vendredi 28 février 2014

Suicides à la prison de Maubeuge: l'heure des questions

Lundi, l’hôpital de Sambre-Avesnois a été condamné pour faute, par le tribunal administratif de Lille, suite à un suicide à la prison de Maubeuge. 
En octobre dernier, l’État avait été sanctionné dans une autre affaire de suicide. Y a-t-il un réel problème dans ce centre pénitentiaire ? Peut-on éviter ces drames ? Éléments de réponse.
 Malgré les politiques de prévention, le nombre de suicides en prison reste toujours élevé. PHOTO D’ILLUSTRATION PIERRE LE MASSON VDNPQR

1. La prison de Maubeuge est-elle la seule concernée ?

L’information s’est répandue comme une traînée de poudre un peu partout en France, cette semaine (notre édition du 25 février). Le 5 février, le tribunal administratif de Lille acondamné l’hôpital de Maubeuge après un suicide à la prison, en 2006.
Malgré l’état psychologique du détenu, les médecins n’avaient pas jugé son état de santé incompatible avec un placement en quartier disciplinaire. En octobre 2013, l’État avait été condamné pour « négligence fautive » toujours pour un suicide en 2008 à Maubeuge. Deux condamnations en l’espace de quelques mois. Voilà de quoi entacher l’image de la prison. Mais attention, cette problématique ne se cantonne pas au seul centre de Maubeuge. En 2011, la prison de Liancourt dans l’Oise a été jugée pour les mêmes raisons. « Il y a d’autres condamnations ailleurs en France mais dont nous n’avons pas forcément connaissance », déclare Anne Chereul, coordinatrice régionale de l’observatoire international des prisons (OIP). Les statistiques sont très noires dans l’Hexagone. Dans son rapport, l’OIP note qu’en moyenne, un détenu se donne la mort tous les trois jours en France. Soit le niveau de suicide le plus élevé de l’Europe des quinze. Parmi les lieux à fort risque suicidaire, l’OIP a identifié, entre autres, les quartiers disciplinaires.

2. Le quartier disciplinaire, kesako ?

Il est le dénominateur commun aux deux condamnations maubeugeoises. Plus connu sous le nom de « mitard », le quartier disciplinaire est une sanction infligée à un détenu qui aurait commis une faute. Il est alors placé dans une cellule où il se retrouve seul et est privé d’activité. Ses promenades sont totalement isolées, limitées à une heure par jour et n’a pas la télé. Bref, le détenu est coupé du monde.

3. Quels sont les risques ?

Anne Chereul l’assure, le quartier disciplinaire est le « lieu suicidogène par excellence ». Entre le 1er janvier et le 14 septembre 2011, 30 % des suicides en prison ont eu lieu dans ce quartier. Dans un guide à destination des professionnels, Laurent Michel et Betty Brahmy, psychiatres, évoquent ce quartier disciplinaire comme un lieu favorisant « l’éclosion anxieuse et la divagation mentale ». Les détenus les plus fragiles peuvent être tentés de commettre l’irréparable. Toutefois, pour les surveillants, cette mesure est connue pour être efficace face aux détenus qui posent le plus de problèmes. Nous avons sollicité plusieurs syndicats afin d’évoquer le sujet, mais aucun n’a donné suite.

4. Y a-t-il des alternatives ?

Pour l’OIP, la réponse est claire : « Il faut supprimer la mesure du quartier disciplinaire ». Anne Chereul opte plutôt pour le « confinement en cellule individuelle ». Une sanction moins violente, d’un point de vue psychologique, prônée en 2004 dans un rapport de la commission nationale consultative des Droits de l’Homme. L’organisme appelait également le gouvernement à mettre en œuvre « une politique de prévention déterminée, et considérée comme prioritaire », pour juguler l’explosion des suicides en prison.

5. Alors où en est la loi ?

Dix ans plus tard, force est de constater que la législation n’a pas beaucoup évolué. Seule avancée selon l’OIP : la loi pénitentiaire de 2009 a abaissé la peine maximum du placement en quartier disciplinaire de 45 à 20 jours. La peine peut être portée à 30 jours pour toute agression physique. En dépit d’une politique de prévention, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Dans une note du 28 mars 2013, à laquelle nous avons eu accès, le directeur de l’administration pénitentiaire déplore déjà six suicides de détenus placés au quartier disciplinaire depuis le 1er janvier 2013, « soit le même nombre que sur toute l’année 2012 ».
Contactée, la direction du centre pénitentiaire de Maubeuge nous a renvoyé vers celle de Lille, où personne n’a souhaité répondre à nos questions.

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