nous n’avons pas de secteur attitré.
Comment sont choisis ces lieux visités ? Un particulier peut-il saisir le contrôleur général ?
Il y a deux types de contrôles, les missions définies par le contrôleur général, mais aussi celles du pôle « saisine ». Ce service, qui compte une dizaine de salariés, traite le courrier. N’importe qui peut écrire, détenus, avocats, associations, familles, mais aussi personnel pénitentiaire, un parlementaire… Le pôle vérifie les informations livrées dans les courriers, peut envoyer quelqu’un en déplacement d’enquête. Cependant, le contrôleur général n’intervient jamais à chaud, nous travaillons dans le préventif. Si, par exemple, quelqu’un alerte le contrôleur général après plusieurs suicides dans une prison, ce n’est pas nous qui allons intervenir. Il va y avoir une inspection. Nous travaillons plus en profondeur, à long terme. Si, lors d’une visite, nous constatons des choses gravissimes, nous pouvons faire des recommandations en urgence et dans les quinze jours-trois semaines, elles peuvent paraître au Journal officiel.
Quels sont les effets concrets de la création de cette autorité ?
Pour la prison des Baumettes à Marseille par exemple, où les conditions de salubrité étaient épouvantables, il y a eu une réaction rapide, de gros investissements. La loi pénitentiaire de 2009 a pris en compte certaines observations, il y a une évolution. Ce qui compte, c’est que, globalement, tout le monde sait qu’il peut y avoir un regard extérieur sur ce qui se passe dans ces lieux de privation de liberté, cela a un impact. Nous pouvons être bienvenus, les directeurs de centres pénitentiaires veulent aussi améliorer les conditions de détention, cela a une incidence sur les conditions de travail des personnels. Et on peut souvent agir avec des personnes de bonne volonté.
Quelles sont les limites de votre pouvoir ?
Nous n’avons pas de pouvoir d’injonction, nous ne sommes que dans les préconisations, mais comme disait un collègue, nous avons le pouvoir de rabâchage. Nous ne provoquons pas de changement révolutionnaire mais une évolution lente et tranquille. On travaille pour le respect des droits fondamentaux, la dignité des gens qui sont là…
Vous avez beaucoup réfléchi au sens de la peine, c’est le sujet de ce samedi.
C’est une question fondamentale. Pour qu’une peine soit la moins injuste possible, elle doit remplir trois missions. 1. Punir, en fonction de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu, on punit toujours des faits commis par une personne à un moment donné. 2. Prendre en compte la douleur des victimes, ce qui ne signifie pas forcément adhérer à son désir. 3. Il faut évaluer les possibilités de réinsertion du prévenu. Toujours considérer qu’une personne est en capacité de réintégrer le monde de l’humanité. Cet équilibre complexe fait le côté passionnant du métier de magistrat : trouver le quantum approprié. Si une peine est trop lourde, elle peut détruire. La personne va traverser un tunnel noir, plus ou moins long. Il faut qu’elle puisse entrevoir une petite lumière au bout. C’est comme une montagne à gravir. Il faut voir le sommet. L’ascension n’est pas forcément linéaire, on peut monter de quatre marches et redescendre de deux… Tout ce qui importe, c’est de toujours aller de l’avant.
Qu’est-ce qui vous pèse le plus quand vous allez en prison ?
D’abord, il n’y a pas de prison 3 ou 4 étoiles. Toute privation de liberté est une épreuve terrible, même si les conditions de détention ont pu être améliorées. La violence est très présente dans le monde carcéral qui est un microcosme de ce qui se passe à l’extérieur. Les gens vulnérables dehors restent vulnérables dedans. C’est aussi très dur pour le personnel pénitentiaire, certains font ce métier difficile avec beaucoup d’humanité. Le travail qu’effectuent les associations, les enseignants qui accompagnent les détenus est indispensable, ces personnes maintiennent le lien avec l’extérieur.
Les nouvelles prisons ne vont pas dans le sens du lien…
En effet, ces prisons aseptisées, qui comptent 700 à 800 places, c’est dramatique. C’est pour cette raison d’ailleurs que je suis opposée au projet de Lutterbach, à titre personnel, à cause de la dimension. Il faut des prisons à taille humaine. Dans les très gros établissements comme celui de Nancy que j’ai pu pratiquer, on a réduit les contacts humains, le côté sécuritaire a pris le dessus. Il faudrait aussi pouvoir donner du travail aux détenus, il y en a de moins en moins. Les détenus sont livrés à eux-mêmes, ils n’ont rien à faire, ce n’est pas acceptable.
www.lalsace.fr

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