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mercredi 16 juillet 2014

Le suicide de Morad Zennati, à la prison de Maubeuge, aurait-il pu être évité?

En août 2010, Morad Zennati, détenu à la prison de Maubeuge, succombait à une tentative de suicide commise deux mois plus tôt. Sa famille vient aujourd’hui de déposer plainte pour non-assistance à personne en danger et mise en danger de la vie d’autrui.
Quatre ans après la mort de son petit frère Morad, Rahma Zennati n’a toujours pas déposé les armes. Cette jeune femme mène le combat au nom de sa famille : « Il est certain que le suicide de mon frère aurait pu être évité », martèle-t-elle depuis le début.
Âgé de 31 ans, Morad Zennati est condamné en novembre 2009 à deux ans de prison ferme pour une énième affaire de stupéfiants. La peine plancher sonne comme un coup de massue pour le Maubeugeois. « Le début d’une longue descente aux enfers », se souvient sa sœur. Dès la première semaine en cellule, et dans un état psychologique fragile, Morad Zennati commet une tentative de suicide. Au fil des mois, l’administration pénitentiaire en dénombrera une dizaine. « Il était plus que désespéré », souligne Rahma. Le détenu fait l’objet d’une surveillance spéciale, il est placé dans la même cellule que son frère afin que ce dernier puisse le surveiller. Malgré tout, l’état de santé de Morad Zennati se détériore. « Il n’avait plus que la peau sur les os, il nous répétait qu’il allait se tuer », ajoute sa sœur. Dans le même temps, sa famille, aidée de leur avocat, écrit de nombreux courriers à la direction de la prison pour obtenir un placement dans un établissement de santé pénitentiaire. Des demandes restées lettre morte.

Le 16 juin 2010, après avoir absorbé une forte dose de médicaments, Morad Zennati appelle pour la dernière fois ses proches. Quelques minutes plus tard, il est retrouvé au sol dans sa cellule. « Ce que je ne comprends pas, explique Rahma, c’est qu’il a été directement interné en psychiatrie, les mains liées, au lieu d’être conduit aux urgences. » Vers 20 h, le détenu est retrouvé dans sa chambre en arrêt cardiaque. Placé en service de réanimation, il décédera le 27 août.

Suite à une plainte, une nouvelle instruction a été ouverte pour non-assistance à personne en danger et mise en danger de la vie d’autrui. La famille assure qu’une série de dysfonctionnements dans le système a conduit à la mort de Morad Zennati.

«Une tendance à minimiser la détresse»

Anne Chereul est la coordinatrice de l’Observatoire internationale des prisons pour la région Nord. Elle suit ce dossier depuis le début et pointe du doigt les limites du système carcéral actuel.
               
Selon vous Anne Chereul, aurait-il fallu agir beaucoup plus en amont dans cette affaire ?
« Je pense effectivement que le plus grave, et qui peut-être ne sera pas considéré comme une faute au final, ce sont tous les mois que Morad Zennati a passés dans un état de détresse, où il n’a pas été pris en charge. On voit bien que le système carcéral ne permet toujours pas un accès égal aux soins. À l’extérieur, on imagine très bien que M. Zennati aurait été hospitalisé. Un détenu, lui, ne peut pas demander à être hospitalisé, il s’agit toujours d’une mesure de contrainte sauf dans les UHSA (unité hospitalière spécialement aménagée). »

En même temps, n’est-il pas toujours difficile pour l’administration pénitentiaire de faire la différence entre une personne qui simule et une réelle détresse ?
               
« Il n’y a pas eu que des paroles, il y a eu des actes de la part de M. Zennati. Des tentatives de suicide ratées certes, mais qui montraient sûrement que M. Zennati n’avait pas envie de mourir. Il s’agissait d’appels au secours. Hélas, on l’a vu dans d’autres affaires, il y a une tendance de l’administration et des soignants à minimiser la détresse d’une personne qui ne supporte pas les conditions de détention. On peut quand même prendre en considération cette souffrance morale ! »

Vous évoquez des carences dans le système actuel, que faut-il améliorer ?
               
« Nous pensons évidemment qu’il faut introduire des mécanismes qui n’existent pas aujourd’hui. Par exemple, une suspension de peine médicale pour des raisons psychiatriques. Aujourd’hui cette suspension existe mais uniquement pour des raisons somatiques. Mais on se dirige vers la bonne voie. Récemment, un groupe de travail du Sénat s’est prononcé pour l’élagissement de la suspension de peine aux motifs psychiatriques. »

Une première instruction très vite classée

Dans la foulée du décès de Morad Zennati, une première information judiciaire avait été ouverte. « Il s’agit d’une procédure automatique lorsqu’un détenu se suicide dans l’enceinte de la prison », indique Quentin Lebas, l’avocat de la famille Zennati. Mais l’enquête a rapidement débouché sur un réquisitoire de non-lieu. Aucun élément suspect n’a été relevé lors des investigations. Quentin Lebas avoue son incompréhension. « Le dossier était vide, personne n’a été entendu. La famille du défunt n’a jamais été convoquée, c’est choquant ». Raison pour laquelle le conseil a déposé plainte en avril, car des actes supplémentaires doivent être menés à ses yeux. De nombreuses questions restent en suspens.

Les secours ont-ils été appelés lors de la dernière tentative de suicide de Mohamed Zennati ? Pourquoi, alors qu’il venait d’absorber une grosse quantité de pilules, a-t-il été placé sous contention en psychiatrie ? Pourquoi n’a-t-il pas été admis aux urgences ? « Y a-t-il eu des erreurs dans la transmission des informations entre les différents services ? Nous espérons que l’instruction pourra le déterminer », poursuit l’avocat.

Une requête auprès
de la Garde des sceaux

Sollicitée, l’administration pénitentiaire n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. En plus de ce volet pénal, Quentin Lebas a adressé une requête indemnitaire à la Garde des sceaux. Pour faire simple, il s’agit de demander réparation pour la mort de Morad Zennati, en chiffrant le montant du préjudice.

Mais accepter cette demande serait reconnaître une faute. Si la requête est rejetée (on le saura fin juillet), alors la famille entamera des poursuites parallèles devant le tribunal administratif. Lequel a déjà rendu deux décisions favorables aux familles dans d’autres affaires.

De précédentes condamnations en lien avec un suicide

Par deux fois ces derniers mois, le tribunal administratif de Lille a rendu des décisions favorables aux familles de détenus après un suicide à la prison de Maubeuge.

En octobre 2013, l’État a été condamné pour négligence fautive alors qu’un jeune homme de 28 ans s’était donné la mort trois jours après avoir été placé au quartier disciplinaire (plus connu sous le nom du mitard). Le juge avait estimé que le passage à l’acte « était prévisible » et aurait dû conduire le service pénitentiaire à lui retirer les draps avec lesquels la victime s’est pendue.

En février, c’est l’hôpital de Maubeuge qui était visé pour un autre suicide en 2006. Malgré des signes de fragilité psychologique et de dépression, un détenu avait tout de même été placé en quartier disciplinaire « Le manque de surveillance médicale de l’administration des traitements et de leur efficacité doit être regardé comme ayant contribué au passage à l’acte du détenu et constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Sambre-Avesnois », avaient conclu les juges du tribunal. Une somme de 14 000 € avait dû être versée à la famille.
La Voix du Nord

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