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vendredi 14 octobre 2016

Reportage: dans les pas du juge des libertés et de la détention clermontois

Le juge des libertés et de la détention (JLD) est un rouage méconnu mais incontournable du système judiciaire français. En matière d’incarcération, mais pas seulement.

Justice - Une journée avec le juge des libertés et de la détention Riboulet Jean Christophe photo Fred Marquet 04/10/2016

Silence, ça bosse. Dans la fraîcheur de son bureau, au quatrième étage du palais de justice clermontois, Jean-Christophe Riboulet épluche méthodiquement un énième dossier.



Le parquet lui demande de placer en détention un homme poursuivi pour violences aggravées.

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Jusqu’à son procès, prévu fin octobre, le suspect doit théoriquement s’astreindre à un contrôle judiciaire.

Problème : il multiplie les entorses au cadre imposé. « J’avais déjà convoqué ce monsieur fin août pour les mêmes raisons, soupire le magistrat. Je l’avais prévenu que je n’accepterais plus le moindre écart. Il n’a visiblement pas retenu l’avertissement ».

Un mandat d’amener est donc délivré sur-le-champ. Dès le lundi suivant, des policiers seront missionnés pour aller (re)chercher l’intéressé et le ramener illico face au juge. Qui tranchera.

Écoutes, perquisitions et géolocalisations

Sur les neuf premiers mois de l’année, le JLD du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a déjà rendu 731 décisions en matière pénale. Il est partout, ou presque.

Dans le cadre d’une enquête préliminaire, lui seul peut autoriser des perquisitions sans l’assentiment d’un suspect, des écoutes téléphoniques ou des géolocalisations en temps réel au-delà de quinze jours.

Idem pour les prolongations de gardes à vue au terme des 48 premières heures. « Dans ces cas-là, je suis le juge du contrôle de l’investigation et des mesures coercitives.

Je donne seulement mon feu vert si les demandes me semblent pleinement justifiées », résume Jean-Christophe Riboulet.

Le procureur souhaite le placement en détention provisoire d’un mis en examen ? Le JLD est également saisi.

Le juge d’instruction refuse de libérer un trafiquant de stups présumé avant sa comparution devant un tribunal ? Il arbitre encore.

Avec, toujours, des délais légaux ultra-précis à respecter, et la même ligne directrice : « Le principe légal, c’est la liberté. Je n’incarcère donc que quand cela est strictement nécessaire du point de vue de l’enquête. Compte tenu du panel des critères à notre disposition (troubles à l’ordre public, risques de réitération ou de pression sur des témoins, etc., NDLR), ce serait très facile d’écrouer à tour de bras. Mais la prison doit rester l’exception ».

L’explication prend vite tout son sens. Le jour même, deux détenus sont escortés par l’administration pénitentiaire jusqu’à la petite salle d’audience du JLD. L’un aurait commis une quarantaine de vols entre 2013 et 2016. L’autre, déjà condamné pour plusieurs viols, a été mis en examen en juin pour une agression sexuelle.

Dans les deux cas, juge d’instruction et procureur réclament un maintien en prison pour quatre mois supplémentaires.

La largesse de notre champ d’intervention impose une humilité permanente.
JEAN-CHRISTOPHE RIBOULET

« J’ai compris la leçon », jure le premier. « La taule, ça me sert plus à rien. Je suis malade. J’ai besoin de soins », martèle le second.

« L’enfermement ne vous aide peut-être pas, mais il permet d’éviter que vous recommenciez. Notre souci, c’est qu’il n’y ait plus la moindre victime », pose en retour Jean-Christophe Riboulet, regard planté dans celui de son interlocuteur.

Au terme des audiences, et après avoir pris connaissance des derniers actes d’enquête, le JLD décide d’entrouvrir la porte aux deux hommes : ils restent incarcérés dans l’immédiat, mais leur placement sous surveillance électronique est envisagé.

« Une enquête de faisabilité va être menée, explicite l’expérimenté magistrat. Si tout se passe bien, vous quitterez la maison d’arrêt dans les prochaines semaines ».

L’un et l’autre seront alors assignés chez leurs parents respectifs. En attendant d’être jugés, ils devront respecter des horaires de sortie et des obligations – de soins, de travail – stricts.

« Je recherche toujours la décision la plus juste, qui respecte l’équilibre entre l’intérêt de la société et celui du mis en cause. Sans oublier une règle intangible : personne ne détient la vérité. La mienne n’est que judiciaire », conclut Jean-Christophe Riboulet.

La Montagne

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