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mercredi 30 mars 2016

Portables dans les prisons : les surveillants « impuissants et démunis »

Les statistiques nationales sur les portables saisis dans les prisons en 2015 viennent de sortir. Ce sont ainsi 31.084 portables qui ont été saisis en 2015, contre 27.500 en 2014, soit une augmentation de 13%.

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Cependant l’administration pénitentiaire estime que 50.000 portables circulent en détention. Dans les prisons bretonnes, de nombreux portables circulent aussi, posant d’importants problèmes de sécurité. Une situation que les surveillants attribuent à des années de laxisme de la part de l’administration pénitentiaire et de la justice.

C’est un fait, et nous en parlions encore il y a deux ans dans notre enquête sur les prisons de Bretagne, le pouvoir n’assume plus ses prisons. Ni leur vocation répressive d’ailleurs. Sauf pour ses opposants – Bonnets rouges, opposants aux grands projets inutiles et autres Nicolas Bernard-Busse. Le mot « prison » ne fait plus peur qu’aux honnêtes gens. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que les portables pullulent, permettant à certains délinquants de continuer leurs trafics alors qu’ils sont à l’ombre ou préparer leur évasion.

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« 31.000 et quelques portables saisis cette année en prison ? C’est un grand minimum, oui », s’exclame Emmanuel Baudin, secrétaire FO-Pénitentiaire pour les prisons de la direction interrégionale de Rennes (Bretagne historique, Anjou, Vendée, Maine, Basse-Normandie).

« On retrouve souvent des téléphones dans les chemins de ronde, qui ont été projetés à l’intérieur des prisons mais ne sont pas arrivés jusque dans les cours, et ce n’est pas toujours déclaré comme saisies ». Les téléphones sont « généralisés » en prison, « il y en a beaucoup trop qui entrent. Quand on en saisit un, le même détenu en a un nouveau dans les huit jours. On est totalement démunis et impuissants face à ce problème ».

William Cozic, délégué FO-Pénitentiaire à Nantes, estime quant à lui que « sur 600 détenus à la maison d’arrêt de Nantes, il y a au moins 300 portables. On finit par tous les avoir, mais ils sont très rapidement remplacés, ça rentre de partout ».

Comment se fait-il ? D’abord, il n’y a plus de fouille systématique des détenus depuis la loi du 24 novembre 2009 (article 57 ). Ensuite, il y a de moins en moins de métal dans les téléphones, « et certains téléphones miniatures ne sonnent plus aux portiques. Ils sont très petits et pas chers ». Ils peuvent être cachés « au plus profond de l’intimité » des détenus, ou même glissés dans une poche.

 Des téléphones sont aussi projetés à l’intérieur des prisons, « notamment au centre de détention de Nantes » ou dans les cours des maisons d’arrêt situées en ville. Ces téléphones sont souvent cachés dans une bouteille ou une balle de tennis. Par ailleurs, les portiques de détection sont plus ou moins bien réglés, et certains ont été mal installés. Par ailleurs des smartphones et même des Ipad sont retrouvés en détention, ce qui fait qu’on ne peut exclure des trafics internes.

Pour empêcher les téléphones d’agir, on peut mettre des brouilleurs. Mais cela coûte cher – plusieurs centaines de milliers d’euros par établissement – et ils sont souvent en retard sur la technologie.

Ainsi, à la prison de Condé-sur-Sarthe, qui abrite des détenus aux profils très difficiles, le brouillage n’en est qu’à la 3G. « A la maison d’arrêt de Nantes, on a des brouilleurs pour la 2G alors que la plupart des téléphones ont la 3G maintenant », remarque William Cozic, délégué FO-Pénitentaire de Nantes. On peut aussi faire des fouilles de cellules, mais « ça prend du temps et des effectifs, alors qu’on n’a ni l’un ni l’autre », remarque William Cozic. « Récemment, à la maison d’arrêt de Nantes, une dizaine de cellules ont été fouillées. C’était une fouille ciblée : on savait qu’on allait trouver des trucs prohibés. Bingo : neuf portables ont été récupérés. Mais cela prend beaucoup de temps, faut faire venir des agents supplémentaires etc. Donc c’est très rare que cela soit fait ».

Et puis les cellules sont souvent pleines d’affaires à cause de la surpopulation, les fouiller prend beaucoup de temps, surtout si les détenus sont inventifs : « récemment à Nantes, on avait transféré un détenu près de Lyon et on allait faire suivre ses affaires. Dans ses produits alimentaires, il y avait une boîte de légumes qui avait attiré notre attention. Il l’avait ouverte, avait mis un portable dedans, avait lesté la boîte pour qu’on ne se rende compte de rien et a refermé la boîte. En la regardant, c’était impossible de voir qu’elle avait un petit secret. Le portable a bien sûr été saisi ».

L’ancienne maire socialiste de Reims, recasée comme contrôleur général des lieux de privation de liberté après sa déroute aux municipales, s’était prononcée en juillet 2014 pour l’autorisation des portables en prison, afin que les détenus puissent « maintenir les liens familiaux » et « préparer dans de meilleures conditions leur sortie ». Une annonce qui avait été mal accueillie par les surveillants qui sont toujours critique. « Y en a assez de ces lobbies pro-voyous, depuis l’adoption de la loi de 2009, c’est le bintz total en prison, on ne contrôle plus rien. » Emmanuel Baudin ne dit pas autre chose : « l’abrogation des fouilles systématiques en 2009 s’était faite aussi dans des objectifs humanitaires, afin de moins humilier les détenus. Résultat : il y a des centaines de détenus qui ont écrit à leurs chefs d’établissement pour demander qu’on les fouille, eux, systématiquement. Ils ne voulaient pas servir de mules. » La mesure s’est retournée contre les détenus les plus faibles : « les caïds font pression sur eux ou sur leurs familles à l’extérieur pour qu’ils fassent entrer de la drogue ou des portables ».

D’ailleurs, l’administration se doute bien de quelque chose. « Depuis 2009, on n’a plus aucune certitude qu’il n’y ait pas d’armes à feu dans les prisons, et qu’elles ne sortent pas en cas de mutinerie ou de révolte. », remarque Emmanuel Baudin.« Résultat, depuis, les ERIS », qui sont une sorte de GIGN de la pénitentiaire, capable d’intervenir pour sécuriser les fouilles massives de cellules ou ramener le calme lors de mutineries, « interviennent toujours avec des armes létales dans les établissements, ce qu’ils ne faisaient jamais auparavant ». La situation est si grave que le ministère de la Justice souhaiterait « retravailler » cet article 57, sans l’abroger, afin de permettre plus souvent la tenue de fouilles.

Alors, remarque un surveillant de Rennes, « certes, il y a des détenus qui vont se servir de leur portable pour appeler leur famille », sans risque d’être écoutés comme c’est le cas pour les postes fixes installés dans les prisons – les conversations sont enregistrées et systématiquement écoutées. « Mais il y en a aussi qui vont s’en servir pour continuer leurs trafics dehors, préparer leur évasion, accorder leurs violons avec leurs complices ou se tenir au courant des investigations, etc. ». Sans oublier « tous ceux qui surfent sur internet et Facebook, font des petites vidéos qu’ils envoient en ligne – c’est un risque pour les surveillants qui peuvent être filmés, et ensuite reconnus ou menacés à l’extérieur – voire surfent sur des sites islamiques où ils se radicalisent tous seuls ».

Breizh Info

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