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jeudi 26 novembre 2015

Strasbourg - « La radicalisation en prison est marginale »

La sociologue strasbourgeoise Rachel Sarg s’apprête à publier la thèse qu’elle a soutenue il y a un an sur la pratique religieuse en prison.
Les (mauvaises) rencontres faites en prison peuvent mener à la radicalisation. Mais, d’après la sociologue Rachel Sarg, celle-ci « a surtout lieu avant ou après, dans les quartiers et par internet ».Archives L’Alsace/
 
La chercheuse s’est basée sur des entretiens menés dans trois établissements pénitentiaires alsaciens. Elle en conclut que si le phénomène de radicalisation en prison peut exister, il reste minoritaire.
Rachel Sarg, vous citez dans votre thèse le titre d’un grand quotidien parisien qui, en 2012, présentait la prison comme « le creuset de l’islamisme radical ». La longue étude que vous avez menée dans trois prisons alsaciennes vous conduit-elle au même constat ? La prison est-elle une fabrique à terroristes ?
Pas du tout ! La radicalisation en prison existe, effectivement, des exemples le prouvent, mais ça reste un phénomène marginal, minoritaire. La radicalisation a surtout lieu avant ou après, dans les quartiers et par internet. Derrière les barreaux, les personnes sont surveillées, même si les personnes qui se radicalisent sont moins facilement détectables qu’avant : elles ne portent pas forcément la barbe et la djellaba, elles essayent de se fondre dans la masse… Mais le personnel est très attentif : on note les personnes qui vont à la prière, avec qui elles parlent… Et cette surveillance peut d’ailleurs susciter un sentiment de persécution.

Quand l’imam est vu comme un « traître »

Sur cette question de la radicalisation, des prisons sont-elles plus « à risques » que d’autres ?
Les maisons d’arrêt paraissent plus exposées, parce qu’elles sont proches des villes et des banlieues, et que s’y côtoient des personnes de tous bords, de tous profils criminels. C’est dans ces maisons d’arrêt qu’existe la surpopulation carcérale, et le fait d’être à plusieurs dans une cellule peut bien sûr être problématique, car on se radicalise à la suite d’une rencontre. Quand un jeune un peu perdu, en quête de sens, qui s’ennuie, tombe sur un codétenu un peu charismatique, c’est facile pour ce dernier de tirer les ficelles… Mais généralement les vrais terroristes ne sont plus en maison d’arrêt.
Parmi les 60 détenus que vous avez rencontrés, y avait-il des personnes radicalisées ?
J’ai interrogé dans la centrale un détenu incarcéré pour activité terroriste en lien avec le 11-Septembre. Il était en situation d’isolement, mais il m’a expliqué que ça ne l’empêchait pas de communiquer avec les autres lors des promenades ou des séances de sport… J’ai aussi interrogé un jeune, à la maison d’arrêt, qui m’a affirmé qu’il voulait fomenter un attentat. Pour autant, il n’était pas très pratiquant ; c’était un jeune désociabilisé, qui en était à sa dixième incarcération et venait d’abord à la prière pour des échanges illicites… On sentait chez lui ce que l’on peut constater dans les quartiers : un sentiment d’humiliation et une révolte par rapport à l’Occident et à la société française, qu’il tentait de justifier politiquement.
Les risques seraient-ils moins grands s’il y avait plus d’imams dans les prisons françaises ?
De façon globale, on constate un déficit d’aumôniers musulmans. Ils sont environ 180 en France, et 60 supplémentaires doivent les rejoindre, mais ça reste bien peu par rapport aux 600 catholiques et aux 300 ou 400 protestants. En outre, ils ont peu de temps : en Alsace, les aumôniers chrétiens sont souvent détachés d’une paroisse alors que les musulmans ont un travail à côté. Quoi qu’il en soit, ça ne règle pas tout, parce que les radicaux se méfient de ces imams et ont tendance à les « boycotter » ; pour eux, les imams sont du côté de la pénitentiaire, ce sont des traîtres…

« La recherche d’un rapport de force »

La question est forcément polémique, mais vous l’abordez dans votre thèse : quelle est d’après vous la proportion des personnes de confession musulmane dans nos prisons ?
Certains avancent des proportions de 50, 60 %. Ceci peut arriver dans des maisons d’arrêt proches des grandes villes. Mais il y a aussi des établissements où les musulmans constituent moins d’un tiers de la population carcérale.
De façon générale, on imagine que le temps de l’incarcération, comme tous les moments difficiles, peut logiquement susciter un retour vers le religieux ?
La proportion reste faible : dans une maison d’arrêt d’environ 700 détenus, une centaine de personnes se rendent aux cultes chrétiens et à peu près autant au culte musulman. Mais ma thèse montre effectivement que la prison est souvent un lieu de redécouverte du religieux. Il y a peu de conversions, mais beaucoup de « réaffiliation », de redécouverte de la foi. C’est un moment où l’on cherche un sens à sa vie.
Les personnes qui se radicalisent en prison ont un peu les mêmes demandes : elles sont aussi en quête de reconnaissance, ressentent un sentiment d’échec, cherchent des réponses dans la religion… Mais la différence avec les autres, c’est qu’elles sont plus dans une position de rejet ; sous des arguments en apparence religieux, elles cherchent le rapport de force avec la pénitentiaire et la société. À l’inverse, par exemple, les « pointeurs », c’est-à-dire les personnes incarcérées pour des affaires de mœurs, qui sont d’ailleurs souvent de confession chrétienne, cherchent grâce à la religion à échapper au rejet qu’elles subissent…

« La religion est une béquille »

Vous soulignez aussi dans votre thèse le côté « utilitaire » de la religion pour un détenu…
En maison d’arrêt, il y a peu d’activités...

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