vendredi 24 avril 2015

Après les parlementaires, les journalistes en prison

Le Parlement a voté la possibilité pour les journalistes d'accompagner les parlementaires lorsqu'ils visitent un établissement pénitentiaire. Un droit dont députés et sénateurs disposent depuis 2000, mais qu'ils sont encore peu nombreux à saisir.    
En 2012, plus de 330 parlementaires avaient signé une pétition, initiée par l’ancien détenu et homme politique Pierre Botton, pour permettre aux journalistes de les accompagner en prison, "deux fois par an". Trois ans plus tard, le texte a été voté dans le cadre de la proposition de loi sur la modernisation du secteur de la presse. Et promulgué vendredi 17 avril. "A l’exception des locaux de garde à vue, les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européen peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle", indique l’article 18 du texte de loi. Un décret en conseil d’Etat doit encore en fixer les conditions.
 
"Quand la presse aura la possibilité de rendre compte de ce qui se passe, le public se sentira plus concerné. Si, dans chacun des 191 établissements pénitentiaires, on peut raconter ce qui va ou ce qui ne va pas, ça changera", prédisait Pierre Botton il y a quelques années.

"C’est un droit, mais c’est aussi un devoir"

Reste que cette mesure ne peut être mise en œuvre sans l’action des parlementaires eux-mêmes. Depuis l’an 2000,  et l’article 719 du Code de procédure pénale, députés et sénateurs (les députés européens depuis 2009) possèdent un droit de visite leur permettant de se rendre - même à l’improviste - dans un lieu de détention. "Ils peuvent arriver devant la porte de la prison le matin même", explique Anaïs Lambert, vice-présidente du Genepi*, chargée de la sensibilisation du public. "Les parlementaires peuvent absolument tout voir. Ils peuvent aussi s’entretenir avec des personnes détenues sans la présence de l’administration pénitentiaire", précise-t-elle.
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Depuis la loi du 18 avril, les parlementaires peuvent également se rendre dans les centres éducatifs fermés (CEF) destinés aux mineurs multirécidivistes.

Une lettre envoyée aux députés et sénateurs

"Ce n’est pas uniquement user de leur 'pouvoir politique'. Ils sont avant tout citoyens. A partir du moment où les parlementaires sont dans un droit absolument direct, ils doivent l’exercer au-delà même de leur statut", estime-t-on au Genepi. "C’est un droit, mais c’est aussi un devoir", complète François Bès de l’Observatoire international des prisons (OIP). 
 
Ces deux associations sont parfois contactées par les députés et sénateurs en vue de l’organisation d’une visite. Chaque année, le Genepi organise ses "Journées parlementaires prison" (le lancement a eu lieu lundi). L’objectif affiché? "Encourager les députés et sénateurs à entrer dans les lieux de privation de liberté afin d’appréhender la réalité du monde carcéral."
 
Un mois après l’envoi du courrier, l’association a eu "30 réponses" (sur 577 députés et 348 sénateurs), parmi lesquelles "entre 8 et 10 sont positives" qui pourraient déboucher sur une visite. Certes faible, mais davantage que les années précédentes. "C'est une population dont on ne peut pas s'écarter. La jeunesse est l'avenir de notre pays. On ne peut pas les laisser au bord du chemin", juge la sénatrice de Seine-Saint-Denis Evelyne Yonnet (qui a récemment succédé à Claude Dilain décédé en mars), unique parlementaire présente à la conférence de presse lundi.

"La question pénitentiaire n'est pas très porteuse au niveau électoral"

La députée écologiste Laurence Abeille, elle, s’est rendue à la prison de Fresnes le 19 février dernier avec sa collègue Esther Benbassa. Une visite à l'improviste. "L'idée n'était pas de forcer la porte, mais de voir les choses telles qu'elles sont et moins préparées que lors d'une visite officielle", explique l'élue du Val-de-Marne. L'occasion d'en savoir plus sur le regroupement de détenus identifiés comme islamistes radicaux et aussi sur les parloirs. "Le plus frappant, au-delà de la petitesse des box, c'est l'odeur de moisi, de saleté intense. C'est un lieu indigne de la personne humaine", relate-t-elle aujourd'hui. Laurence Abeille alerte également sur la surpopulation carcérale : "On fabrique de la misère, de la violence psychologique, voire physique." "La question du retour des détenus à la société se pose forcément. Est-ce qu'il est possible de manière correcte quand on a vécu ces situations?", s'interroge la députée.
 
Pour les associations, les parlementaires sont trop peu nombreux à se saisir de ce droit. "La majorité n'est pas très sensible à la question", confirme François Bès de l'OIP. La raison? "La question pénitentiaire, relative aux droits et à la dignité des détenus, n'est pas très porteuse au niveau électoral." "On n'a jamais eu de réponse négative (sur nos demandes), mais on a beaucoup d'absence de réponses", complète-t-il. "On touche très peu de gens", regrette Anaïs Lambert du Genepi. Ni l'un ni l'autre ne tienne de décompte des visites effectuées par les parlementaires. "Certains médiatisent leur visite, d'autres pas. C'est un peu compliqué d'avoir une vision exhaustive", explique François Bès.
 
Avec les journalistes à leurs côtés, "un nouveau regard va pouvoir être effectué sur le milieu carcéral", se réjouit la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, dans une interview au JDD.fr. "La question de la prison est dans le débat public. A partir de ce moment-là, il faut que la presse puisse entrer en prison", complète-t-elle. Selon l'administration pénitentiaire, 122 parlementaires ont visité des services pénitentiaires en 2012 (sur 577 députés, 348 sénateurs et 72 députés européens). Soit 12% d'entre eux, si aucun ne s'y est rendu à plusieurs reprises.
 
Lire aussi l'interview d'Adeline Hazan :

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