Au cinquième jour du procès en appel du tueur en série Francis Heaulme pour le double meurtre de Montigny-les-Metz, Patrick Dils, acquitté en 2002, a été entendu comme témoin.
A droite, dans le box, Francis Heaulme, veste et chemise sombres, bras croisés. A gauche, en face, un écran où l’on voit bientôt apparaître une table et une chaise, puis Patrick Dils, en pull-over crème.
Au cinquième jour du procès en appel aux assises des Yvelines du tueur en série Francis Heaulme pour le double meurtre de Montigny-les-Metz, Patrick Dils est entendu.
Un témoin tout sauf ordinaire : il a été condamné deux fois pour cette affaire, a fait 15 ans de prison à tort, avant d’être acquitté et de devenir le symbole de l’erreur judiciaire.
Il vit en Gironde et ne s'est pas déplacé dans les Yvelines. "C’est beaucoup trop douloureux pour moi de remettre les pieds dans une cour d’assises", explique celui qui, à 16 ans, fut le premier mineur condamné à la perpétuité en France. Il en a aujourd'hui 48 ans, est père de famille. Et aimerait juste qu'on l'oublie.
"J'étais mort de trouille"
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Patrick Dils fait part, d’emblée, du souvenir "extrêmement pénible et douloureux" du procès en première instance, à Metz, quand Francis Heaulme a été condamné à la perpétuité pour les meurtres de Cyril Beining et Alexandre Beckrich, 8 ans. Il avait eu l’impression, le temps de son audition, que c’était lui, l’acquitté, qui était à nouveau accusé.
Le témoin se replonge malgré tout dans ses souvenirs vieux de 32 ans. Et, d'une voix calme, raconte encore. Le retour du week-end à la campagne, ce dimanche 28 septembre 1986, vers 18h30.
Sa recherche de timbres, comme à son habitude, dans les bennes de l'imprimerie toute proche. Ce qu'il entend : "un véhicule qui s'immobilise", "une voix d'homme disant 'tais-toi'", une autre de femme "devant être apeurée appelant Alexandre." Pas rassuré, il rentre. C'est l'heure de souper.
Dans la soirée, ses deux petits voisins sont retrouvés morts, le crâne fracassé à coups de pierres, sur un talus près d'une voie de garage SNCF. Quand les enquêteurs sonnent chez lui, le lendemain, il ne dit rien.
"J'en mesure aujourd'hui les conséquences, je regrette profondément de ne pas avoir dit la vérité", dit le témoin.
Patrick Dils rappelle son mal-être de l'époque, les quolibets dont l'affublent ses camarades de classe et répète inlassablement qu'il s'est tu pour qu'on ne dise pas de lui qu'il est un "fouille-poubelles".
"Stupide et aberrant", reconnaît-il volontiers aujourd'hui. Il liste ses passions très solitaires d'alors : philatélie, minéraux, puzzles. Puis raconte son arrestation. Les policiers, tels "des cowboys", qui stoppent net dans la rue, ouvrent les portières, le menottent, l'embarquent.
"J’étais mort de trouille".
Patrick Dils rappelle aussi sa garde à vue de plus de 30 heures, sans avocat, et la pression psychologique des policiers. "J’ai très vite dit la vérité sur ma présence dans la rue, mais j’ai très vite compris que ce n’était pas ce qu’ils voulaient entendre".
Il raconte les enquêteurs qui vont et viennent, fument et assènent à l'adolescent "introverti, très docile" et peureux qu'il était : "T'es arrivé ils sont vivants. T'es reparti ils sont morts. C'est forcément toi qui les as tués !"
Les détails qu'il leur a donné ? "Il leur en fallait !", dit-il en affirmant encore qu'ils lui étaient suggérés, parus dans la presse ou visibles sur un plan accroché au mur du bureau d'un inspecteur.
Marqué à vie par cet épisode, il dit avoir l'impression, encore aujourd'hui, que l'interrogatoire s'est déroulé hier. "A aucun moment je ne suis monté sur le talus, à aucun moment je n'ai vu les enfants ce soir-là, je n'ai enlevé la vie absolument à personne", clame-t-il aussi en insistant à plusieurs reprises sur son "grand respect" et ses "pensées" pour les familles des petites victimes.
"J'ai perdu 15 ans de ma vie"
Sous l'écran, sur le banc des parties civiles, aucun proche des enfants n'est présent ce matin. L'avocate de Chantal Beining côtoie son confrère Dominique Rondu, conseil des Beckrich. Celui-ci interroge Patrick Dils sur son "récit si horrible fondé sur des détails précis" qui a, dit-il, "profondément marqué" la famille.
"Pourquoi avoir donné autant de détails ?", "Pourquoi avoir fait ces déclarations inutiles au récit?" Patrick répète la pression des policiers, son incapacité à s'imposer, puis perd patience. "Ecoutez Maître, vous avez déjà subi une garde à vue en 1987 ?" Et l'avocat de lui reprocher, aussi, son absence d'excuses quant à "ces récits si circonstanciés que les familles de victimes, encore aujourd'hui, se pose des questions." L'avocat général tente alors de recadrer les débats.
"J'ai le sentiment, à travers quelques questions, que l'on fait le procès d'un témoin qui a été définitivement acquitté" met-il en garde, rappelant le caractère intangible et définitif de la décision de justice. Ce qui n'empêche pas l'avocate de Francis Heaulme, Liliane Glock, d'enchaîner les remarques et questions suspicieuses.
Et de tenter de brosser du témoin un tout autre portrait. Et cet expert qui le dit "intelligent" ? Et ce "brevet d'initiation au parcours du combattant" épinglé à l'époque sur un mur de sa chambre ? "Ca donne quand même un peu d'assurance, non ?" lance-t-elle à Patrick Dils qui croise les bras, visage tendu. Tandis qu'elle revient encore sur ses aveux, ou sur le plan des lieux qu'il avait dessiné, des murmures de réprobation bruissent dans la salle.
"Je ne vous interroge pas comme un accusé, mais comme un témoin, c'est donc normal que je pose des questions", se défend Liliane Glock. "Vous vous appelez Monsieur Patrick Dils ?" lui lance-t-il alors, tentant de garder son calme. Puis l'avocate d'ironiser presque, l'énervant un peu davantage : "C'est très étonnant votre attitude", "vous êtes innocent, je ne vois pas pourquoi vous êtes nerveux comme ça."
Puis Liliane Glock d'enfoncer le clou :
"Ces histoires d'aveux, rétractés ou pas, ont eu un effet désastreux pour beaucoup de monde, les policiers ont abandonné toutes les autres pistes possibles, vous avez nui à beaucoup de monde."
Patrick Dils lui répond :
"J'ai perdu 15 ans de ma vie pour cela".
Liliane Glock lui rétorque :
"Ce n'est pas la faute des autres".
Patrick Dils lui répond encore :
"Permettez-moi d'en douter".
Et Liliane Glock d'ajouter encore :
"Doutons, et que le doute profite à l'accusé, à Francis Heaulme".
L'écran s'éteint et le président remercie rapidement le témoin. A l'ouverture du procès, Liliane Glock a déploré, encore, l'absence dans le dossier de tout élément matériel et la destruction des scellés...
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