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dimanche 19 février 2017

Des urnes dans les prisons ? La France peine à sauter le pas

A l'approche de l'élection présidentielle, rares sont les candidats à s'attarder sur le sort des 50000 électeurs que sont les détenus.

A la prison de Brest en 2016.

A l’heure où la campagne électorale pour l’élection présidentielle 2017 bat son plein, l'exercice de la citoyenneté est plus difficile pour certains. Et notamment, les prisonniers français.


Ils sont environ 50 000 à conserver leur droit de vote si on exclut les mineurs, les étrangers et les condamnés expressément déchus de leurs droits civiques, rappelle dans un communiqué datant de novembre 2016 l’association Robin des lois (RDL) qui bataille depuis 2014 pour l’installation d’urnes dans les établissements pénitentiaires.

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A ce jour, le vote par procuration ou la demande de permission pour aller déposer son bulletin [seulement valable pour les condamnés, non pour les prévenus, ndlr] restent très difficiles à mettre en œuvre, comme en fait état le rapport annuel 2013 (après la présidentielle 2012) du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), et ce, malgré la loi pénitentiaire de 2009 qui donne désormais au détenu la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales de la commune où il se trouve détenu.

«Il faut être héroïque»

En effet, il est quasiment impossible pour les prisonniers de trouver un mandataire inscrit dans la même commune car pour la plupart, leur famille n’habite pas sur le lieu de détention. «Soit c’est un policier qui se charge des procurations avec toute la lourdeur administrative que ça comporte, soit c’est le membre d’un parti politique, mais ce qui ne garantit pas l’anonymisation du vote», précise François Korber, président de RDL.

Reste les associations exerçant en établissement pénitentiaire, comme le prévoient les textes de loi. Mais là encore, dans la pratique c’est une autre paire de manches. Quant à la permission de sortie, «il faut être héroïque pour en demander une», interpelle-t-il. Elle se fait auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation mais aussi du greffe. Mais «elle est généralement octroyée pour des cas graves tels qu’un enlèvement, pour maintenir les liens familiaux ou rechercher du travail», indique François Bès, directeur du pôle Enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP). Autrement dit, elle se fait rare.

En outre, certains «documents personnels tels que la carte d’électeur et la carte d’identité sont généralement placés à la fouille ou confiés au greffe ; il arrive que leur récupération soit refusée ou nécessite un délai important qui, pour peu que l’autorisation de sortir soit donnée avec un faible préavis, annule la possibilité effective de voter», rapporte le bilan du CGLPL.

La question des bureaux de vote

C’est donc en toute connaissance de cause que François Korber a décidé de faire un premier recours administratif préalable en 2014 en demandant l’abrogation auprès du ministère de la Justice et de l’Intérieur de l’article R40 du code électoral (sur la création des bureaux de vote) en demandant d’y inclure les établissements pénitentiaires. Il essuie un premier refus et renonce à saisir le conseil d’Etat. En 2016, rebelote. Sur les conseils de l’avocat spécialisé en contentieux électoral, Jean-Christophe Ménard, il met en œuvre un nouveau plan d’action. Cette fois, il demande aux préfets de France et d’outre-mer d’appliquer en l’état le fameux article pour ainsi obliger les préfets à créer un bureau de vote dans la prison du territoire sous leur autorité.

«On leur a écrit. Soit ils ont répondu par la négative, ou n’ont tout simplement pas répondu», explique-t-il. L’association Robin des lois a alors attaqué en justice l’un de ces refus, en l’occurrence celui de la préfète de Poitiers. «On a déposé un recours au fonds et parallèlement un référé suspension devant le tribunal administratif de la ville. Dans le deuxième recours, bien que le juge reconnaisse pour la première fois que les préfets ont bel et bien la compétence de créer des bureaux de vote, il a également estimé qu’il n’y avait pas d’urgence», se rappelle-t-il.

Des actions qui ont permis de médiatiser leur cause. Le député EELV Sergio Coronado avait même déposé un amendement le 25 janvier 2017 afin d’acter la mise en place de bureaux de vote dans les prisons mais il avait finalement été repoussé par la Commission des lois, considérant que c’était un cavalier par rapport à la proposition de loi en discussion. A l’occasion des primaires, RDL a même interpellé la Haute autorité de la primaire citoyenne pour tâcher de sensibiliser les politiques à la question.

Les candidats peu intéressés

Mais peu d’entre eux y prêtent attention. Selon François Korber, «électoralement parlant, les prisons ça n’est pas intéressant.» Si le candidat du PS à la présidentielle Benoît Hamon a fait savoir par le biais de sa porte-parole Naïma Charaï être en faveur d’une telle mesure, le vice-président du FN Florian Philippot s’y oppose, justifiant qu’il existait déjà «un système de procuration et que c’est très bien ainsi». Quant à Emmanuel Macron et François Fillon, ils n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Jean-Luc Mélenchon semble faire figure d’exception. Déjà sensible au sujet lors du scrutin de 2012, le candidat de la France insoumise doit publier d’ici la fin février un livret justice dans lequel il propose l’installation d’urnes dans chaque établissement pénitentiaire. «La démocratie doit rentrer dans la prison», estime Hélène Franco, coresponsable du programme justice du parti.

Le candidat demande également à ce que des meetings politiques se tiennent dans les prisons afin d’exposer aux détenus directement leur programme. Une idée qui trouve également écho chez François Bès, qui se dit même favorable à la délivrance de permissions de sortie pour qu’ils puissent assister à l’extérieur à ces raouts politiques. Sa crainte : si tout se déroule dans les établissements pénitentiaires, «il y aura de moins en moins de permissions de sortie, qui sont essentielles pour réhabituer le détenu au monde de dehors».

Bien que la Chancellerie étudie actuellement le dossier, signale Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPDL) et que le Sénat assurait déjà en 2013 que «la seule solution» était la mise en place «d’un bureau de vote dans les établissements» pour «favoriser la participation», la France patine, contrairement à d’autres pays européens tels que le Danemark ou la Pologne où le processus est déjà en vigueur. «En 2011, par exemple, 58,7% des personnes incarcérées en Pologne en capacité de voter ont participé aux élections législatives», rappelle l’OIP. C’est pourquoi François Korber compte bien attaquer l’Etat en référé pour tâcher de faire accélérer les choses.

Permettre la réinsertion

Avec moins 4% de participation lors des dernières élections présidentielles de 2012, selon les chiffres publiés dans la revue Dedans-Dehors de l’OIP d’octobre 2016, on est loin des taux polonais. Certes, «le vote n’est pas la principale préoccupation des détenus français et pas plus une priorité de l’administration pénitentiaire», confie Martine Herzog-Evans, professeure de droit pénal à Reims, mais cela mérite de s’y appesantir.

Pourquoi ? Parce que «participer à la citoyenneté leur donne une chance d’inverser la vapeur et de (re)devenir un acteur de la société», estime François Bès. Même si ça ne réglera pas la question de la surpopulation carcérale, Martine Herzog-Evans va plus loin dans sa logique en affirmant que cette expression participative aurait un avantage criminologique: «Le terrorisme est une expression politique violente. C’est à nous de leur tendre la main pour les faire venir dans notre démocratie en leur donnant les moyens de s’exprimer.»

Cela exige un travail pédagogique de longue haleine. L’administration pénitentiaire fait déjà un travail d’information obligatoire, notamment concernant l’inscription sur les listes électorales et les façons de voter mais «ces notes sont souvent mal placées» et peu visibles, estime François Bès...

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