Dans un rapport accablant, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) dénonce l’omerta qui entoure les violences physiques commises par les surveillants sur les détenus.
Ce jour-là, il est à l’hôpital, menotté, en compagnie de quatre agents pénitentiaires. Ces derniers le soupçonnent de cacher quelque chose dans sa bouche.
L’un d’eux s’empare alors d’une toupie médicale – semblable à un «gode» – et enfonce l’instrument dans sa bouche.
Liens commerciaux:
«Seule une infirmière était présente sur les lieux, alors que son utilisation nécessite un médecin, se souvient Hervé. Dans le compte rendu d’incident, il y avait toutes les preuves du défaut de procédure, de violences, et même de viol.»
Le parquet décide pourtant de classer sa plainte sans suite. Mais l’homme ne baisse pas les bras. Il connaît les rouages de la détention. L’instruction est, aujourd’hui, toujours en cours. «Moi, je savais comment faire pour sortir de la prison et voir un médecin extérieur. Mais celui qui subit ça pour sa première détention, il est choqué à vie.»
Aujourd’hui, H.T. fait tout pour ne plus laisser ces violences impunies. Devenu juriste et membre du conseil d’administration de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), il se bat pour lutter contre ces actes qui font l’objet d’une omerta dans le milieu.
Le rapport de l’OIP, présenté ce lundi, regorge de témoignages aussi édifiants que le sien. «Les violences pénitentiaires, c’est le quotidien», souffle-t-il.
Depuis un an, l’organisme a enquêté et rencontré une centaine d’acteurs du système carcéral afin de décrypter le phénomène des violences pénitentiaires, celles commises par des surveillants envers des détenus. Car aucune donnée ni aucune statistique n’existe pour l’illustrer.
«Angles morts»
«L’administration ne communique que sur les violences envers les surveillants ou entre détenus, confirme Cécile Marcel, directrice de la section française de l’OIP. Nous étions surpris que ce soit à ce point-là.»
En deux ans, l’organisme a pourtant reçu 200 signalements de détenus accusant des surveillants de violence physique à leur encontre. Soit deux par semaine.
L’OIP prévient d’emblée : il ne s’agit pas de pointer une profession aux conditions de travail éprouvantes, ou de balayer d’un revers de main les actes dont peuvent être victimes les surveillants.
«Dans l’univers carcéral, les violences s’alimentent les unes des autres. Mais les unes sont dénoncées, tandis que d’autres demeurent des angles morts. Nous avons choisi de nous concentrer sur ces angles morts», poursuit Cécile Marcel.
Les violences physiques et illégales du personnel pénitentiaire peuvent prendre plusieurs formes : celles consécutives à des interventions, comme lors des fouilles à nu ou des placements en quartier disciplinaire; celles qui surviennent à froid, lors de règlements de comptes ou de passages à tabac; ou encore les violences «structurelles», portées par un groupe d’individus et encouragées par leur hiérarchie.
Le rapport cite ainsi cinq cas de maltraitance de détenus survenus ces dernières années et couverts par la direction, certains établissements allant jusqu’à utiliser le «tabassage» et la «terreur» comme modes de gestion.
«Régime du silence»
Si le sujet est si peu abordé, c’est parce que personne n’a vraiment intérêt à ce que cela se sache. Du côté des surveillants, insiste l’OIP, un «régime du silence» s’installe : les membres de la majorité silencieuse ne doivent pas dénoncer la minorité active, sous peine de voir le groupe se retourner contre eux et faire l’objet d’intimidations pouvant aller jusqu’à la mutation.
Les directeurs de prison ont beaucoup de mal à se désolidariser de l’esprit de corps des surveillants, parfois très puissant. Et les détenus, eux, ont peur des conséquences de leurs plaintes, des possibles expéditions punitives et des transferts dans une autre prison.
«Peu de détenus ne veulent faire valoir leurs droits par peur des représailles, assure Me Maud Schlaffmann, qui a défendu plusieurs personnes incarcérées. Il faut oser et être armé pour aller au bout. Aux yeux de la justice, le détenu n’est pas une victime lambda, sa parole pourra être décrédibilisée. Et puis, la personne accusée est un fonctionnaire pénitentiaire.»
L’avocate décrit les «témoignages hallucinants» qu’elle a reçus, notamment ceux concernant l’accès au médecin après des violences pénitentiaires : «Certains détenus sont examinés à travers la grille d’une cellule, d’autres plusieurs semaines après les coups. Parfois, le médecin refuse de dresser un certificat médical, alors que c’est une obligation légale et déontologique.»
Mais face à ces nombreux cas, très peu de procès, et encore moins de sanctions. En 2018, un seul fonctionnaire a fait l’objet d’une condamnation pour violences. L’an passé, ils étaient six, après une même affaire ayant abouti à la mort d’un détenu.
«L’administration pénitentiaire se repose sur la justice, et attend qu’il y ait une condamnation. Mais la justice ne fait pas son travail», regrette la directrice de l’OIP. Dans la plupart des cas, les surveillants reconnus coupables de violence sont en effet condamnés à de la prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire.
«Au-dessus du directeur, il y a des magistrats. Alors pourquoi classer systématiquement sans suites les plaintes ?» s’interroge H.T.
Dans ce système de «déresponsabilisation collective» pointé par l’OIP, l’appareil judiciaire ne se substitue pas à la défaillance de l’administration pénitentiaire. L’organisme préconise donc plusieurs recommandations pour prévenir et endiguer le phénomène des violences : l’augmentation des moyens d’accès judiciaire des détenus, la conservation des bandes de vidéosurveillance pour au moins six mois, un meilleur accès aux soins médicaux, une meilleure identification des surveillants par le biais d’un matricule visible, ou encore la mise en place d’une meilleure expression collective des détenus.
Les syndicats de surveillants pénitentiaires n’ont pas souhaité répondre aux sollicitations de l’OIP, «mais ils ne nient pas et affirment que ces agissements sont le fruit d’une minorité», déclare Cécile Marcel...
Lire la suite sur Libération
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire