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jeudi 13 novembre 2014

Comment je suis devenu surveillant

J' écris ce billet en réponse aux questions de "Jacqueau" posées dans ce billet.

Le titre a failli être comment j' ai « fini » surveillant. Mais j'espère que ça n'est pas une fin. En réalité c'est une sorte d'accident, dans un excès de responsabilité, que j'ai postulé au concours. Ça n'en minimise pas la portée de l'acte. Mais après de longues errances dans de nombreux Jobs très divers mais toujours payés les mêmes sommes, j'en ai eu assez. J' étais de ces travailleurs « instables », qui changeaient de boulot presque tous les ans, et qui commençaient à en chercher un autre quelques mois après en avoir trouvé un nouveau. J'ai très peu été au chômage. En voyant que, crise aidant, les entretiens d'embauche devenaient de plus en plus dur à avoir, et que même pour un boulot de laveur de vitres j'ai dû passer trois entretiens avec une sorte de jury aussi impitoyable que non qualifié pour cet exercice, j'ai commencé à me faire du souci pour mon avenir.

J'ai pourtant fait des études, mais elles n'ont jamais compté. Le nombre de chômeurs était déjà tel qu'il a vite fallu accepter n'importe quel travail. Quand on n'a aucun soutien, il faut bien régler les factures. J'ai bien eu envie de partir, façon « Into The Wild », mais je ne l'ai pas fait. Je le regrette parfois, mais voilà.

J'ai eu un premier enfant, et avec m'est venu le sentiment probablement exagéré de responsabilité financière. Je peux voir à posteriori toute la pression sociale à laquelle on croit échapper, mais qui vous rattrape vite. Il faut être un bon père de famille, alors il faut trouver un emploi stable, être responsable, changer. Autant d'idioties. Normalement Il suffit à un enfant de nourriture, d' amour et d’attention, ainsi que d'une éducation et d'un toit si possible. Et le sentiment de faire de son mieux devrait également être assez pour un père.

Ne connaissant pas d'emplois plus stables que ceux de la fonction publique, j'ai fait la liste des concours auxquels je pouvais encore postuler. Il n'y avait pas grand chose. A vrai dire, il n'y avait que la pénitentiaire à ma portée. Limite d' âge, de diplômes, etc. Je dois dire que je n'ai même pas vraiment songé à l'univers pénitentiaire. La seule chose qui a compté sur le moment était le statut et la paie, pas si formidable, mais meilleure qu'un smic. Ma voilà rapidement aux épreuves, puis envoyé à l' ENAP.

En réalité je n'ai réalisé qu'une fois sur place dans quoi je m'engageais. J'ai vite compris que je pourrais pas aller travailler sur Paris car je n'aurai pas les moyens d'y faire vivre ma petite famille, j'ai donc travaillé pour sortir en bonne place, et choisir une affectation économiquement plus viable. C'est parce que j'y suis parvenu que je n'ai pas démissionné. Je n'ai vraiment vu tout le côté « caché » qu'une fois titulaire. Un an après ma première prise de poste. Donc deux ans après ma réussite au concours. « Jacqueau » me demandait aussi pourquoi je tenais à ce travail. La réponse est simple, je n'y tiens pas.

Comme beaucoup, j'aimerais être ailleurs, tout en ayant conscience que ça pourrait être beaucoup mieux. En partir me plairait, mais je crois que ce qui me tient le plus à cœur maintenant, serait de changer les choses, même peu. Même pour quelques uns uniquement, qu'ils soient détenus ou surveillants.

