À trois par cellule de 9 m2, les détenus vivent dans des conditions de détention tendues. Rats et insectes pullulent. Le JDD a visité les lieux mardi avec Pierre Botton, un ancien détenu qui lutte pour de meilleures conditions de détention.
Le grand hall a été repeint en blanc. Le sas d'entrée est impeccable. Mais derrière cette façade, dans ces coursives qui ont servi de lieu de tournage de tant de films, tout tombe en décrépitude. Thierry D. claudique un peu. Il travaille ici depuis trente-quatre ans.
"Je suis un des plus anciens", confesse-t-il sans sourire. Après avoir gravi tous les échelons hiérarchiques, cet homme au crâne rasé est depuis 2008 le chef des 900 matons de Fresnes. Le directeur gère la prison, lui, la détention. D'une main de fer. C'est lui qui, un peu à contrecœur, ce mardi, sert de guide au JDD.
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"Entrez là", dit-il en poussant une porte qui s'ouvre sur un petit couloir. Au bout, une autre porte débouche sur l'extérieur. En face, une sorte de préau. Thierry G. marque l'arrêt. Passe la tête précautionneusement. Regarde à droite et à gauche. "Vous allez me suivre", ordonne-t-il. Et il se lance à grandes enjambées pour franchir les quelques mètres et stopper sous le préau. Cela n'a duré qu'une poignée de secondes, mais la bronca a aussitôt jailli du bâtiment.
Des dizaines de voix sourdes qui invectivent, grondent et hurlent. Des dizaines de détenus, anonymes sans visages, comme un bloc compact, qui ont tonné en même temps depuis leurs cellules. "En passant, on peut toujours prendre quelque chose sur la tête", avoue le surveillant pour expliquer son pas rapide. Sur le sol, au pied du bâtiment, des monticules de détritus, lancés à travers les grilles. Et au milieu de ces poubelles à ciel ouvert, des cadavres de rats.
"Ici, la nuit, ça grouille, vous verriez, ils sont des milliers. Ils montent même dans les étages, j'en ai vu dans ma cellule", souffle un détenu, sur le terrain de sport. En fait de terrain, une bande rectangulaire avec de la pelouse synthétique et de petites cages de foot. Dans chaque coin, aux pieds de pauvres oliviers, encore des trous à rats. C'est l'association de Pierre Botton, avec ses mécènes, qui a refait ce terrain, le seul endroit presque "normal" dans ces murs… "J'ai accès au terrain de sport aujourd'hui pour la première fois, et cela fait six mois que j'ai fait la demande, c'est la moyenne pour l'attente", confie un détenu sans âge. "C'est une des pires prisons ici, monsieur, on est entassé, sans eau chaude ni frigo dans les cellules, et les matelas sont infestés de puces de lit… Ici, dites-le, c'est invivable…"
"Fresnes, c'est la prison oubliée"
En fait de "promenade", les détenus de Fresnes ont droit à des courettes fermées de 45 m² où ils poireautent deux heures par jour à 25 dans une ambiance lugubre. Rien à voir avec les terrains de sports de Fleury-Mérogis, ni même les grandes cours de promenade de la Santé. "Tout est pourri ici", lance un détenu à travers une grille de promenade, l'air hagard. Ils sont une poignée entassés derrière lui, immobiles. Les yeux vides.
Le chef maton s'était éloigné et reprend la visite en main. Au troisième étage, trois détenus refusent de réintégrer leurs cellules. Ça hurle encore. Des surveillants bloquent des accès un à un. Le chef en a vu d'autres, imperturbable.
"Les jeunes sortis de l'école n'ont pas toujours ni les bons réflexes, ni le sens de l'autorité. Moi, je vois assez vite avec un nouveau venu s'il saura ou non se faire respecter, l'autorité on l'a ou pas…"
Thierry D. a la réputation d'être sévère. "On est dans un endroit sécuritaire et conçu pour ça", corrige-t-il. L'absence de cours de promenade digne de ce nom? "Au moins, quand on a vingt détenus qui refusent de rentrer en cellule, on n'a pas besoin de faire appel aux forces de l'ordre de l'extérieur… On s'en occupe nous-mêmes. Cela coûte moins cher au contribuable", répond-il sans broncher.
