Le centre de détention de Caen, sous l’impulsion de sa directrice, s’est emparé de la question des détenus transgenres. Son protocole fait désormais référence.
Comment le vivent les principaux concernés? Nous avons rencontré Camille.
Les épaules frêles recroquevillées et le regard clair à la fois doux et décidé, Camille est assise dans une petite salle du bâtiment A du centre de détention de Caen, la partie historique, classée, dont les vieilles pierres à la beauté froide datent du XIXe siècle.
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Dans cette prison à taille humaine, 80% des quelque 400 détenus sont des auteurs d’infractions à caractère sexuel, condamnés à de longues peines. Les "pointeurs", ceux que l’on isole pour leur sécurité dans les autres établissements. Et parmi cette population spécifique, deux hommes selon l’état civil souffrent de "dysphorie de genre", ils se sentent comme nés dans le mauvais corps.
"Jusqu’à ma majorité je n’arrivais pas à déceler pourquoi j’étais différente. On se sent malade, pas bien"
En survêtement gris et pull marin, Camille, dont la peau lisse et veloutée ne trahit pas les 60 ans, sourit : elle n’est "plus J.-M. – On ne saura pas si son prénom de naissance était Jean-Marc ou Jean-Marie - depuis le 13 juin 2013". Pas tout à fait un épilogue, puisque l’état civil, seul critère valable pour incarcérer une personne avec les femmes ou les hommes, le considère comme masculin. Mais un grand pas. "Je me suis toujours ressentie femme, depuis l’âge de 9 ans. Je ne m’identifiais pas aux autres garçons, je recherchais la compagnie de filles." Dans son foyer de la DDASS, Camille refuse de prendre sa douche avec ses semblables génétiques. "Jusqu’à ma majorité je n’arrivais pas à déceler pourquoi j’étais différente, murmure-t-elle de sa voix adoucie par l’ablation de sa pomme d’Adam. On se sent malade, pas bien."
Son nouveau prénom sur sa carte d’identité interne à la prison
Camille est en prison depuis trente-deux ans, dont vingt-neuf à Caen. Elle se souvient de son arrivée, le 7 avril 1989, "en détention normale avec les autres garçons". A l’époque, être transgenre, "c’était un peu comme l’homosexualité, on n’aimait pas trop en parler." Du bout des lèvres, elle évoque son calvaire : "J’ai eu peur. On m’a frappée, on m’a violée… Beaucoup de détenus avaient repéré ma féminité." Aujourd’hui, à part pour son travail dans les cuisines de la détention, Camille évite tout contact avec les autres prisonniers, se protège.
L’arrivée de la directrice Karine Vernière, en 2010, a changé sa vie. La détenue, qui commence toutes ses phrases par "Grâce à Madame Vernière", énumère : avoir son nouveau prénom sur sa carte d’identité interne à la prison, pouvoir enfiler des vêtements féminins une fois passée la porte de sa coquette cellule aux rideaux à fleurs et aux six peluches pour rompre la solitude… Et même des permissions de sortie pour une épilation définitive ou l’achat de son premier soutien-gorge, accompagnée par deux surveillants, émus.
Une trentaine de détenus transgenres dénombrés en France
Malheureusement, Camille ne sera jamais physiquement une femme complète. "En 2015, j’ai eu la chance d’accéder aux œstrogènes… Mais j’ai fait une phlébite aggravante. J’ai dû arrêter les hormones avec tristesse et souffrance." Ce qui l’a rendue inaccessible à la "réassignation sexuelle", c’est-à-dire à l’opération. "Franchement c’était vital…" Elle se console avec "une piqûre tous les trois mois", qui annihile la libido et ralentit le système pileux, notamment : "Un premier apaisement." En attendant la sortie, dans sa cellule du bâtiment dit de confiance, sans barreaux aux fenêtres et au joli jardin potager entretenu par les détenus dans lequel circulent les sept chats de la détention, Camille rêve de pouvoir, enfin, marcher dans la rue vêtue de féminin.
"Quand un surveillant me disait C’est quoi cette mascarade lorsqu’un détenu partait en robe se faire évaluer à Fresnes je lui expliquais : il ne se déguise pas, il s’habille"
"Ça peut faire ricaner certains mais c’est un vrai besoin, ce n’est pas une lubie du détenu, pose Karine Vernière. Quand un surveillant me disait C’est quoi cette mascarade lorsqu’un détenu partait en robe se faire évaluer à Fresnes je lui expliquais : il ne se déguise pas, il s’habille." A son arrivée à Caen en 2010, la directrice, qui a déjà quinze ans d’expérience dans la pénitentiaire, est confrontée pour la première fois à quatre détenus transgenres (qui prennent un traitement hormonal ou sont opérés), ou en dysphorie de genre (qui se sentent femmes dans un corps d’homme). Une forte proportion quand on sait qu’aujourd’hui dans toute la France ils sont une trentaine selon le ministère de la Justice, qui précise néanmoins que tous les troubles du genre ne sont pas comptabilisés.
Une directrice de prison à l'esprit ouvert
L’esprit ouvert et une énergie à déplacer des montagnes, Karine Vernière prend en main le problème de la gestion de ces détenus pas comme les autres. "Je perçois une grande détresse, et je me dis qu’il faut répondre. Mais quoi?" L’atypique directrice aux cheveux roux coupés "à la garçonne" et aux baskets dorées se plonge dans tout ce qu’elle trouve sur les transgenres, parfois la documentation lui est fournie par les détenus concernés eux-mêmes. Elle apprend qu’avant l’opération, il y a une période d’évaluation obligatoire de deux ans en moyenne, faite par une équipe médicale pluridisciplinaire, comprenant psys et endocrinologue : "Il faut du temps pour être sûrs, c’est une décision irréversible." Parmi les étapes de cette évaluation, "l’apprentissage de la vie réelle", où il est nécessaire que l’homme s’habille en femme, afin de pouvoir se projeter et de s’habituer au regard des autres. Difficile dans un environnement carcéral.
"On ne peut pas les appeler par le prénom qu’ils se sont choisi pour les formalités administratives. Mais on peut s’adapter, pour certains être appelé Monsieur c’est une forme de violence"
Alors Karine Vernière crée un groupe de travail collectif, à l’intérieur de la prison. En 2010, la France est le premier pays au monde à retirer les "troubles précoces de l’identité de genre" de la liste des affections psychiatriques, une promesse de l’ex-ministre de la Santé Roselyne Bachelot. La loi du 18 novembre 2016 rend possible pour les 40.000 à 60.000 Français transgenres selon les associations le changement d’état civil sans opération, mais avec un passage au tribunal obligatoire. Pendant que ces questions du genre agitent la société, au centre de détention de Caen, surveillants, organisations syndicales et psychologues se réunissent pour se poser des questions très concrètes.
L’administration pénitentiaire à Paris s'inspire de Caen
Par exemple, qu’est-ce qu’une "féminisation discrète", tolérée par le groupe de travail?...
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