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mardi 25 octobre 2016

Policiers en colère : "La police tombe en ruine"

Voitures délabrées, équipements vétustes, administration et hiérarchie absentes... Gardien de la paix "sur le terrain" en Seine-Saint-Denis, Gaël témoigne.

À Paris comme à Lyon et dans de nombreuses villes françaises, les policiers se réunissent pour dénoncer les attaques dont ils sont la cible mais aussi pour réclamer plus de moyens. 

Après douze ans passés dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, Gaël* s'apprête à quitter la police dans quelques mois. S'il s'en va, c'est parce qu'il est « écoeuré », dit-il.



Écoeuré par ce que son travail est devenu, par une hiérarchie qui les « abandonne », par des « politiques qui font semblant de s'intéresser à leur quotidien » et par des syndicats policiers « égoïstes ».

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En douze années de bons et loyaux services, dont dix en brigade nocturne, ce gardien de la paix d'une trentaine d'années a vu son corps de métier « tomber en ruine ». (Cela ressemble curieusement à ce qui se passe dans la pénitentiaire non ?)

Le Point.fr : Depuis une semaine, vos collègues battent le pavé. On imagine que c'est le sujet principal de vos conversations dans les couloirs du commissariat.

Gaël : En douze ans, j'ai vu la police nationale tomber en ruine. J'ai vu Nicolas Sarkozy nous saigner à blanc. J'ai vu les conséquences des 10 000 postes supprimés.

Les moyens de la police, ou plutôt le manque de moyens, c'est le sujet quasi quotidien de nos conversations.

Quand j'entends notre directeur général (Jean-Marc Falcone, NDLR) monter au créneau parce que des collègues se rassemblent en tenue et utilisent les voitures pour manifester, je m'étouffe.

C'est bien la première fois qu'un de nos patrons s'inquiète de l'utilisation de nos véhicules et de nos tenues !

 Pour la première fois en douze ans, on a inspecté la vétusté de mon gilet pare-balles.

Quand vous parlez de plus de moyens, par quoi faut-il commencer ?

On peut déjà parler de l'état de vétusté de nos voitures de police. Dans mon commissariat, plusieurs d'entre elles ont des trous dans le sol. Des trous, vous m'avez bien entendu !

Certains en ont sur le plafond à cause de l'usure. Je ne parle pas des sièges. Il faut attendre six ans, ou 160 000 km, pour en avoir des neuves.

Encore faut-il pouvoir en jouir, puisque les véhicules neufs sont réservés... aux officiers. (Ah ah !)

Eux nous refilent leurs anciens. Dans les véhicules dits de police secours, nous devons être trois fonctionnaires de police au minimum.

Vu le manque d'effectif, c'est très souvent compliqué, alors on prend un adjoint de sécurité avec nous. Il a donc été décidé de mutualiser les véhicules police secours entre les communes. Dans mon département, deux doivent couvrir six villes ! La liste du manque de moyens est longue et elle commence avec nos équipements du quotidien...

C'est-à-dire ?

Par exemple, et ce n'est pas une blague, nous avons besoin de gants en cuir pour nous protéger, par exemple de seringues contaminées qui traînent ou d'objets souillés et rouillés.

Bref, nous en avons besoin lors des interventions. Les seuls gants que l'administration nous donne sont les blancs en tissu pour les cérémonies. Les autres, on doit se les payer.

Il y a aussi le gilet dit tactique, un habit noir avec de nombreuses poches dans lesquelles on peut glisser du matériel comme des carnets de notes, des crayons, de petites lampes-torche, nos menottes, etc.

Or, quand nous en avons fait la demande, on nous a rétorqué que nous n'étions pas dans le bon service pour en bénéficier. On a donc dû se les acheter avec une cagnotte faite entre collègues.

Tout cela peut paraître désuet, mais peut-être qu'en évoquant les gilets pare-balles cela sera plus parlant. En 2016, et pour la première fois en douze ans dans la police, mon pare-balles a été inspecté, car très vétuste. Douze ans ! Un de mes collègues a signalé le sien il y a plus de six mois, car le tissu s'est déchiré et qu'on voit la plaque de métal. Il attend toujours.

 Sur les renforts, Bernard Cazeneuve joue sur les mots. Pour ne pas dire qu'il ment.

En 2015, une enquête du Point pointait du doigt le manque sanitaire et deux cas de tuberculose dans un commissariat voisin, à Asnières dans les Hauts-de-Seine. Qu'en est-il dans le vôtre ?

Je ne sais pas si c'est pire, mais c'est au moins aussi pourri (sic) ! Les vestiaires sont tellement sales et abîmés qu'on se change dans le garage. Les cellules ? C'est inhumain.

On a honte de mettre des gens en garde à vue tant elles sont en mauvais état. Il y a quelques mois, nous avons eu une invasion de mouches près des geôles de dégrisement.

L'administration nous a donné deux « fumigènes » contre les insectes. La notice expliquait qu'il fallait bien aérer la pièce. Sans fenêtre, c'est difficile. Il fallait aussi quitter les lieux pendant trois heures au moins. Vous avez déjà vu un commissariat vide en pleine journée ? L'administration a dit qu'elle ne pouvait rien faire d'autre.

Outre les moyens techniques, plus de moyens humains sont également demandés. En fin de semaine dernière, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a promis un renfort de 101 policiers supplémentaires en Essonne. Est-ce un bon signe ?

Le ministre joue sur les mots. Pour ne pas dire qu'il ment. D'après les syndicats de l'Essonne, 46 fonctionnaires de police auraient déjà été affectés depuis le début de l'année sur ces 101 recrutements.

Une vingtaine sortent, eux, de l'école. Et le reste ? Il va s'agir d'adjoints de sécurité (ADS). Ces derniers ne sont pas encore des gardiens de la paix, ils ne sont pas totalement formés et n'ont pas les mêmes missions que nous. Ils ne peuvent normalement pas faire du maintien de l'ordre. Bref, il s'agit seulement d'une présence physique supplémentaire, mais limitée. Moi, je n'appelle pas ça « un renfort ».
*Le prénom a été changé

Le Point

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