Les rats qui grouillent? "Chez vous, vous jetez des détritus par terre? S'il y avait pas de déchets, il n'y aurait pas de rats." La surpopulation? Ce mardi, 2.936 détenus pour 1.324 places. "Un taux de 210%", admet le chef maton. "Dans les années 1990, on est monté jusqu'à 4.350 détenus, ajoute-t-il. Ici, ce qu'il faut avoir, c'est du respect. Le reste, ça ne fait pas avancer le schmilblick… De toute façon, Fresnes, c'est la prison oubliée", conclut le surveillant.
Le directeur, Philippe Obligis, même s'il nie "toute atteinte aux libertés fondamentales", admet pour sa part une foule de problèmes : "cette prison, ouverte en 1898, n'a jamais eu de rénovation importante". Les canalisations d'eau, de chauffage, d'évacuation "pètent régulièrement"… L'électricité est défaillante. L'étanchéité pas parfaite. "Les murs tiennent, mais tout le reste est à revoir, glisse le directeur. En fait, il y aurait beaucoup de choses à refaire…"
Fleury, pourtant construite à la fin des années 1960, a déjà été rénovée. La Santé est en travaux. De son côté, Fresnes est à bout de souffle, comme un vieux vaisseau obsolète… et dangereux. "On gère comme on peut avec d'un côté la surpopulation carcérale, d'un autre le manque chronique de personnels", soupire le directeur, à qui il manque 80 agents, et qui rêverait d'une prison sur le modèle espagnol : "Là-bas, les établissements ont été conçus pour que le temps de la peine soit un temps utile à la formation, au travail, à la réinsertion, aux luttes contre les addictions et la violence. Du coup, tout est pensé différemment et la plupart des détenus sont occupés dans la journée. Ils ne sont dans leurs cellules que la nuit." A Fresnes, "beaucoup trop de détenus", admet le directeur, passent vingt-deux heures dans leur cellule de 9 m², soit, hors toilettes et table, 2 m² par individu. Philippe Obligis ne le dit pas directement, mais sa prison insalubre et surpeuplée fabrique de la délinquance qu'elle serait pourtant censée combattre.
"Il n'y a pas de réflexion globale"
Depuis une première injonction administrative en octobre, après une première saisine du juge des référés par l'Observatoire international des prisons, l'administration a engagé la lutte contre les rats. Trois cent mille euros ont été débloqués pour boucher les trous avec du béton mêlé de verre pilé et 25.000 euros sont dépensés tous les mois pour dératiser.
Un programme de pose de nouveaux grillages aux fenêtres des cellules (700.000 euros) a été lancé pour éviter les jets de poubelles. Pour autant, pas de frigos en cellule prévus… Mais ici, selon Philippe Obligis, la mère de tous les maux, c'est la surpopulation carcérale. Avec ses mille conséquences : les détenus voient moins de conseillers d'insertion, et donc sont moins libérés, ce qui contribue encore à la surpopulation. Les parloirs (tellement indigents qu'un programme de rénovation va être lancé) sont mécaniquement moins longs. Les temps de travail ou d'activités sportives sont réduits… Comme si tout concourait ici aux tensions et à la violence. Et aussi, un comble alors que c'est une cause nationale, à la radicalisation islamiste.
En octobre 2014, c'est pourtant à Fresnes, que l'ex-directeur a "inventé" les premiers quartiers de détenus radicaux, pour lutter contre le prosélytisme islamiste en détention. "Aujourd'hui, nous avons une cinquantaine de détenus pour terrorisme, hommes et femmes, dont une vingtaine sont seuls en cellule au quartier d'évaluation de la radicalisation, confie Philippe Obligis. Mais une centaine d'autres sont sous surveillance, et pour certains, c'est malheureux, nous n'avons pas assez de place pour les mettre seuls en cellule."...
Le JDD
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