vendredi 29 avril 2016

Comment Jean-Jacques Urvoas veut réparer la justice

Les juridictions sont asphyxiées et les prisons débordent. Mais le ministre n'a que quelques mois pour agir et un budget limité. Peut-il y arriver ?

« Je ne veux pas être un ministre qui fait des droits de papier », confie Jean-Jacques Urvoas.

Ce sont quelques mots qui lui ont échappé, mercredi, sur le perron de l'École nationale de l'administration pénitentiaire (Enap), avant de sauter dans son jet ministériel pour Paris : « Je ne vous promets pas que je reviendrai cette année. Mais en 2017, on ne sait jamais… »

Jean-Jacques Urvoas, nouveau ministre de la Justice, est un homme pressé. L'envie d'en découdre, mais peu de temps pour agir.

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Arrivé à la chancellerie en janvier 2016 après la démission de Christiane Taubira, le Breton avait aussitôt convoqué ses conseillers : « J'ai quinze mois devant moi. Qu'est-ce qu'on peut faire ? » Il faut éteindre l'incendie, lui avait-on répondu.

Adieu les grands projets, bonjour le pragmatisme : Jean-Jacques Urvoas n'aura guère l'occasion de réciter du René Char…

Délabrement de la justice, prisons surpeuplées, simplification des procédures, rupture de paiement du ministère, réforme de l'aide juridictionnelle, etc. Les dossiers très « techno » s'empilent sur son bureau et aucun n'est très porteur politiquement. Le ministre doit gérer la justice du quotidien.

Pendant trois mois, il a donc concerté. Recevant à tour de bras, parfois seul dans son bureau, des personnalités du monde judiciaire. Ramenant à sa table tout ce que les différents corps de métiers comptent de syndicats et de représentants. Le garde des Sceaux a choisi un discours de vérité – la justice est dans un état catastrophique – et se refuse à toute promesse non chiffrée : « Je ne veux pas être un ministre qui fait des droits de papier », confie-t-il.

Une circulaire de politique pénale en préparation

Mercredi, à l'Enap, Jean-Jacques Urvoas a donc savouré. Les selfies sur la pelouse ensoleillée d'Agen ; les élèves-surveillants pénitentiaires qui se massent devant lui pour prendre une photo ; leurs familles qui se pressent parce qu'elles voudraient bien, quand même, pouvoir « échanger un mot » avec le ministre sur le futur métier de leur enfant.

Des matons en herbe, dans des prisons qui regorgent de détenus, ils sont fiers, mais, ils peuvent bien l'avouer, ça les inquiète un peu…

Le garde des Sceaux en oublierait presque de commenter la détention provisoire de Salah Abdeslam, se contentant d'une brève apparition devant les caméras de télévision après le conseil des ministres et d'un communiqué en début de soirée.

Déconnecté des sujets qui préoccupent les Français, Urvoas ? Il hausse les épaules : « Je reste dans mon couloir de nage. » Comprendre : le ministre ne veut pas brasser de l'air.

Chaque peine porte un horizon de réhabilitation, et c’est vous qui en êtes les gardiens
 
En attendant sa grande circulaire de politique pénale qui, selon nos informations, est en cours de rédaction, Jean-Jacques Urvoas s'est emparé du dossier chaud du moment : les prisons.

Mercredi, lors d'une cérémonie très officielle, le ministre a tenu un discours très apprécié des surveillants pénitentiaires et des futurs directeurs d'établissement, affirmant que les prisons n'étaient pas « hors de la société », mais en son « sein même », et que les Français ne devaient plus faire semblant de ne pas les voir.

« Les hommes (…) ont imaginé les tribunaux pour nous contraindre à reconnaître nos fautes. Pour tenter de les réparer, ils ont, notamment, conçu les prisons. Voilà pourquoi la justice, dans une société, est un marqueur de civilisation. Voilà pourquoi l'univers pénitentiaire est une institution qui prépare l'avenir.

Vous faites maintenant partie de ceux dont la fonction est de rendre possible la vie commune, car le temps de la prison doit être un temps utile. Chaque peine porte un horizon de réhabilitation, et c'est vous qui en êtes les gardiens », a-t-il dit.

« Combattre les délinquants les plus déterminés »

Et le ministre de promettre 2 500 créations de postes chez les surveillants pénitentiaires en 2017 (contre 2 000 en 2016).

Autre annonce : la fermeture de la centrale de Clairvaux, jugée trop vétuste, remplacée à terme par le futur centre pénitentiaire de Troyes.

