C’est l'une des prisons les plus sécurisées de France : le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, dans l'Orne.
Un "quartier de prévention de la radicalisation" va s’y installer en septembre prochain. Reportage.
La route nationale longe des champs très verts, comme seule l'herbe normande sait l'être. Un panneau de bois décoré d'un camembert indique une fromagerie industrielle. Quand, au détour d’un petit bois, elle apparaît : une prison ultra moderne, ouverte en 2013. Quatre miradors encadrent ses hauts murs gris.
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C’est ici, à Condé-sur-Sarthe, que sont notamment envoyés les détenus difficiles ou violents - Tony Meilhon, le braqueur et roi de l’évasion Christophe Khider, ou récemment Youssouf Fofana - condamnés à de longues peines.
Ce jeudi 3 mai, la députée LaREM Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, exerce son droit de visite parlementaire. Depuis 2015, la presse peut accompagner les élus, sans avoir à solliciter d’autorisation auprès de l'administration pénitentiaire. Occasion unique, donc, d’entrer dans cette véritable forteresse, posée à côté d’un champ, à 8 km d’Alençon.
Un château-fort du 21ème siècle
Jean-Paul Chapu dirige l’établissement depuis janvier 2016. De sas en sas, de grilles en portes - on en franchit au moins une vingtaine pour arriver au cœur de la prison - le directeur guide la petite délégation, sous l’œil des 400 caméras qui équipent l’établissement.
"On est dans un paysage rural, et vous avez quatre miradors. Donc on voit arriver les gens de très loin." Pas de projections possibles depuis l’extérieur ici, comme cela arrive dans les prisons urbaines : il y a un double mur d’enceinte, avec un "glacis" de plusieurs dizaines de mètres entre les deux. "C’est un peu le château fort du 21ème siècle", sourit le directeur. Peu de téléphones, de drogues parviennent à entrer entre ses murs. La prison est par ailleurs équipée d’un portail à ondes millimétriques, qui permet de scanner les détenus de retour de parloir, sans avoir à les palper.
On va arracher les espaces verts pour les bétonner
Avec 106 détenus pour 200 places, Condé-sur-Sarthe ne connaît pas la surpopulation, qui ne concerne que les maisons d’arrêt. Ici, comme dans toutes les maisons centrales, les détenus condamnés à de longues, voire très longues peines sont en cellule individuelle, avec douches et sanitaires. Il y avait donc de la place pour implanter deux nouveaux quartiers destinés aux détenus radicalisés : un pour l’évaluation (QER), et l’autre pour la prise en charge (QPR).
Le futur QPR, quartier de prévention de la radicalisation, avec à terme 25 places, est pensé sur le modèle de celui qui existe déjà dans la prison de Lille-Annoeuillin. L'idée du gouvernement : isoler les détenus radicalisés du reste des prisonniers. A terme, 450 places "étanches", dans différents établissements, devraient être créées d'ici la fin de l'année.
A Condé, pour créer cette nouvelle "prison dans la prison", c'est tout le bâtiment numéro 3 qui va être transformé. "Dans les cours de promenades, on va arracher les espaces verts pour les bétonner, pour éviter qu’ils ne servent de cache, par exemple", explique la responsable de ce futur quartier, le lieutenant Julia Riquet. "On va installer des passe-menottes (des trappes qui permettent de menotter les détenus avant d’ouvrir la porte NDLR) sur toutes les portes des cellules." Chaque aile - il y en aura quatre, deux pour le QER (évaluation) et deux pour le QPR (prise en charge)- aura sa propre cour de promenade, sa salle de sport, sa bibliothèque. "Le maître mot de ce projet, c’est l’étanchéité", précise Julia Riquet, "pour que l’idéologie radicale ne diffuse pas vers les autres détenus, plus vulnérables".
Une dizaine de détenus arriveront en septembre
Les travaux commenceront fin mai. Pour l’instant les herbes folles, les pissenlits ont envahi les cours de promenade du bâtiment 3, en partie vide depuis plusieurs semaines. La première aile du quartier de prévention de la radicalisation devrait ouvrir en septembre, avec une dizaine de détenus pour commencer.
A Condé-sur-Sarthe, seront dirigés des condamnés, et non pas des prévenus en attente de procès, qui doivent rester en région parisienne à disposition des juges d’instruction anti-terroristes. Des hommes détenus pour être partis en Syrie par exemple, ou pour avoir organisé des filières de recrutement pour le djihad. Et sans doute, même si ce n’est pas encore définitivement tranché, des profils dits "dans le haut du spectre" : des idéologues, charismatiques, prosélytes… Mais avec qui un travail semble possible.
Le plus dangereux serait de ne rien faire
Car il n’est pas question ici de se contenter de les enfermer triplement (ou plus) à clé. "C’est l’anti-Guantanamo, ici" s’exclame Alexandre Huygues-Beaufond, le chef adjoint de la détention, qui planche depuis plusieurs mois sur le programme de prise en charge prévu dans les deux quartiers. "Il serait présomptueux, voire dangereux, de prétendre que l’on va désengager tout le monde. Mais le plus dangereux serait de ne rien faire. Et on va tout mettre en œuvre pour obtenir des résultats."
Car ces hommes, jeunes pour la plupart, sortiront un jour de prison. " Travailler spécifiquement sur le passage à l’acte violent, les amener à s’en désengager, c’est rendre service à la société civile " explique le lieutenant Huygues-Beaufond. A Condé-sur-Sarthe, les détenus resteront 3, 6, 9 ou 12 mois, en fonction des profils. "S’ils restent longtemps, cela veut dire qu’ils s’enracinent dans la radicalisation, explique Jean-Paul Chapu. Nous voulons au contraire les amener à se poser, à réfléchir, les encourager, les inciter à se désengager de la violence ."
Formation pour tout le personnel
Les personnels amenés à travailler dans ces quartiers vont suivre une formation de trois semaines, pour appréhender ces profils particuliers. Chaque quartier se verra affecter 25 surveillants, plus 5 gradés, des conseillers d’insertion et de probation, un psychologue, un éducateur. Interviendront aussi des enseignants, un imam, des moniteurs de sport ; pour un travail à la fois collectif et individuel.
Si certains ont choisi d’être affecté à ces quartiers, ce n’est pas le cas de tous. Une psychologue de la prison regrette ainsi d’avoir été "mise devant le fait accompli". Elle estime que les connaissances sur le processus de radicalisation ne sont pas suffisamment abouties pour permettre une prise en charge efficace. Elle craint des tâtonnements, peut-être des erreurs, sur un sujet où, la jeune femme le sait, le gouvernement attend des résultats.
Pas de temps à perdre
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