Le renvoi en correctionnelle à Nancy de Stéphane Scotto pour homicide  involontaire avait provoqué beaucoup d'émotion. A l'audience du vendredi 13  septembre, les charges sont apparues bien minces. Analyse.
 
   
Quel procès singulier que celui de Stéphane Scotto, 42 ans,  directeur du Centre pénitentiaire de Fresnes (2800 détenus dans  le Val-de-Marne)! Il est poursuivi pour un homicide  involontaire qui lui est reproché à l'époque où il dirigeait la  Maison d'arrêt de Nancy, en 2004. Neuf ans plus tard, c'est un  peu la montagne qui accouche d'une souris. 
 C'est un procès exceptionnel, car de mémoire pénitentiaire, personne ne se  souvient qu'un cadre de cette puissante administration n'ai déjà été poursuivi  pour homicide involontaire, après le meurtre d'un détenu sur un codétenu. Neuf  ans de procédure, un chemin de croix judiciaire, pour les parties civiles, pour  obtenir un renvoi en correctionnelle: la mère et les frères de la  victime Johnny Agasucci, massacré par Sébastien  Simonnet, avaient contre eux à la fois le parquet et le juge  d'instruction qui souhaitaient le non-lieu. C'est la cour d'appel de Nancy qui a  décidé qu'il y aurait procès. 
Les fautes du directeur de prison
 Quand le procès commence, vendredi 13 septembre à 8h35, les charges contre  le directeur Stéphane Scotto apparaissent lourdes. En mars 2004,  la prison Charles III, construite au XIXe siècle, doit accueillir Sébastien  Simonnet qui va passer aux assises pour des actes de torture et de barbarie  contre un codétenu. Le directeur de l'établissement le reçoit en entretien,  parce qu'il a un profil dangereux, et lui promet qu'il l'aura à l'oeil... mais  sans décider une surveillance particulière. 
 Stéphane Scotto, comme seule mesure de précaution, place Sébastien Simonnet  dans une cellule de six détenus, afin que ce détenu dangereux  ne puisse pas prendre l'ascendant sur ses codétenus. Précaution qui parait  faiblarde puisqu'il a déjà torturé un codétenu dans une cellule  collective. 
 Deux fautes sont reprochées à Stéphane Scotto. Avoir placé dans la même  cellule que Sébastien Simonnet la future victime Johnny Agasucci, ce dernier  étant un primo délinquant donc pas du tout endurci par la vie carcérale, et  avoir laissé chuter l'effectif de la cellule de six à trois après la grâce  présidentielle du 14 juillet. 
Pas d'exigence d'encellulement individuel
 Bizarrement, dans son arrêt de renvoi, les magistrats de la Cour d'appel de  Nancy ne reprochent pas à Stéphane Scotto de ne pas avoir jugé que Sébastien  Simonnet devait être placé à l'isolement. Soit en libérant une des rares  cellules individuelles, soit en le mettant seul dans une cellule double... ou en  demandant son transfert. Selon la loi, l'encellulement individuel est pourtant  obligatoire, mais dans un établissement comme Charles III à Nancy - si vétuste  qu'il a été détruit en 2009 -, cela relève de la quadrature du cercle. On y  comptait 259 places pour 370 détenus avec 4 cellules individuelles, 36 cellules  doubles, les autres pouvant accueillir 6, 10, 12 ou 15 détenus. 
 Face à la présidente d'audience Catherine Hologne, qui menait les débats avec beaucoup de  douceur et de professionnalisme, le mis en examen Stéphane Scotto commence dès  la fin de matinée à sentir la pression diminuer. Si on ne lui reproche pas  d'avoir placé Sébastien Simonnet en cellule collective, on l'accuse d'avoir mis  à ses côtés le primo délinquant Johnny Agasucci. Mais cela constitue-t-il une  faute pénale ayant favorisé le meurtre? Car en quoi pouvait-on savoir avant que  la future victime était plus vulnérable qu'un autre détenu? 
Personne n'a rien vu ni entendu
 Reste enfin le défaut de surveillance de la désormais tristement célèbre  cellule 118, avec trois lits superposés. N'est-il pas trop facile de soutenir a  posteriori qu'il aurait fallu imposer à cette cellule une surveillance  particulière? Si l'on ne considère pas qu'il en fallait une dès le départ, le  directeur Stéphane Scotto a disposé d'une très bonne arme de défense. Rien  d'extraordinaire ne lui a été signalé sur cette cellule. L'enquête la démontré.   
De manière même troublante, il est avéré que Johnny Agasucci était tabassé  par Sébastien Simonnet depuis bien longtemps et personne n'a rien vu ni entendu.  Notamment le 18 août 2004, lorsque la future victime est transférée pour une  audition devant un juge d'instruction : il est fouillé à corps (intégralement  déshabillé) au départ comme au retour et les surveillants ne consignent rien.  Les gendarmes qui le transportent et le juge qui le reçoit remarquent des traces  de coups sur le visage de Johnny Agasucci mais n'alertent personne. Et de tout  cela, le directeur Stéphane Scotto n'est pas personnellement  comptable. 
 En fin d'audience, le représentant du parquet n'a surpris personne en  requérant la relaxe. Le tribunal n'est bien sûr pas contraint de le suivre, mais  la voie des magistrats nancéiens est bien étroite, entre la légèreté du  placement de Johnny Agasucci dans la même cellule que Sébastien Simonnet et le  défaut de surveillance particulière dont cette cellule 118 aurait dû être  entourée, même si la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Nancy n'a  pas cru bon de préciser laquelle. Me Patrick Maisonneuve, pour Stéphane Scotto, s'en est délecté  en plaidant qu'il faut un lien de causalité certain entre lecomportement fautif  du directeur et l'homicide. 
Un procès de consolation ?
 En fait, pendant toute cette interminable audience au rythme du film India  song de Marguerite Duras, on ne pouvait que se demander si on ne  s'était pas trompé de procès. S'il n'aurait pas fallu saisir non pas la justice  correctionnelle, mais la justice administrative. La présidente Catherine Hologne  a en quelque sorte lancé le débat dès le début de l'audience en demandant au  directeur Stéphane Scotto: "N'est-ce pas une faillite de l'institution?" Un peu  comme on tend une perche à un bouc émissaire. 
 Ce procès aurait eu mieux sa place devant un tribunal administratif, au  travers un recours contre l'Etat. Car la mort du jeune Johnny Agasucci ne  conduit pas à mettre en cause la seule responsabilité du directeur de la prison.  Des magistrats et des surveillants sont aussi comptables de ce qui s'est passé.  Et, plus globalement, c'est l'Etat qui a la responsabilité de maintenir sains et  saufs les détenus condamnés à une peine de prison. Les parties civiles en  avaient conscience dès le départ. Ce n'est pas par hasard si Me Iochum a rappelé qu'il avait  adressé pour la famille de la victime une demande indemnitaire à la  Chancellerie, qui a été acceptée. Or il aurait fallu un refus d'indemnisation  pour pouvoir la contester devant le tribunal administratif. 
 Quelle que soit la décision des juges correctionnels de Nancy, prononcée dès  le 30 septembre prochain, cette affaire emblématique sur les risques de  l'encellulement collectif restera comme une occasion manquée. 
 

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