Rester humain malgré tout est une sorte de défi, arriver à rester « tranquille » en toutes circonstances est un vrai travail sur soi. J'essaie de ne pas oublier qu'entre chaque porte que j'ouvre, malgré parfois la fatigue, je suis leur seul interlocuteur. Et même si j'ai dit la même chose à trente personnes, celle qui me la demande le fait pour la première fois. Je n'ai pris la mesure de représentant des services publics et de « dépositaire de l' autorité » qu'au fur et à mesure. Je ne m'exonère de rien. J'ai bien conscience que quand j'étais enfant, je voulais être cosmonaute, docteur... pas garder des gens enfermés. J'ai bien vu l'image très négative que portait la fonction. Parfois à tort, parfois à juste titre. Je vois les réactions négatives des gens à qui je dis ce que je fais. Je ne m'en cache pas.
Je considère mon activité comme lourde, des horaires difficiles, des conflits, de la violence, verbale ou physique parfois, mais aussi des contacts. J'ai eu à « garder » des personnes parmi les plus dangereuses du pays, et des gens tellement perturbés qu'ils, j'en suis convaincu, ne savent même pas qu'ils sont en prison. J'ai toujours réussi à gérer les situations avec calme. Je n'ai été attaqué qu'une fois, sans gravité, et je n'en veux pas au détenu, qui ne savait pas ce qu'il faisait. C'est un autre détenu qui m'a « sauvé ». J'ai toujours parlé à tous comme à des personnes normales, tout simplement, avec le respect qui leur est dû, car tout le monde peut se retrouver en prison. Je suis responsable de tout ceux qui sont placés sous ma responsabilité, de leur vie, de leur sécurité autant que possible. C'est beaucoup. Je ne suis pas là pour les juger, en aucun cas. Je ne regarde pas les dossiers pénaux. J'ai conscience d'être à contre courant des discours internes, mais nous valons mieux que ça, et les détenus aussi. Je suis certain que beaucoup de surveillants n'attendent que ça, mais sont contraints par les conditions internes et le petit terrorisme intellectuel de certains. Il suffit de peu pour changer beaucoup. Je n'ai jamais oublié les cours de droit de l' ENAP, où la formation est correcte.
Alors vous me direz que je suis responsable de ce que je fais, tout comme ceux qui sont enfermés le sont de leurs actes, mais je leur dois le respect qui est dû à tout citoyen, et pas de seconde zone. De vrai citoyen. Et quand j'apprends parfois qu'untel ou un autre était innocent, je suis heureux de m'être, au moins, toujours comporté dignement, de les avoir toujours traité avec le plus de dignité possible. Hélas aussi, certains établissements sont de telles usines, sous prétexte d'économies, que les conditions de détention en sont indignes et les comportements pas toujours exemplaires. Il y aurait tant à faire !

Un journaliste, qui s'était « infiltré » comme élève surveillant, avait écrit un livre il y a quelques temps. Il n'a pas été assez loin, pas été assez seul sur les coursives, pas vu assez de bêtise ni parfois d'intelligence pour écrire ce qui se passe dans les profondeurs. Pour décrire les sentiments. Pour les détenus, certains sont innocents, ou même s'ils sont coupables, il y a des types bien qui ont eu une « mauvaise » trajectoire. Il y a des surveillants corrects, humains, qui font leur travail comme ils peuvent, avec la plus grande dignité possible, et à défaut d'augmenter les moyens de l'institution, de construire des établissements à tailles humaines, on peut communiquer à notre petit niveau, c'est ce que je tente de faire sans compromettre mon devoir de réserve qui pèse au dessus de ma tête comme une épée de Damoclès. Si ça éduque un peu le public à la cause pénitentiaire, au traitement des détenus, je n'aurai pas servi à rien. Et si un collègue adopte une vue plus modérée grâce à moi et oublie les termes « pro détenus » ou « voyous », et se rend compte que nos syndicats nous maintiennent volontairement dans la médiocrité, j'aurai encore été utile. Et si un jour je peux changer de voie, je n'oublierai jamais ni les détenus que j'ai gardé, ni que je pourrai toujours agir à mon niveau. Si chacun, où qu'il soit, essaie d'agir, de communiquer autant qu'il le peut sans se mettre en danger, tout peut changer, dans tous les domaines. Mais pour moi un surveillant doit avant tout être patient, intègre, humain, ne pas avoir peur de l'auto critique, de l' analyse, et avoir une certaine dose de courage. On peut au moins reconnaître ça, se trouver seul un jour, sur une coursive pleine de portes, derrière lesquelles il y a des inconnus qui sont là contre leur volonté, armé d'un jeu de clefs, demande un certain courage.

Bref, dans ce milieu si particulier, j'essaie de pouvoir me regarder dans une glace sans honte. Et ma dignité d'humain avec un grand H passe par la correction de mes relations à mes collègues, la distance que j'essaie de prendre avec ce et ceux qui sont incompatibles avec ma vision de ma « mission », et le traitement des détenus placés sous ma responsabilité, et j' essaie de me comporter comme j'aimerais qu'on se comporte avec moi dans un état de droit, dans les respect de chaque personnalité, de chaque individu.

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