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jeudi 19 février 2015

Radicalisation en prison : qu'est-ce qui a vraiment changé depuis les attentats ?

"Radicalisation : que se passe-t-il dans nos prisons ?", se demandait-on au lendemain des attentats de Paris. Plus d'un mois après ces tragiques événements, quels sont les chantiers qui ont été engagés pour que nos lieux de détention cessent d'être des incubateurs de terroristes ?

Omar El-Hussein venait tout juste d’être remis en liberté. L’auteur des attentats de Copenhague, mort ce week-end dans l’assaut lancé par les forces de l’ordre, avait 22 ans. Il a fait deux victimes. Deux civils. Un mois après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, la question de la prison ressurgit ainsi, comme un spectre, au milieu d’une multitude d’interrogations. La prison encore. Omar El-Hussein, comme Amedy Coulibaly, comme Chérif Kouachi, les chevilles ouvrières des attentats de Paris, avait passé de longs mois en détention. S’y est-il radicalisé ? Les autorités le croient. Selon le quotidien Berlingske Tidende, le jeune Danois, signalé parmi 39 autres détenus radicalisés, y aurait fait part de son intention d'aller combattre en Syrie.


En France, leurs homologues commencent seulement à rassembler les pièces. Amedy Coulibaly, incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne, au milieu des années 2000 y a notamment rencontré son mentor, Djamel Beghal, islamiste algérien accusé d’avoir fomenté un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. C’est Amedy Coulibaly, qui le raconte lui-même aux enquêteurs, au cours d’un interrogatoire, comme le révèle Libération : « Quand j’étais en détention avec [Djamel Beghal], explique Amedy Coulibaly, c’était en 2005, j’étais dans une aile et lui se trouvait avec les isolés. Je parlais avec les isolés et, petit à petit, on s’est lié d’amitié. Je suis resté un certain temps en cellule au-dessous de lui. »


Djamel Beghal était pourtant à l’isolement, coupé des autres détenus. La prison, un problème en somme, que les autorités françaises tendent cependant à ériger en solution. Parmi les mesures phares annoncées pour lutter contre le terrorisme par le Premier ministre Manuel Valls, le regroupement des détenus étiquetés « PRI » (pour personne radicalisée islamiste)  apparaît en effet comme l’une des pistes privilégiées.

Fresnes, le faux modèle

Or, le regroupement des détenus qui sert de modèle à Manuel Valls et que la garde des sceaux, Christiane Taubira, a annoncé vouloir étendre à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, s’est fait sans « concertation. » Dans la précipitation même selon le syndicat UFAP-UNSa Justice. Car la décision de réunir, à Fresnes, dans le Val-de-Marne, une trentaine d’individus radicalisés, depuis novembre dernier, n’aurait pas été prise au terme d’une réflexion générale sur la lutte contre l'islamisme radical, mais en urgence, à l'égard de la situation locale, très tendue, après les « plaintes » d’une partie des détenus, tantôt contraints par leurs voisins islamistes de « prendre leur douche habillés », tantôt obligés de cesser « d’écouter leur musique »« C’est beaucoup d’effets d’annonce pour rassurer la population, regrette par conséquent Emmanuel Febvre de l’Ufap, En réalité, on a très peu de retour » sur l’expérience. « Les vrais islamistes d’ailleurs, on ne les connaît pas. Ils ne se font pas remarquer. »


L’administration pénitentiaire avance quant à elle des chiffres. Deux cent quatre-vingt-trois personnes sont déténues pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, dont 152 signalées comme islamistes radicaux, incarcérées essentiellement en Ile-de-France, pour 135 d’entre eux. Seuls 22 ont été auparavant écroués. Des arrestations directement liées, enfin, pour une centaine de ces déténus aux filières d’acheminement de djihadistes en Irak ou en Syrie. Quatre-vingt-dix étaient par ailleurs suivis, en juin 2014, sur mandat de dépôt, autrement dit, pour des faits liés, dès l’incarcération, à des projets ou actions terroristes.


« Avant, on disséminait la masse critique » quand elle n’excédait pas « 12-15 détenus » explique le sous-directeur de l’état-major de sécurité de l’administration pénitentiaire, Bruno Clément-Petremann, à la poignée de badauds venu débattre sur le sujet lors d’une réunion publique organisée, la semaine dernière, par la Licra. Aujourd’hui, « on rassemble ». Pour mieux surveiller. Identifier. Mais se donne-t-on vraiment les moyens de cette surveillance ?

L’omniprésence du religieux

A Fresnes, construite en double H, avec un couloir central qui coupe les trois divisions (séparées d’une centaine de mètres) les surveillants restent en sous-effectif et ne sont pas ou peu formés. Comment intéragir alors avec les plus radicalisés ? Avec Riadh H., parti « prier » dans les zones pakistano-afghanes, arrêté avec de la propagande djihadiste et un mode d'emploi permettant la fabrication d'explosifs ? Avec Youssef E. arrêté à l'aéroport avant de pouvoir embarquer pour la Turquie, en possession de tout un arsenal guerrier dans ses bagages ? Comment dialoguer avec le plus prosélyte du groupe, un converti, placé à l'isolement ? Si, en promenade ou dans la salle de musculation, les détenus islamistes tournent par ailleurs ensemble, ils côtoient toutefois les autres détenus à l’heure des parloirs (40 cabines par division), où tous patientent dans la même salle d’attente, ou lors de visites à l’infirmerie. Il suffit alors de peu pour « distiller le venin » comme le rapportent certains acteurs du milieu, à qui revient le souvenir d’un des nombreux transferts de Djamel Beghal d'une prison à une autre. Quelques heures seulement, aux côtés d’un « gamin » retourné le temps du trajet dans le « panier à salade »...


Cette rapidité avec laquelle la radicalisation fait son nid, les professeurs chargés d’enseigner à Fresnes la décrivent également. « La radicalisation, on la sent de plus en plus. Et de plus en plus tôt. Il y a un vivier pas encore radicalisé, sur lequel porte notre action ». Les cours, un « espace de liberté » grignoté néanmoins par « l’omniprésence du religieux dans les échanges avec les élèves ». Quelle que soit la matière enseignée, y compris en maths.


Dans la maison des familles, à Fresnes, où les proches des détenus se retrouvent, parfois autour d’un café avant les visites, le mal-être s’exporte également...


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