«Mets ton pied !» crie le surveillant titulaire au nouveau, qui s’apprête à ouvrir la cellule d’un détenu.
«Chaque année il y en a un qui oublie et se prend un coup de porte». A Fresnes, les derniers arrivés ont revêtu l’uniforme bleu pour leurs premiers pas dans les coursives de la prison.
«Je vais le faire, il faut bien que je commence», avait répondu juste avant Benjamin (tous les prénoms ont été changés) au titulaire qui lui demandait s’il voulait faire sortir les détenus pour la promenade.
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La botte qui retient la porte, le coup d’oeil à travers l’œilleton avant de tourner la clef, le détenu qu’il envoie s’aligner derrière les autres devant l’escalier... Il reproduit les gestes du surveillant qu’il suit «comme son ombre» pendant une dizaine de jours, avant de débuter en solo. Surveillant «stagiaire» pendant sa première année à Fresnes, il aura tout de même à gérer une centaine de détenus, seul sur sa coursive.
Comme lui, les 80 élèves, 30 ans en moyenne, issus de la dernière promo de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire d’Agen (un an de formation), découvrent l’une des plus vieilles prisons de France. Ultra-moderne à son ouverture à la fin du XIXe siècle mais aujourd’hui vétuste, insalubre et surpeuplée à 200% (2.800 détenus), elle est connue pour être une prison «école», avec un quart de stagiaires parmi ses 800 surveillants.
Rarement un rêve d’enfant, ils ont tous ou presque été attirés par la stabilité du statut de fonctionnaire offert par ce métier qui peine à recruter, mais leurs parcours vers la pénitentiaire diffèrent : Benjamin a fait huit ans d’armée et une mission «de trop» en Afghanistan; Johanna s’est épuisée dans son travail d’aide-soignante; Yann était SDF à Brest; Kevin s’ennuyait dans le conseil bancaire et a suivi les traces de son père... «Si quelqu’un dit qu’il fait ça par vocation il se fait recaler parce que ça veut dire qu’il est fou» résume Jessica dans un sourire.
«Là on rentre en détention alors pas de téléphone, pas d’écouteurs, pas de clefs usb», rappelle le formateur avant de passer le sas de sécurité.
- «C’est vous les patrons» -
Depuis le long et large couloir central aux murs blancs ornés de tableaux et de grandes fenêtres jaunes, et au parquet répertorié aux monuments historiques, les élèves arrivent dans le D1, premier des trois bâtiments traversant l’allée centrale à la perpendiculaire. Nez en l’air, ils observent les quatre étages de coursives à travers les larges filets blancs tendus pour «éviter que le détenu se suicide ou qu’il ne suicide le surveillant». «Quand j’étais en stage, il y a un détenu qui s’est jeté dedans et ça tient», confirme Johana à ses collègues. «C’est beau comme structure en tout cas», dit l’un. «Je voyais ça plus grand», commente un autre.
De la cour de promenade, des détenus les apostrophent. «Ils testent. Sur les coursives ils sont tous doux, quand ils sont en bande ça beugle et ça nous insulte», assure Antoine.
En janvier, tous ont suivi de près le mouvement national de blocage de prisons de surveillants, lassés des conditions de travail précaires et de l’insécurité. Yann ne se sent pas protégé par son «polo et pantalon», mais Benjamin est rassuré par les coursives ouvertes : «je sais que s’il m’arrive quelque chose on me voit». En doublure, Kevin a vu ses collègues s’équiper pour intervenir dans une cellule où un stylo taillé en lame avait été retrouvé. «Ça fait peur», avoue-t-il.
Les premiers jours, les questions fusent - «j’ai jamais effectué de fouille moi», «si on nous crache à la figure on fait quoi?», ainsi que les conseils et consignes. Comment organiser un «blocage» c’est-à-dire réintégrer tous les détenus en cas d’incident, ou gérer le «tapage» sur les portes pour attirer l’attention. Sur le code vestimentaire aussi - «hors de question que les détenus se trimballent en pantacourt»-, les règles de sécurité ou encore le profil des détenus - «ici, on a du tout petit jeune qui a pris trois mois à celui qui encourt 25 ans».
Ultime rappel: «c’est vous les patrons. Ne vous laissez pas intimider».
Libération
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