Jean-Jacques Urvoas a également fait un geste en faveur de ce personnel pénitentiaire peu reconnu qui, pour la première fois, défilera sur les Champs-Élysées le 14 juillet prochain.

Enfin, il cède à une revendication bouillonnante des surveillants de prison qui réclament depuis des années un rétablissement des fouilles à nu systématiques à la sortie des parloirs. Un amendement en ce sens a été voté au Sénat, lequel prévoit que les fouilles ne pourront être ordonnées « que dans des lieux et pour une période de temps déterminés ».

Le ministre le défendra jusqu'au bout, a-t-il promis.

La position est jugée rétrograde par les défenseurs des droits de l'homme, qui l'accusent de se dédire lui-même. Lui assure, avec une mauvaise foi certaine, que l'amendement comporte suffisamment de garde-fous pour respecter la jurisprudence de la CEDH...

En 2015, 31 000 téléphones et 1 402 armes ont été saisis. 4 070 agressions ont été recensées contre le personnel. « Des téléphones et de la drogue, j'en saisis tous les jours, témoigne un surveillant. Des stupéfiants, on en a presque plus dans les prisons qu'à l'extérieur ! »

Pour le ministre, mieux contrôler ce qui entre en prison, c'est également mieux défendre les plus faibles : « Il est temps de combattre les délinquants les plus déterminés qui font pression sur les détenus isolés », dit-il. La vérité est en réalité surtout mathématique : impossible, en l'état actuel du budget, de financer des portiques à ondes millimétriques qui coûtent près de 160 000 euros l'unité...
Des stupéfiants, on en a presque plus dans les prisons qu’à l’extérieur !

Construction de nouvelles places de prison

La phrase est passée un peu inaperçue, mais le garde des Sceaux a également annoncé la construction de nouvelles places de prison, dont il détaillera le nombre à l'automne, lors du débat budgétaire. « Les engagements déjà pris seront réalisés », a-t-il déjà promis, ouvrant la voie à la construction d'un ou de plusieurs nouveaux établissements.

Le sujet le préoccupe particulièrement au vu des statistiques remontées à la chancellerie ces derniers jours. Non seulement la contrainte pénale de Christiane Taubira, sorte de peine en milieu ouvert, n'est presque pas prononcée par les juges, mais les sursis avec mise à l'épreuve (SME) sont de surcroît en nette régression (- 10 % depuis le début de l'année).

Un constat alarmant qui laisse penser que les attentats successifs ont sapé tout le travail entrepris par Christiane Taubira pour faire comprendre à la société que la prison n'était pas toujours une sanction adéquate.
Jean-Jacques Urvoas s'en inquiète et a commandité sur le sujet une enquête de l'Inspection générale des services qu'il doit recevoir dans les prochaines semaines. Pourquoi les juges sont-ils devenus soudainement si sévères ?

Le risque d'un engorgement des prisons déjà surpeuplées n'est pas à prendre à la légère. Le garde des Sceaux compte également beaucoup sur le projet de justice du XXIe siècle, qui arrive en mai devant le Parlement, pour refluidifier les chaînes civiles et pénales.

La chancellerie réfléchit à décharger les juges de certaines tâches, comme les homologations des actes les plus banals, qui pourraient être confiées à d'autres corps. Elle souhaite également jeter les bases d'un véritable statut du juge des libertés et de la détention (JLD), lequel doit devenir un contrepoids efficace au procureur qui est monté en puissance.

Quant aux permissions de sortie, il n'est pour l'instant pas question de les restreindre, même si Manuel Valls avait appelé fin 2015 à une évolution de la loi. Le ministère a également abandonné l'idée de contraventionnaliser les délits routiers, une idée de bon sens pour les juristes mais trop dure à faire avaler à l'opinion.

Les trois grands projets d 'Urvoas

C'est peut-être finalement sur trois grands projets que Jean-Jacques Urvoas laissera son empreinte à la chancellerie : d'abord, la création d'une véritable doctrine du renseignement pénitentiaire, dont la copie sera rendue fin 2017.

Ensuite, la détermination d'une politique publique claire et lisible sur la déradicalisation en prison. 47 personnes sont aujourd'hui détenues dans des unités spécialisées en cours d'expérimentation.

Enfin, la question de l'indépendance des magistrats du parquet et du statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est, quant à elle, toujours en suspens, après le refus farouche de la droite d'inscrire la disposition dans la Constitution.

Mais le ministre veut croire que la position est difficilement tenable. Comment peuvent-ils assumer d'être contre l'impartialité de la justice ? Une source proche de la chancellerie murmure : « Aujourd'hui, ils sont contre. Mais si demain on convoque le Congrès, ils font quoi ? »

Le Point

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